Photo bodies in urban spaces Copenhagen©DR

Willi Dorner, Bodies in Urban Spaces

Propos recueillis par Marie Pons

Publié le 1 juin 2023

Il est possible que vous ayez en tête les images de son travail sans forcément connaître son nom. Le chorégraphe autrichien Willi Dorner propose depuis 2007 la performance Bodies in urban spaces. On y voit des corps vêtus de joggings colorés s’imbriquer les uns dans les autres, tels des pièces de Lego, comblant des interstices dans l’espace urbain. Contre la surface grise d’un bâtiment, les performers tiennent une position acrobatique une poignée de secondes, avant de courir jusqu’au point suivant et de proposer ainsi un parcours à travers la ville, nous invitant à changer la façon dont nous percevons l’espace, l’architecture, l’environnement quotidien. Un paquet de corps encastré dans un espace réduit : cette performance devenue culte est à la fois colorée, design, mais aussi politique, au fur et à mesure qu’elle traverse le temps. Après avoir tourné dans plus de 110 villes à travers le monde, voici qu’elle revient en France, l’occasion de faire un point d’étape avec son créateur. 

Bodies in urban spaces est votre projet le plus connu, cette performance a rencontré le public dans d’innombrables villes, petites et grandes, mais comment tout a commencé ?

J’ai commencé à à vouloir travailler hors du théâtre, à m’intéresser à la notion d’espace en dehors de la scène, qui présente des limites, étant circonscrite à des contraintes techniques notamment. Il se trouve que l’on m’a proposé une résidence dans un immeuble résidentiel neuf à Vienne, qui venait d’être construit par un architecte de renom. Le bâtiment était terminé, un artiste avait installé des sculptures devant, une cérémonie d’ouverture était prévue et les gens étaient invités à venir le découvrir. Il y a eu des discours, un buffet, mais la plupart des personnes présentes sont restées à l’extérieur et ne sont pas entrées dans le bâtiment, l’architecte était très déçu. Il m’a demandé si je voulais travailler à l’intérieur des appartements, car la moitié d’entre eux étaient encore vides. J’ai invité des collègues artistes à se joindre à cette idée de résidence, des compositeurs, cinéastes, architectes, plasticiens… chacun a travaillé dans un appartement, pour y créer des installations. Nous travaillions dans ces espaces vides, blancs, sans meuble ni objet, et les gens qui vivaient là ont commencé à s’intéresser à notre présence. Nous nous saluions, parlions tous les jours et nous avons fini par être invités dans les appartements occupés. J’étais habitué au volume vide durant la journée et tout à coup je suis entré dans l’exact même volume mais bondé d’objets, de personnes, d’effets personnels, l’endroit paraissait soudainement très encombré. Je me suis demandé ce qu’il restait comme espaces disponibles, comme entre-deux dans cette version habitée des appartements. J’ai alors eu l’idée de remplir ces espaces inoccupés en mettant en scène des corps qui se tiendraient immobiles dans les interstices. Le résultat a été une série photographique, prise dans ces appartements.

Comment cette série d’images est-elle devenue une performance proposée dans les rues ?

Un an plus tard, en 2007, j’ai rencontré Pascale Henrot, qui était programmatrice pour le festival Paris Quartier d’été. Je lui ai montré cette série de photos, qu’elle a aimée. Je m’apprêtais alors à partir à Barcelone, pour donner un atelier de deux semaines aux étudiant.e.s de l’Université technique, l’idée était de travailler ensemble à transformer la série photo en une performance à l’extérieur. Nous avons donc fait un premier parcours à Barcelone. La première ne s’est pas très bien passée. La performance était présentée dans un festival de danse et le public s’attendait à ce que ces corps immobiles en place dans l’architecture urbaine se mettent à danser à un moment donné. Mais cela ne s’est pas produit, puisque le déroulé de la performance prévoit que les performers se mettent à courir jusqu’au nouvel emplacement, pour occuper une autre position dans la ville, et ainsi de suite. Le public a suivi le long du parcours mais les gens étaient déçus, pas mal de monde partait au fur et à mesure. Mais Pascale Henrot est venue, elle a beaucoup aimé et m’a donc invité à faire Bodies in urban spaces l’année d’après pour le festival Paris Quartier d’été. Cette fois là ça a été un grand succès, il y a eu des critiques positives, un engouement médiatique. A partir de là, le projet a continué, s’est mis à tourner presque dans le monde entier, puisque nous sommes allés sur tous les continents sauf l’Afrique.

Avez-vous été surpris de ce succès, du fait que la performance continue d’exister à travers le temps ?

J’aime ce travail, je le trouve intemporel, mais je n’avais bien-sûr pas imaginé cela, à cette échelle. Au moment où il a commencé au début des années 2000 il n’y avait pas encore de discussions de société sur la croissance des villes, la densité de l’habitat ou la place de la surveillance et de la technologie dans celles-ci. Bodies in urban spaces a rayonné en dialogue avec tant d’architectures différentes, dans la sphère de la mode, du design, en lien avec les politiques urbaines… La performance revêt un aspect politique, une efficacité purement visuelle, elle est drôle aux yeux de certain.e.s, très sérieuse pour d’autres. Certaines personnes s’attachent à l’aspect ludique, d’autres sont davantage captées par la performance physique importante demandée aux danseur.ses. Le projet est aussi simple en un sens, dans la mesure où il n’a pas besoin d’installation lumineuse ou sonore, il y a une pureté dans le dispositif. 

Simple en apparence, mais aussi très précis : les espaces où les corps interviennent sont repérés et choisis en amont, on imagine des temps de répétitions pour que chaque performer s’intègre là où il ou elle est censé.e s’adapter, pouvez-vous nous parler un peu du processus ?

Le parcours doit traverser différents quartiers de la ville, parce que je souhaite que les gens aillent là où ils ne vont souvent quasiment pas. Donc, en arrivant quelque part je pose toujours des questions sur les contextes politiques, architecturaux, sociaux qui concernent telle ou telle partie de la ville. Et j’aime que différents aspects apparaissent au fil de la promenade. En faisant groupe les gens se sentent protégés, nous marchons ensemble dans des endroits où ils auraient peur d’aller seuls, ils en traversent certains pour la première fois parfois. Je pense qu’il est important de connaître la ville où l’on habite et de se faire sa propre opinion à son sujet. C’est aussi ce que j’aime dans ce projet, d’amener les gens à se faire une opinion sur leur propre ville et leur façon d’y vivre. Après le Covid, la prise de conscience de vivre dans de minuscules appartements, dans des espaces contraints est devenue très forte. Quelle est ma place dans la ville ? J’ai besoin de plus de vert, j’ai besoin d’air, d’espace, cette crise a quelque part aidé à faire avancer ces questionnements en nous je pense.

Aviez-vous ces questions en tête lorsque vous avez commencé le travail ? Comment est-ce que l’on s’intègre dans la ville, comment il est question de vivre les uns sur les autres dans de petits espaces disponibles ? C’est une lecture possible des images que propose Bodies in urban spaces

Au départ non, parce que j’ai commencé de façon naïve, en m’intéressant à l’espace de façon très abstraite. Je suis danseur et chorégraphe à l’origine, et j’avais cette relation abstraite à l’espace, que je pensais d’abord en terme de formes, de géométrie, de lignes. Mais j’ai vite compris avec ce travail que l’espace a un sens politique, social, économique, autrement dit très concret, qu’on ne peut ignorer, il ne s’agit pas que de pures formes géométriques. J’ai réalisé à ce moment là la dimension politique du projet, et j’ai aussi eu des réponses en conséquence. Certaines personnes étaient assez en colère par ce qu’ils voyaient et l’ont manifesté, venaient vers moi pour me dire que c’était dur ce que je faisais aux corps. Que de voir ces corps disposés en tas avait même une connotation concentrationnaire pour certains regards, qui m’ont dit ne plus jamais vouloir revoir cela. Ce n’était donc pas juste un grand accueil chaleureux, et le projet n’est pas qu’un joli projet in-situ, coloré et acrobatique.

Travailler dans l’espace public peut être difficile en tant qu’interprète, avez-vous senti l’atmosphère changer à travers les années ? Les villes sont dures pour les corps qui y vivent, comment cela a-t-il affecté le travail au fil du temps ? 

On sent certainement le changement, les villes sont plus peuplées, il y a des tensions, les espaces sont davantage sous contrôle, ce sont des changements énormes en réalité. Quand j’ai commencé à travailler dehors au début des années 2000, il était plus facile d’obtenir une autorisation par exemple, maintenant tout est beaucoup plus verrouillé. Lors d’une exposition j’ai montré les feuilles d’autorisation dont j’avais eu besoin pour réaliser une performance à Londres. C’était il y a quelques années et nous avions eu besoin de la présence d’infirmières, d’un médecin, de policiers, d’assureurs pour être dans les clous. La présence de chaque personne était réglée comme du papier à musique, on peut lire sur les documents qui s’étalent sur des pages et des pages quelle est l’évaluation des risques pour le public, pour les interprètes, c’est incroyable. Il y a quinze ans de cela c’était très différent. On sent à quel point les autorités se sont intéressées de plus en plus au contrôle de l’espace public, politiquement tout cela a énormément évolué et c’est un sujet brûlant.

En tant que chorégraphe travaillant avec la perception de nos corps en mouvement dans les espaces publics, cela vous donne-t-il envie de travailler dans d’autres contextes, d’autres types d’espaces ? 

Mon travail a changé et se développe dans d’autres contextes ces dernières années, mais cela n’a pas directement à voir avec ces raisons de contrôle dans les villes, il s’agit plutôt de l’évolution personnelle de mes réflexions et de mes intérêts. Récemment j’ai chorégraphié trois solos et un duo pour la scène, et produit de nouvelles installations. Je me suis beaucoup intéressé aux médias, j’ai été inspiré par cette situation durant les confinements, d’être seul.e à la maison, de parler parler aux gens par visioconférence depuis son isolement, il m’intéresse de questionner ces situations. Je me tourne à présent davantage vers la réalisation de films. J’aime aussi beaucoup le land art, Walter de Maria par exemple est un artiste qui m’inspire beaucoup, à chaque fois que je vois son travail. Je suis un adepte de l’art minimal en réalité, j’aime les formes pures, simples, des matières fortes agencées dans un espace choisi, c’est ce qui résonne le plus en moi.

Côté danse, y a-t-il des démarches et des pièces qui vous inspirent ? 

Je crois que le côté abstrait me manque dans la danse actuellement, il n’y a presque plus de danse abstraite, on revient à la narration. Je me souviens quand je chorégraphiais des pièces à la fin des années 1990 mon travail était très conceptuel et tournait aux côtés de celui de Xavier Le Roy ou de Jérôme Bel par exemple, on se retrouvait dans les mêmes festivals. A présent nous sommes davantage dans une veine politique, un courant plus narratif aussi, des histoires, des expériences de vie sont portées à la scène et inspirent les chorégraphes. A mes yeux la danse est redevenue un peu plus théâtrale en un sens, s’est éloignée de l’abstraction, pour ce que j’en vois en tout cas.

Et qu’est-ce qui vous a fait passer de la production de pièces de danse à un intérêt plus marqué pour la production cinématographique ?

J’appelle cela mon virage philosophique. Vers 35 ans, j’avais atteint un point où j’avais été interprète, j’étais chorégraphe, mais quelque chose me manquait et j’ai voulu commencer à me former à autre chose. J’ai commencé à apprendre la Technique Alexander, et à travers cet enseignement j’ai été en contact avec la philosophie, car la phénoménologie fait pleinement partie de cette méthode de soin postural. Je me suis plongé pleinement dans la phénoménologie, Merleau-Ponty a été une forte influence et a complètement changé mon esprit ainsi que mon travail. Je me suis intéressé de près à la relation objet-sujet notamment, à cette situation perceptive qui fait que nous, en tant qu’êtres humains, pouvons voir un objet extérieur à nous et nous percevoir l’observant, sentant et ressentant en même temps. Une autre perspective intéressante en phénoménologie est l’exploration de la spatialité. Après six ou sept ans de recherche et de concentration sur la perception, je me suis tourné vers cette notion de spatialité et j’ai suivi ces questionnements phénoménologiques : comment peut-on percevoir, produire de l’espace, de quoi parle t-on lorsque l’on parle d’espace ? C’est ainsi que la notion d’espace est apparue comme prégnante dans ma façon d’engager des projets.

C’est à ce moment là que vous décidez de sortir de scène et de travailler hors du théâtre ?

C’était un grand conflit personnel en réalité à l’époque, lorsque j’ai réalisé que pour travailler sur l’espace, il fallait quitter la scène. Pour moi, en tant que chorégraphe, c’était comme si quelqu’un me disait « fais autre chose ». C’est un changement important, à mon sens il n’est pas possible d’utiliser l’extérieur comme un arrière-plan, un décor où simplement opérer la transposition d’une matière existante chorégraphiée pour un espace scénique. Il faut soudain faire face à l’espace et à son caractère. Je dis cela parce que ce n’était pas si facile d’abandonner ce que j’avais l’habitude de faire. C’est aussi à ce moment-là que je me suis intéressé aux différents médias car ils m’ont aidé à comprendre notre perception de l’espace justement. Les supports visuels, les vidéos sont si importants de nos jours qu’il m’intéressait de voir comment les images ont tendance à couvrir nos autres sens qui ne passent pas par la vue. Je me suis demandé comment mettre davantage en avant nos autres sens, en construisant des projets pour les mettre au premier plan.

En parlant de sens, en changeant d’espace pour produire des pièces en extérieur le rapport kinésique proposé au public change aussi par rapport à la scène, notamment dans Bodies in urban spaces, où les stimulations perceptives des regardant.e.s sont aussi importantes que la présence des danseur.ses.

Oui parce qu’il y a un aspect plus direct dans cette expérience kinésique lorsqu’on se trouve en présence à l’extérieur. Sur scène, cette expérience existe bien-sûr lorsque vous voyez une chorégraphie, mais souvent elle est enveloppée de musique, d’autres composants, tandis que lorsque vous êtes dans la rue, debout devant un corps dans une situation spécifique, il n’y a rien entre vous, le canal est direct. La physicalité est perceptible de manière plus franche. Par exemple dans Bodies in urban spaces les interprètes commencent à trembler parfois, parce que les positions sont difficiles à tenir, et quand les spectateur.ices sont proches iels peuvent en être témoins, sentir la fragilité du corps, et c’est aussi important. En parlant de cette attention à nos perceptions, j’ai récemment travaillé avec une personne aveugle de naissance pour réaliser un audioguide pour le Musée Susch en Suisse. Erich Schmid conduit les visiteurs à travers le musée, pour lui les peintures, les images n’existent pas mais l’espace oui, avec différentes qualités sonores, températures, textures. L’architecture de ce musée est très spécifique, il se trouve dans la montagne, construit en partie dans la roche. Au fil de la visite Eric nous invite à goûter les acoustiques, les surfaces différentes, c’est un guidage à sa façon qui nous invite à partager sa propre manière de percevoir et de traverser l’endroit.

Il est intéressant en travaillant avec des lieux spécifiques de prendre en compte ces différentes couches d’architecture, de textures, d’histoires.

Oui, une ville ou un bâtiment comportent de nombreuses couches. Par exemple, j’ai fait un guide audio et vidéo en 2007 à Nottingham, avant que les smartphones ne soient largement accessibles. Il s’agissait de proposer une visite alternative de la ville, en oubliant les attractions touristiques habituelles pour s’intéresser au sous-sol. Il y a de nombreuses grottes à Nottingham, la ville en est truffée en souterrain. Certaines sont accessibles, et cela crée des parcours complètement étonnants, par exemple vous pouvez vous retrouver dans un centre commercial depuis l’une des grottes, en ouvrant simplement une porte ! A cette époque, je m’intéressais également à ce que vous décidez de visiter lorsque vous êtes en voyage, en train de découvrir un lieu. Comment planifie t-on et prépare t-on son voyage, quelle place laisse t-on pour la découverte et l’improvisation. La façon dont vous rencontrez une ville est toujours liée à ces choix. D’une certaine manière, une ville est comme un labyrinthe, faite de zones, de souterrains, de bâtiments connectés les uns aux autres. Lorsque l’on a la possibilité d’emprunter des chemins différents que ceux que nous nous autorisons à prendre, on découvre des itinéraires, on comprend à quel point tout est intriqué, complexe, en lien au passé aussi.

Les projets que vous réalisez nécessitent du temps, entre la préparation, les repérages, les essais. Or le temps et les moyens dont nous disposons pour produire ont beaucoup changé, comment gérez-vous cela ?

Pour ce projet à Nottingham par exemple nous avions travaillé pendant deux ans au développement en effet. Plus je vieillis, plus il m’intéresse de travailler plus longtemps sur un sujet. Ces jours-ci, l’argent se fait plus rare, le système de subventions en Autriche n’est pas très bon et il est stressant de travailler en très peu de temps. Artistiquement c’est beaucoup plus satisfaisant de pouvoir travailler sur un projet dans le temps long, or le travail théâtral doit toujours être réalisé dans un temps très rapide, compressé, parce que l’on mobilise des gens, des moyens. On prépare, on répète, on joue et c’est fini. Après quelques décennies je n’ai plus envie de ces chapitres rapides. Ces dernières années, je travaille sur un projet de film d’architecture, avec ma femme Lisa Rastl qui est photographe et réalisatrice, en partant justement des strates d’une ville que nous avons découvert en Italie.

En quoi consiste ce projet de film ?

Nous voyagions en Italie lorsque nous sommes tombés par hasard sur une ville en Émilie Romagne, érigée sous Mussolini, qui s’était lancé dans une grande stratégie de construction pendant sa dictature. Son ministre de l’agriculture avait eu l’idée de bâtir cette ville alternative, qu’il construisit secrètement, sans que Mussolini le sache. C’est une architecture rationaliste, étonnante et fascinante, nous avons donc voulu faire un film sur l’endroit. Et puis nous avons découvert l’histoire derrière son existence, que Mussolini avait eu vent du projet et envoyé ses services secrets effectuer des rapports sur place. Nous avons aussi découvert l’histoire d’enfants venus de Libye, envoyés en Italie avant la guerre par des colonialistes italiens. Ces enfants vivaient en marge comme des nomades dans un pays qu’ils ne connaissaient pas. Leur existence et leur histoire sont politiquement cachées, difficiles à raconter, parce qu’ils se sont par la suite souvent retrouvés placés dans des asiles, ce n’est pas partie de l’histoire que le pays a forcément envie de raconter. Et maintenant cette strate là est aussi entrée dans le film. Voilà comment avance le processus, on commence par tomber sur une ville, votre pensée première est de faire un beau film d’architecture, mais ensuite vous découvrez la complexité des histoires qu’elle renferme.

Le film est un documentaire ?

C’est un documentaire mais d’une certaine manière il y a aussi un côté expérimental, car nous avons récupéré beaucoup de documents, de lettres, d’informations personnelles, qui seront présents dans le film, bien qu’il se concentre au départ sur l’aspect architectural. Nous essayons de nous positionner dans une démarche de découverte, dans la façon dont on aborde la ville et ces espaces, dont on creuse de plus en plus profondément au fur et à mesure. Il est presque terminé, nous étions à Rome aux archives nationales pour filmer les dossiers des services secrets récemment.

Puisque nous avons parlé de l’importance de l’expérience kinésique lors du partage du travail avec le public, n’est-ce pas frustrant pour vous de travailler sur un film, d’être un peu plus éloigné de cette réception directe ? 

Faire un film est satisfaisant à mes yeux vis-à-vis de l’importance de pouvoir travailler plus longtemps sur un même projet. Honnêtement je suis un peu fatigué de produire des pièces de danse. Le film est constitué d’une petite équipe, ma femme et moi, c’est beaucoup plus calme, on peut décider quand aura lieu la première, décider de donner au projet le temps dont il a besoin. C’est agréable. Et c’est ma façon de produire maintenant. Aussi c’est le bon médium pour traiter ce sujet, je ne pourrais pas faire de pièce de danse sur cette ville. Je suis devenu un passionné d’architecture, j’ai vu tellement de villes, beaucoup lu à ce sujet, beaucoup admiré le travail de nombreux architectes, c’est devenu une passion. Depuis toutes ces années, c’est un milieu avec lequel je suis en lien et j’ai aussi des retours, des dialogues et propositions de collaborations, et ces allers-retours là sont très nourrissants. D’une certaine manière, je suis en train de quitter lentement le monde de la danse. Ou de chorégraphier autrement avec l’espace, d’interroger différemment nos perceptions, et les strates de l’Histoire.

Bodies in Urban Spaces, conception Willi Dorner. Avec des performeuses et performeurs locaux. Photo © DR.

Willi Dorner présente Bodies in Urban Spaces le 10 juin à Vélizy-Villacoublay, avec L’Onde Théâtre Centre d’Art