Photo © Brianna Lombardo scaled

Enora Rivière, manifestement

Propos recueillis par Marie Pons

Publié le 7 mars 2022

Enora Rivière travaille avec les mots comme matière vivante de la danse. Que ce soit à travers des projets éditoriaux ou des pièces pour la scène, la parole des danseur.ses qu’elle écoute, recueille, compile et agence se mue en moteur du mouvement. Depuis Montréal, elle nous raconte comment ces circulations de paroles sont mises en jeu avec sa nouvelle création, manifestement, trio qui s’écrit entre musique et geste dansé. 

manifestement semble s’inscrire dans une certaine continuité, ce trio creuse un endroit d’attention qui était déjà celui de vos projets précédents, ob.scene et moteur, à savoir recueillir la parole des danseur.ses, et produire une réflexion et un discours sur la danse à partir de leurs mots. Comment cette nouvelle création remet en chantier cette question-là ? 

Effectivement, manifestement continue de creuser cette interrogation : comment raconter la danse depuis le point de vue des danseur.ses. Le moteur de cette création est en partie un autre projet que je suis en train de mener, un livre que j’ai écrit et qui n’est pas encore paru intitulé moteurs – un sacre. Ce texte traverse l’expérience de danser Le Sacre du printemps de Dominique Brun, une pièce qui réunit trente danseur.ses sur scène. Faisant partie de l’équipe, c’était une très belle occasion : j’ai proposé à chacun·es des interprètes de faire un entretien puis j’ai écrit le récit d’une danse à partir de trente points de vue différents. À partir de cette expérience-là, cela m’a intéressée de garder ce principe d’entretien en multipliant les œuvres et les interlocuteur.ices. J’ai donc proposé à une dizaine de danseur.ses de témoigner, cette fois-ci autour d’une œuvre qu’iels considèrent comme « manifeste ». Chacun.e a dû choisir une seule pièce, et nous avons eu une longue discussion sur cette base-là. Au sein de chaque entretien, je me suis ensuite attachée à choisir des détails qui constituent le moteur des gestes, ce qui met en mouvement celui ou celle qui en parle, et j’ai ainsi récolté ce qui s’apparente à une série de fragments d’expériences qui parlent du travail de la danse. 

Est-ce que dans votre propre parcours de danseuse un élément déclencheur vous a donné envie de créer de la place pour la parole et le savoir-faire des danseur.ses, et ce dès votre premier projet ? 

Au départ, cela ne vient pas d’une frustration ou d’une expérience professionnelle qui m’aurait placée dans un rapport de pouvoir m’empêchant de prendre la parole. Lorsque j’ai commencé, j’ai passé quelques années à danser avec la compagnie de Gilles Jobin, tout en faisant de la recherche en danse à l’Université Paris 8. Mon mémoire de maîtrise portait sur l’analyse du processus de création d’un Faune (éclats) du Quatuor Knust. J’avais envie de m’atteler à l’exercice de l’analyse d’œuvre chorégraphique, et comme j’étais danseuse en parallèle, j’ai proposé de faire cette analyse depuis mon point de vue, d’explorer ce que pouvait donner l’exercice depuis le point de vue d’une danseuse pour une fois. J’ai commencé à faire des recherches pour voir s’il existait des écrits de ce genre-là et je n’ai rien trouvé. J’ai commencé à me dire qu’il y avait visiblement un problème dans cette absence de discours des danseur.ses au sein même des écrits en danse. C’était au début des années 2000, depuis les choses ont changé, mais tout ce que je lisais à cette époque sous la plume d’historien.nes, de critiques ou chercheur.ses d’autres disciplines à propos de la danse reconduisait souvent une mythologie liée au travail du danseur et de la danseuse. Il s’agissait alors de créer un espace discursif pour que les points de vue des interprètes entrent dans les écrits en danse et que l’on puisse y accéder, car avec cette lacune énorme, l’expression des danseur.ses à propos de leurs propres pratiques n’arrivaient pas dans les discours officiels et dans l’histoire. C’est en poursuivant cette démarche que j’ai fait ob.scene, d’abord le livre, puis un duo pour la scène. Lorsque j’ai proposé à un groupe de danseur.ses d’échanger sur leur métier, j’ai réalisé qu’il n’attendait que ça ! On a échangé énormément pour ce travail, et se mettre à parler du statut de danseur, de rapports de pouvoir était un besoin. C’est pour cette raison que le livre a pris la forme d’une autobiographie fictive à plusieurs voix, racontant sous forme chorale ce que peut être une vie de danseur.se. J’ai ouvert une multitude de tiroirs avec ce travail, et chacun révèle une somme de pistes à continuer de creuser, car les paroles de danseur.ses peuvent mener dans des directions très diverses : juridique, politique, sociale, esthétique… et la combinaison de tout cela m’intéresse.

Comment les interprètes que vous avez interrogés pour manifestement se sont saisis du terme « manifeste » pour choisir une pièce à évoquer ?

J’avais envie dès le départ de resserrer chaque entretien sur cette question : qu’est-ce qu’un geste manifeste pour toi, qu’est-ce que cela veut dire ? Est-ce qu’il est possible de décrire un geste qui soit important, manifeste à tes yeux, et la façon dont le corps a été en jeu dans cette pièce, à ce moment-là ? Je leur demandais de me raconter ce moment particulier, de me décrire comment est-ce qu’il ou elle s’y prend pour faire ce geste, danser cet instant précis par exemple. J’ai aussi fait l’exercice moi-même, puisque je suis le seul corps dansant sur scène, accompagné de leurs voix. C’est une vaste question bien-sûr, qui n’a pas de réponse univoque. Garder une seule pièce, un seul mouvement, un seul son, c’est très dur ! Benoist Bouvot et Vincent Legault, les deux musiciens qui sont présents à mes côtés sur le plateau se sont aussi prêtés à l’exercice. 

À quoi ressemble votre collaboration à trois ? 

Benoist et Vincent sont guitaristes et jouent live dans la pièce. Au départ, j’avais plein d’envies pour les déplacer dans leur pratique. Mais avec les contraintes géographiques dues à la pandémie, nous avons commencé chacun.e chez nous. Je lançais des pistes, ils faisaient des tests, on écoutait, nous avons commencé à défricher comme ça, en se posant la question de ce que serait un son manifeste. Je leur ai aussi demandé ce que seraient pour eux les grandes références musicales manifestes, mais nous avons assez rapidement évacué cette question de la référence car on ne voulait pas tomber dans une espèce de catalogue. Le travail a alors consisté à aller chercher quelque chose d’essentiel par rapport à la guitare, à la musique, à leurs constructions de musiciens. Que resterait-il si l’on devait resserrer ce qui est au cœur de leur pratique ? Aller vers une épure nous a guidés et nous guide encore pour composer. Nous avons aussi exploré la racine du mot « manifestement », où l’on trouve la « main », le doigté, qui est au cœur du travail de la musique. 

On comprend bien qu’il existe toute une déclinaison possible dans la façon d’interpréter le mot « manifeste ». Est-ce que dans le dialogue avec les danseur.ses interrogé.e.s certaines pistes vous intéressaient plus que d’autres, ou ont révélé des aspects inattendus ?

Dans un premier temps, j’ai vraiment souhaité laisser chacun.e se débrouiller avec ce mot. J’étais justement intéressée d’observer comment iels l’entendaient a priori, voir quelles directions leur réflexion et leur parole prenaient à partir de cette invitation. De mon côté, j’ai été attentive dans la discussion à amener chaque danseur à être le plus précis possible, à nommer, à détailler la façon de partager un état. J’ai recompilé ensuite toutes les expériences offertes par ce groupe pour composer un texte. Je me suis entretenue avec une dizaine de personnes et j’ai parfois gardé une seule phrase à partir de trois heures de discussion, j’ai sélectionné, réécrit, réduit… Le processus de création a consisté pour une large part à resserrer en permanence, à aller vers le très peu, surtout vis-à-vis de la parole, de la place du texte. La parole prend toujours de la place et demande du temps pour se déployer, je suis donc attentive, dans sa relation à la danse, à ce qu’elle ne prenne pas toute la lumière, à ce qu’elle ne soit jamais écrasante ou surplombante. C’est un équilibre délicat à trouver.

Le texte ob.scene que vous avez publié est aussi un texte choral, qui rassemble plusieurs témoignages de danseur.ses qui se trouvent mélangés sans que l’on sache qui parle à quel endroit. Cette condensation de la parole, ce geste d’écriture qui consiste à compiler des informations vous intéresse particulièrement ?

Oui, tout à fait, c’est un des enjeux qui rassemble mes projets d’ailleurs. Autant pour un objet textuel il est plus évident de compiler, monter, couper et agencer la matière de travail, autant pour un objet scénique il est bien plus ardu de se demander qui va parler, à quel moment, comment tisser les prises de paroles entre elles. Dans la dimension littéraire et sur scène, décider qui est le « je » qui parle passe par des modes de résolution très différents. Dans mes projets précédents, le texte n’était pas présent sur scène à l’oral, on ne l’entendait pas, dans moteur il était par exemple projeté sur écran pour être lu par le public. Naviguer entre les prises de paroles, composer avec la façon dont on fait entendre les fragments choisis au public est un vrai endroit de travail de la pièce en ce moment même. Et le tout sans que personne ne soit nommé par ailleurs, puisque je gomme les noms, les titres des pièces, tout ce qui fait référence.

Pourquoi est-il important de gommer tout ce qui se rapporte à des références, à une histoire de la danse ? 

Les références ne m’intéressent pas du tout, puisque ce qui m’intéresse c’est de partager avec le public le travail de la danse. Qu’est-ce que c’est que danser, en fait ? Comment je m’y prends quand il s’agit de traverser une séquence de mouvements, je suis traversée par quoi, je pense à quoi ? Quand on commence à creuser ces questions, c’est vertigineux ! Mon désir serait que le public soit surpris en découvrant toutes les couches impliquées réellement dans le fait de danser, qu’il puisse accéder à ce que l’on ne partage pas d’habitude, mais qui fait pleinement partie du travail de danseur, voilà mon point d’attention. Cela ne m’intéresse pas de créer un jeu de piste pour le public, grâce à des signes que j’aurais disposé ça et là pour reconnaître qu’il s’agit de telle pièce signée par tel chorégraphe à telle époque… Si certains spectateurs se lancent dans ce jeu de piste, tant mieux, c’est ouvert, mais j’essaie pour ma part d’être vraiment à l’endroit de la posture des danseur.ses et du travail de la danse, de mener ce travail de dévoilement des couches invisibles qui existent dans le métier et l’activité de danser, tout ce que l’on ne voit pas car on y projette aussi souvent beaucoup. C’est pour ça qu’ob.scène porte ce titre d’ailleurs, pour moi il s’agissait effectivement de parler de ce qui était en dehors, à l’extérieur, de ce que l’on n’expose pas d’habitude. Cette question de l’invisible m’intéresse énormément, surtout depuis que l’écriture a pris de la place dans ma vie, mettre des mots sur ce que l’on ne voit pas, ça m’excite beaucoup.

Qu’est-ce qui guide l’écriture justement ici, pour parvenir à assembler différents fragments d’expériences et de mémoires de gestes manifestes ? 

En termes d’adresse et de dispositif, une des questions motrices est de trouver comment passer d’une voix live à une voix off, ces rapports de distance m’intéressent. Comment passer de l’action de parler à celle d’entendre, comment être présente sur scène alors que l’on écoute une voix off… Il est très difficile d’être juste dans sa qualité de présence, physiquement, sans tomber dans un rapport de littéralité avec les informations entendues par exemple. Ce qui m’intéresse, c’est de jouer sur des écarts entre le faire et le dire, et il y a de nombreuses manières possibles d’y répondre. Comment passer d’une source de parole à une autre, naviguer entre deux, par exemple comment faire en sorte qu’une voix off ne soit pas surplombante, au-dessus de tout le monde. J’ai cette image de vouloir envelopper, entourer les gens par les paroles partagées. Mon fantasme, du point de vue du public, serait qu’on ait presque l’impression de pouvoir entrer dans la tête d’un.e danseur.se lorsque une voix off est diffusée, j’aimerais parvenir à créer cette proximité là. J’ai envie que l’on se sente vraiment invité.e à entrer, à faire partie. C’est ce qui m’intéresse au fond, de renverser un peu la perspective, que l’on puisse accéder à la danse d’un autre point de vue.

Pour bien comprendre, le texte est dit par vous sur scène ou nous l’entendons en bande son ? 

Il y a un mélange des deux. Je n’ai pas envie de trop en dévoiler à l’avance, pour laisser les spectateur.ices découvrir et entrer dans la matière ! En tout cas, j’ai ce désir de valoriser la parole des danseur.ses et de travailler avec le fait que les mots dits ou entendus produisent de la danse dans l’imaginaire du spectateur.

Il y a aussi le fait que vous soyez la seule danseuse en scène, à devoir dialoguer et faire vivre une pluralité de voix, de présences, de mouvements, à quoi ressemble ce travail ? 

Ce travail est passé par le fait de me poser la question de base en réfléchissant à mon propre parcours : qu’est-ce qu’un corps, un geste manifeste pour moi. L’exercice m’a amené à réfléchir concrètement à ce que j’ai envie de présenter, de faire sur scène aujourd’hui. Je pense que la question résonne aussi à la lumière de la pandémie, qui a eu de nombreux effets sur nous tous.tes, et qui est venue intensifier le questionnement au cœur de ce projet. Qu’est-ce qu’il m’intéresse vraiment d’apporter à présent sur l’espace scénique, qu’est-ce que serait une manière manifeste d’être là ? Sans parler forcément de revendication politique, mais en interrogeant plutôt comment j’ai envie de partager avec le public, qu’est-ce qui est important aujourd’hui dans la manière d’être sur scène ? Ces questions ont mis ma mémoire au travail, ma construction de danseuse, l’image de mon corps, la manière dont je m’expose par exemple. C’est ce corps-là, parcouru de ces questions, qui se met en relation avec les récits des autres interprètes, qui guide l’écriture. Je suis en effet la seule danseuse sur scène mais plusieurs personnes emplissent l’espace de leurs différents récits, alors comment faire en sorte d’être un vecteur, un médium pour cette pluralité sans que je disparaisse pour autant ? Quel corps je peux construire et proposer au départ, qui soit suffisamment solide, pour ensuite laisser de la place à ces autres récits ? Le travail consiste dans cet équilibre à trouver entre ne pas se faire écraser par la somme des récits, et laisser de la place au mien. 

Quel est le geste manifeste qui a mis en mouvement votre propre récit quand vous-vous êtes posé la question ? 

Il est très intime. Je ne m’attendais pas à ça, mais faire cet exercice a consisté à être traversée par de nombreux fragments de mémoire, et la mémoire ramène vite à un endroit très intime. Ce qui s’est imposé pour moi c’est de me demander ce que je veux exposer de moi et comment. Cette question a été mon point de départ. Il me semblait aussi que pour pouvoir entrer en dialogue avec les autres récits, il fallait partir de l’intime. Parce que mine de rien, les témoignages que m’ont généreusement offert tous ces interprètes sont de l’ordre de l’intime, c’est extrêmement précieux. Entrer ainsi dans leurs manières de faire, partager ce qui traverse leurs pensées à un moment précis, savoir de quoi est nourri leur mouvement, ce sont des choses dont on ne parle pas dans le travail d’habitude, ou que l’on partage très peu. Je ne m’attendais pas à ce que le projet se resserre sur cette dimension là, mais regarder par le prisme de l’intime est devenu la seule manière de répondre aux questions posées. Partir du vécu et oublier l’Histoire, les références, pour mieux construire une autre sorte d’histoire commune. C’est presque travailler sur une politique de l’intime on peut dire. Je crois que c’est ce qui m’intéresse de plus en plus dans ma manière d’écrire, de travailler, d’être sur scène, cette considération de l’intime comme politique. 

Autant pour recueillir cette parole intime des danseur.ses cela passe par l’entretien, l’écoute, mais comment cela se passe quand on s’adresse ces questions à soi-même ? 

J’ai construit à partir de l’improvisation. J’avais besoin de passer par le corps, après avoir éprouvé la solitude de l’écriture et de la recherche ces dernières années, la solitude de la pandémie aussi, qui nous a toutes et tous énormément isolé.e.s. Je suis allée en studio rechercher, improviser dans l’espace, ce que je n’avais jamais vraiment fait de façon aussi radicale. D’habitude je ne vais pas en studio pour rechercher et improviser, cet espace empli d’histoires, du passé de la danse me fait assez peur en général, je me demande toujours qu’est-ce que l’on peut encore y faire ! Là, je suis vraiment allée chercher en profondeur, en interrogeant ma construction de femme, pas uniquement de danseuse.

Comment s’est déroulé en studio la cohabitation entre la présence des voix enregistrées et le corps qui improvise, le jeu entre entendre, dire et faire ? 

Cette relation travaille encore au moment où l’on parle justement. Jusqu’ici j’ai travaillé les deux de façon complètement séparée : les entretiens et la chorégraphie. Il y a eu cette première phase de réalisation des entretiens, les rassembler, faire ce travail d’écriture à partir des paroles rapportées. Puis il y a eu le temps de recherche avec le corps en studio. Je voulais vraiment séparer les deux, pour que ce qui allait se passer physiquement vienne de moi. Maintenant, on est dans ce temps de tissage des différentes matières, mais je n’ai jamais ramené les entretiens dans le studio pour les écouter par exemple. Je ne voulais pas que les deux se contaminent je crois, entre autres parce que comme je le précisais un texte peut vite prendre toute la place sur scène et faire autorité dans le processus de création.

Comme votre pratique se partage entre l’écriture littéraire et chorégraphique qu’est-ce qui fait finalement que manifestement était un projet à partager sur scène plutôt qu’entre les pages d’un livre ? 

Parce que quelque part, on n’est jamais amené à parler de notre métier directement à l’endroit de la scène. C’est une façon aussi d’être en contact direct avec mes interlocuteur.ices, c’est ce qui est vertigineux avec la scène, ce rapport direct. Dans un texte il peut y avoir une certaine zone de confort, dans le fait de ne jamais savoir qui le lit au fond. Parfois il y a besoin d’avoir une adresse directe, et c’est ce qui reste génial quand même avec le spectacle vivant, cette interaction folle que l’on peut avoir avec d’autres gens.

Est-ce que le dialogue continue avec les danseur.ses qui ont partagé leurs expériences pour ce projet ? 

Je sens qu’il y a un grand intérêt de leur part pour développer ce dialogue, continuer de faire exister ces paroles. Un peu comme si l’on avait ouvert une porte ensemble et qu’il y avait un grand prolongement possible derrière. Le projet en lui-même encourage une forme d’expansion : même en étant en dialogue avec une seule personne autour d’une seule œuvre, chaque échange ouvre une constellation gigantesque. La démarche me donne envie d’avoir des heures de conversation avec chaque personne, c’est ce que j’aimerais faire dans le futur. Entre autre parce qu’il s’avère que la conversation modifie la pratique en réalité, des allers-retours vivants se font entre mise en mots et pratique de la danse, comme si ce processus venait déclencher un autre registre de conscience. Quand on commence à être vraiment conscient de ce que l’on fait au moment où on le fait, cela modifie grandement le rapport au mouvement, c’est comme si l’on ouvrait notre attention tout à coup sur un ensemble de dimensions qui nous échappe complètement d’habitude. Je crois que cela peut être très riche, ce passage par les mots qui alimente la pratique.

Et cela ouvre effectivement une réflexion sur le travail de la danse qui d’habitude est compressée, pas vraiment prévue dans le temps de création. 

Oui. Cela me fait penser par ailleurs au moment où j’ai été critique de danse à Montréal pour Le Devoir : étant attentive à ces questions des différents régimes d’attention, je voyais bien que j’activais plusieurs plans de conscience au moment de regarder un spectacle pour écrire ensuite à son propos, plusieurs plans de perception simultanées s’activent. Mon travail de danseuse m’a sûrement aidé à activer et combiner ces différents plans, ce sont des questions passionnantes à mettre au travail. Parce qu’en réalité, c’est dingue de mesurer tout ce qu’implique le fait de danser ! Je trouve ça fou, tout ce que ça engage, tout ce que l’on déclenche comme régimes de conscience en dansant, ce sont des terrains d’expérimentations incroyables et pas assez valorisés il me semble. La société irait beaucoup mieux si on partageait les outils des danseur.ses, sans rire ! Il y a un savoir-faire inouï à cet endroit-là, et c’est ce qui continue à me passionner.

Conception, écriture et réalisation : Enora Rivière. Voix, corps : Enora Rivière. Conception sonore et musique live : Benoist Bouvot et Vincent Legault. Lumière : Séverine Rième. Collaborateur·rices artistiques : Thierry Grapotte, Marie Mougeolle, Morena Prats. Photo

Enora Rivière présente manifestement le 12 mars au Festival Artdanthé.