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Mylène Benoit, Archée

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 3 mai 2023

Quels indices avons-nous du rôle que jouaient les femmes dans les peintures rupestres retrouvées dans les grottes ornées ? Et si dans les sociétés préhistoriques les femmes avaient chassé, combattu, créé autant que les hommes ? Quels indices avons-nous de l’existence de sociétés égalitaires avant que l’ordre viriarcal ne soit progressivement instauré au détriment des femmes ? Avec sa nouvelle création Archée, la chorégraphe Mylène Benoit explore de nouvelles hypothèses historiques concernant un pouvoir des femmes qui aurait existé pour progressivement s’effacer. À partir des entrelacements des corps, des voix qui se superposent, des récits, la chorégraphe propose de redonner une place centrale aux femmes et de restaurer la mémoire d’un passé plus équitable, à partir de laquelle dessiner un futur. Dans cet entretien, Mylène Benoit revient sur ce qui l’a motivée à créer Archée, et sur les enjeux de cette nouvelle création.

Vous avez longtemps fréquenté les écoles d’art avant d’entrer dans le monde de la danse. Pourriez-vous revenir sur ce moment de bascule ?

En effet, je suis artiste plasticienne de formation, et ce sont des raisons politiques qui m’ont amenée à fonder en 2004 une compagnie de danse, Contour Progressif. J’avais jusque-là beaucoup travaillé l’image et j’avais besoin de considérer les techniques contemporaines de représentation par un autre médium. J’étais inquiète de la prolifération des images et par la façon dont elles nous « chorégraphient ». Je crois en effet qu’il n’y a pas de corps pur, pas de corps « propre », mais au contraire un corps poreux, un corps de rapports et de relations sociales. J’ai commencé à travailler avec des danseur·se·s sur ces questions : que peut le corps ? Que peut le monde dans les corps ? Pourquoi risque-t-on son corps sur un plateau ? Comment produire des actes dansés qui donnent à percevoir l’imagination, la peur, le fantasme, la mémoire : l’exercice de la pensée mêlé à celui du corps ? Mes créations chorégraphiques sont des façons d’émettre des hypothèses et de partager, avec les spectateur·rice·s, mon souci du corps. Je pense que le corps ne cesse de faire preuve, comme il fait symptôme ; et je saisis la danse comme un outil pour penser le monde.

Depuis plusieurs années, la voix occupe une place essentielle dans votre travail. Pour vous, quels rapports entretient-elle avec l’écriture de la danse ?

Dans mes pièces, la voix met en jeu le corps dans son entièreté, sans faire de partage entre ce qu’il y aurait à montrer, ce qu’il y aurait à émettre ; sans séparer la peau des entrailles, des cordes vocales, du périnée, du sexe, du squelette, du cœur, du foie, de la rate… Et puis vient aussi la nécessité d’énoncer, de ne plus se contenter de corps silencieux – si tant est que les corps puissent l’être. Je me rappelle cette phrase entendue il y a quelques années d’un professionnel de la danse : « je ne supporte pas les danseur·se·s qui parlent ! ». Oui mais voilà : les danseu·se·s sont aussi doué·e·s de pensée et de parole, et si l’enseignement de la danse les forme plutôt au silence, je crois qu’il est temps que ces corps dansants, experts de l’observation et de l’écoute du monde, s’adressent à nous avec toutes leurs puissances.

Comment définiriez-vous la singularité de votre recherche chorégraphique ?

Chaque projet ouvre une nouvelle recherche, une question, ou une urgence. Quels sont les effets des images (de jeu vidéo, de films de guerre ou d’horreur…) sur nos corps ? Est-ce que mon corps est chair ou image ? Pourquoi l’humanité danse-t-elle ? Que fait la cécité au corps et à la danse ? La dyskinésie, ces gestes qui nous échappent, sont-ils vecteurs de danse ? Peut-on convertir la voix en lumière ? Que faisons-nous de nos mort·e·s ? Y a-t-il une éthique du corps féminin ? À chacune de ces questions correspond une création. Je pense avoir décidé depuis longtemps, et peut-être d’abord à mon insu, de ne pas vouloir produire de pièces qui n’auraient pas un « effet » social, éthique ou politique. Je crois que la danse a une force de frappe singulière parce qu’elle donne la parole au corps, à ses humeurs, dans une société fondée sur la séparation morbide entre le corps et l’esprit. Je crois à la connaissance par le geste, et que la danse est phylogénétique, qu’elle a la faculté de « faire revivre à notre « matière humaine » des gestes millénaires qui nous relient à un fond commun de l’humanité sur tous les continents », comme le dit Jean-Paul Curnier dans son ouvrage Philosopher à l’arc. Que mon corps se rappelle des choses que ma conscience a oubliées. Je pense que la danse, comme le tir à l’arc ou d’autres pratiques corporelles qui ont traversé le temps peut nous donner la sensation d’une « présence de l’origine ».

Archée propose notamment une mémoire des corps féminins à travers la danse, pourriez-vous partager avec nous ce qui vous a conduit à cette création ?

Ce travail a été très marqué par la lecture du Mythe de la Virilité, d’Olivia Gazalée, de Métamorphoses d’Emmanuele Coccia, et du Rire de la Méduse, d’Hélène Cixous. Si j’évoque la thématique de la pièce, je dirais qu’Archée est une pièce autour de la puissance des femmes et de leur effacement dans l’Histoire de l’humanité. Et si j’évoque ce que vise Archée dans sa forme, dans sa dramaturgie, je dirais que nous cherchons à performer une nouvelle « mondiation » fondée sur les potentialités du féminin, une autre manière de figurer et d’habiter le monde. Je voudrais donner forme à une éthique, à des affects qui sont niés au sein des sociétés patriarcales. Mon objectif est de mettre en acte, en danse, en corps, en voix, sur le plateau, de nouveaux modèles relationnels qui permettent de construire des alternatives, de prendre en compte des états de vulnérabilité, de porosité. Chez les Inuits, ou sur l’île des Célèbes en Indonésie, il existe beaucoup plus de genres d’êtres humains que pour nous, en Occident. Les personnes qui vivent une transidentité ont un véritable statut au sein de cette société, parce qu’elles sont considérées comme plus riches, plus vastes. Archée tente de mettre en évidence la richesse de la diversité humaine dans un monde qui objective, tyrannise et oppose le corps des femmes et celui des hommes. Archée est aussi une façon de réparer le passé, de redonner aux femmes leur place dans l’Histoire de l’humanité, pour restaurer une mémoire équitable, sur laquelle bâtir l’avenir. Nous y performons, par l’entrelacement des corps, des récits, des voix, de nouvelles hypothèses historiques : quels indices avons-nous du rôle des femmes dans les peintures des grottes préhistoriques ? Quelle était la valeur du sang menstruel avant qu’il ne soit transformé en tabou par les religions monothéistes ? Comment les femmes ont-elles chassé et combattu aux côtés des hommes, avant que l’ordre viriarcal ne mette fin aux sociétés égalitaires pour bâtir un monde dans lequel la femme allait perdre ses puissances ?

Archée prend racine en 2017 dans un voyage au Japon, lors d’une résidence à la Villa Kujoyama à Kyoto, pour votre pièce La Maladresse. En quoi ce voyage a-t-il été déterminant ?

Au Japon, le geste est au service d’une spiritualité ou d’une vitalité qui dépasse la simple pratique. Durant ma résidence à la Villa Kujoyama à Kyoto, en 2017, j’ai assisté par hasard à une pratique de Kyudo (tir à l’arc traditionnel) qui rassemblait principalement des femmes. Elles pratiquaient un art martial très codifié, criaient, dégageaient une grande puissance et occupaient toutes les fonctions, notamment celle d’arbitre. Cette situation, qui m’est apparue soit comme très ancienne, soit comme une scène d’anticipation, a fait surgir l’idée du matriarcat comme organisation alternative du monde. Une société qui serait appuyée sur la puissance des femmes et sur leur capacité – réalisée ou non – à « mettre au monde » du nouveau. Lorsqu’on tire une flèche, au moment où on bande l’arc, le moment est suspendu entre l’intention de la visée – atteindre la cible, se concentrer sur la suite de l’action – et l’idée qu’une fois la flèche lâchée, quelque chose commence dont on ne connaît pas l’issue. Le tir à l’arc rejoint la mise au monde, comme expérience d’un processus intentionnel et aléatoire tout à la fois, comme acceptation d’être à l’origine de ce qui vous échappe, et n’existe qu’à vous échapper…

Comment votre recherche s’est-elle polarisée autour de la pensée féministe et environnementale ?

Dans la philosophie grecque, arkhè (aρχή) signifie l’origine, le commencement, le principe. Issu de ce mot grec «aρχή», le « matriarcat » signifie donc « mères depuis le début ». Cela renvoie à l’idée que, étant celles qui donnent naissance, les mères sont à la fois à l’origine de la vie et les créatrices des commencements de la culture. Avant que ne se répande la tradition aristotélicienne selon laquelle les femmes sont des mâles ratés, et que le féminin – y compris quand il s’exprime chez les hommes – est inférieur, la femme représentait vraisemblablement le pouvoir de vie, articulé au principe de l’antériorité : le féminin précède le masculin, et qu’il engendre Archée veut dire deux chose : le principe/le commencement/la source mais aussi le pouvoir. Si la Bible façonne Eve à partir d’une côte ou plutôt d’un côté d’Adam, d’autres récits ne renversent pas ainsi l’ordre des choses… La société viriarcale est un système hiérarchisé dont la sexuation détermine les structures de pouvoir : un monde fondé tout d’abord sur l’opposition et sur l’hostilité entre les sexes, puis sur l’exclusion, que celles-ci s’effectuent au nom du sexe, de la race, de la religion, des origines géographiques, des classes sociales. Archée fait l’hypothèse qu’il existe une éthique de la relation, une écriture du monde, une économie qui ne joueraient pas le jeu de la coupure, de la séparation, de l’affrontement, de la hiérarchisation. Et que ce mode opératoire pourrait être archaïquement lié à la capacité des êtres vivants – femmes et hommes – à donner naissance ou, comme le formule Emmanuele Coccia, à « engendrer de leur propre forme une forme différente qui partage la vie qui les anime. (…) La naissance est un lieu où travail et imagination, force et conscience, effort physique et psychique, doivent se lier et peuvent le faire de manière différente ». A quoi ressemblerait un monde qui, plutôt que de s’obséder de la mort et du vieillissement, célèbrerait la naissance et la transformation ? Et qui ferait une valeur de cette puissance d’engendrement « de toute éternité », de cette capacité métamorphique des humains ? Cette recherche et la pièce qu’elle engendre sont humanistes avant d’être féministes. Archée, est une question, pose question. Je ne propose pas une réponse, ce qui créerait un nouveau rapport de domination. Les questions d’Archée sont ouvertes et en partage, elles sont un va-et-vient entre les spectateurs et le plateau.

Pour Archée, vous avez composé une équipe d’interprètes exclusivement féminine, originaire de Taiwan, de Suède, d’Israël et de France. Comment avez-vous réuni cette équipe multiculturelle ?

Pour ce projet j’ai réuni Célia Gondol, Hanna Hedman, Sophie Lebre, Agnès Potié, Tamar Shelef, Wan-Lun Yu et Bi-Jia Yang, ainsi que les musiciennes Pénélope Michel et Annabelle Playe. Pour ce travail qui évoque la condition des femmes dans le monde entier, il était fondamental de rassembler des interprètes d’âges, d’expériences et d’origines différentes. Le cœur de la pièce est aussi nourri d’échanges entre nous et des récits de vie de chacune de ces femmes. Elles sont le fond commun d’Archée. La crise sanitaire a beaucoup entravé ces rencontres et nous n’avons été toutes rassemblées que très tardivement. Deux danseuses taïwanaises que j’avais rencontrées à Taipei en janvier 2020 dans le cadre d’un partenariat avec le NTCH, Théâtre National de Taipei, n’ont finalement jamais pu nous rejoindre.

Le paysage sonore occupe une place très importante dans la dramaturgie de la pièce. Pouvez-vous revenir sur le processus de création musicale d’Archée ?

J’ai souhaité associer deux puissances complémentaires : celle d’Annabelle Playe, qui exerce son art, « Noise » et compose à partir d’instruments électroniques, jouant avec les ondes, les accidents, et composant à partir de ces impulsions et ces flux ; et celle de Pénélope Michel, violoncelliste, dont la pratique musicale peut être écrite ou improvisée, vocale, instrumentale et électroacoustique. Elles composent ensemble un espace vibratoire qui entre en conversation avec les voix et les corps des danseuses-chanteuses. La dramaturgie favorise une indépendance entre ces fils qui se tissent, comme des brins d’ADN…

Avez-vous développé des outils de composition, d’écriture, spécifiquement pour ce projet ?

Je développe de nouvelles méthodes d’écriture et de nouveaux outils de composition pour chaque pièce. Je suis passionnée par l’idée que chaque discours ou pensée devrait – pourrait être – porté ou formulé à travers une forme différente. Pour Archée c’était plus important que jamais : nous devions inventer nos propres usages, notre langue, nos référents. Nous devions mettre en acte nos cris et nos affects, fussent-ils inquiétants, dérangeants, et refuser l’ordre établi du récit et de la représentation occidentale, qui se fondent sur une dramaturgie conflictuelle et transcendante, qui produit du fatalisme et de la résignation. Il s’agissait de s’attaquer à ce qui structure nos pensées, nos rapports et nos corps. Cela devait passer par beaucoup de temps de vie ensemble, d’horizontalité, d’échanges de savoirs, d’oralité. La pièce est tout d’abord apparue comme un jaillissement, à travers l’activation quotidienne et non hiérarchisée de pratiques vocales, de soins, de lectures. Je voulais mettre en jeu une « une économie libidinale » au sens du désir et de la pulsion de vie, en faire une grammaire qui soit le négatif – au sens photographique du terme – de la pulsion de mort alimentée par notre société. En parallèle de ces échanges, je travaillais sur la conduite du spectacle, sur le chemin que nous pourrions proposer aux spectateur·rice·s.

Pour Archée vous avez été initiées à la pratique du chant de gorge inuit. Pouvez-vous nous parler de cette cette expérience ?

Pour chaque projet, je propose, pour les corps des interprètes, une pratique qui a la faculté de mettre en abyme le sujet que nous explorons ensemble, comme, par exemple,, la pratique du jeu vidéo, l’escrime ou l’écholocalisation. Cela permet d’éprouver les corps à travers une expérience originelle commune et propre à chaque pièce. Pour Archée, c’est la « mise en voix ». Dans ce contexte mondial d’effacement et de discrimination de la part féminine du monde, porter la voix, prendre la parole sont des réponses spontanées et une nécessité vitale qui m’ont conduit à mettre au centre le travail vocal, qui donne naissance aux gestes, à la danse et aux situations de plateau. Avec le concours de notre « metteuse en voix » Anne-Laure Poulain, nous avons forgé nos voix comme des armes, travaillé la saturation, le cri, afin que les interprètes puissent libérer leur puissance vocale. J’ai aussi demandé à Marie-Pascale Dubé de nous initier à la pratique du chant de gorge inuit, fondé et pratiqué depuis des temps immémoriaux par les femmes du Nunavik (Québec). Traditionnellement pratiqués deux par deux, ces chants en canon dont l’un des effets est de réchauffer les corps à travers le passage du souffle, sont aussi berceuses, jeux et joutes, ou conversations sur le monde, puisque ces chants, fondés sur des sons gutturaux entrecoupés de voyelles, imitent les sons de l’environnement (le chant de la scie qui coupe le bois, le chant de la rivière ou du vent…). Nous avons pris appui sur cette pratique millénaire pour mettre en commun les souffles de toutes les femmes d’Archée, et créer une matrice vocale qui au début de la pièce, donne naissance aux puissances nécessaires au groupe : la relation avec ce qui est invisible, l’émergence et la prolifération du vivant, la nature sauvage, la puissance martiale.

Vous avez également proposé à une partie de l’équipe de participer à des ateliers avec une spécialiste de la transe.

En effet, au tout début du travail, certaines d’entre nous ont été initiées à la transe. Au commencement de cette création, j’ai souhaité que chacun·e des collaborateur·rice·s proposent des pratiques, partagent des savoirs ou des expériences. Il s’agissait de mettre en jeu de purs échanges, de créer du commun, avec l’intuition que cela allait laisser des traces sur nos corps et nos psychés. Annabelle Playe, l’une des musiciennes d’Archée, avait entendu parler de Corinne Sombrun, écrivaine et ethnomusicienne formée à la transe par des chamanes de Mongolie. J’ai suivi ce fil et j’ai rencontré Corinne, qui travaille depuis 20 ans avec des neuroscientifiques sur les états modifiés de conscience. À partir d’analyses scientifiques sur ses propres états de conscience, elle a créé avec des musicien·ne·s des bandes sonores qui ont la capacité d’induire la transe chez les personnes qui les écoutent. Cette induction n’est jamais séparée de l’usage de la voix par Corinne Sombrun, qui dirige et accompagne cette initiation. Malheureusement la crise sanitaire a rendu impossible ce rassemblement inaugural et seule une partie de l’équipe a pu se réunir en octobre 2020 pour traverser cette expérience. Je cherchais, avec cette pratique, à libérer les corps en déployant leur puissance, à faire remonter des mémoires enfouies… À mesurer aussi le pouvoir de la vocalisation sur nos corps. Quelle trace cette expérience a-t-elle laissé dans la pièce ? Je sais qu’elle a ouvert des espaces inconscients, neufs, pour certaines d’entre nous…

Archée se termine avec une séquence qui fait référence aux peintures des grottes préhistoriques. Comment articulez-vous ces images avec la dramaturgie de la pièce ? 

Avec Archée, je souhaitais remonter le fil du temps. Certains anthropologues font l’hypothèse que dans les petites communautés de chasseurs-cueilleurs – chasseuses-cueilleuses – lorsque les femmes perdaient du sang, elles devaient se retirer du groupe pour ne pas attirer les prédateurs. Et que ces femmes auraient pu se réfugier dans des grottes, par exemple. Ces réunions mensuelles auraient été l’occasion de pratiquer des danses, des rituels, des chants, d’échanger des savoirs, et pourquoi pas de réaliser de magnifiques fresques pariétales. J’ai discuté avec Carole Fritz, spécialiste de l’art préhistorique et directrice scientifique de la grotte Chauvet Pont-d’Arc, de la bataille qu’il lui faut mener pour faire de la place aux femmes dans le passé. Dans notre imaginaire contemporain, l’art, quand il est majeur, n’est jamais le fait des femmes. Les peintures (plus de 700 motifs graphiques, ndlr.) qui ornent la grotte du Pech Merle dans le Quercy, par exemple, ont longtemps été attribuées à des hommes, mais de nouvelles études scientifiques apportent un autre point de vue. Et si ces œuvres, ces possibles danses, cette musique du paléolithique faisaient partie du matrimoine de l’humanité ? Avec Archée, je propose de performer de nouvelles hypothèses historiques. Les interprètes laissent au présent sur le plateau les traces de leurs mains, de leurs corps, comme si elles emboîtaient le pas à leurs aïeules, qui ont fait œuvre et corps il y a 30000 ans. Je suis certaine que de rouvrir toutes les possibles places des femmes dans le passé nous permet de potentialiser le futur.

Le processus de création s’est déroulé dans le contexte de crise sanitaire. Comment avez-vous vécu cette période ? Ce contexte a-t-il modifié votre pratique, votre écriture, fait émerger de nouvelles envies au plateau, a fait dévier votre intention de départ ?

Je crois que cette crise, dite sanitaire, nous a tou·te·s fortement impacté·e·s et ébranlé·e·s. Elle a été caractérisée par l’affirmation « officielle » de la vulnérabilité des corps, la répétition quotidienne de la dangerosité du corps de l’autre – potentiellement porteur de mort – la défiance, la limitation ou l’interdiction du lien et des pratiques sociales. Tous ces aspects, qui ont traversé notre vécu réel comme nos imaginaires et nos psychés, sont les ingrédients d’une société patriarcale poussés à leur paroxysme. Une société qui se nourrit du sacrifice de l’amour. La création d’Archée a été profondément fragilisée et retardée. Cette période a été marquée par la difficulté de se regrouper et le risque de la transmission virale, au cœur d’une création qui se fonde sur l’échange de souffle, le toucher et la relation. La collaboration avec Corinne Sombrun a été entravée puis interrompue par les confinements successifs et les mesures sanitaires, tout comme la pratique du Kyudo, que j’avais envisagée comme un rendez-vous régulier pour les interprètes. Nous avons perdu beaucoup de temps de travail et d’expérience. Et justement, dans un contexte de dystopie réelle, nous ne pouvions pas simplement produire un spectacle ou des représentations. Les premiers rendez-vous avec le public au Festival d’Avignon en juillet 2021 ont été une étape majeure sur le chemin d’Archée. La rencontre a été physique, passionnelle, débordante. Et la pièce continue d’advenir. 

Archée, vu au Phénix scène nationale, dans le cadre du NEXT festival à Valenciennes.  Conception, mise en scène Mylène Benoit, assistée de Lilou Robert.Chorégraphie Mylène Benoit avec Célia Gondol, Hanna Hedman, Sophie Lebre, Agnès Potié, Marcela Santander, Tamar Shelef, Wan-Lun Yu, Bi-Jia Yang (en alternance) Et les musiciennes Pénélope Michel et Annabelle Playe. Dramaturgie Céline Cartillier. Dramaturgie sonore Manuel Coursin. Lumière Rima Ben Brahim. Photo © Delphine Lermite.

Le 4 mai à la Maison de la Culture d’Amiens