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Louise Baduel, Loop Affect

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 14 mars 2023

Résolument pluridisciplinaire, le travail de Louise Baduel se situe à la croisée du théâtre, de la danse, de la musique et des arts visuels. Avec sa nouvelle création LOOP AFFECT, la chorégraphe s’appuie sur la figure de la boucle en tant que stratégie créative et objet esthétique pour explorer son histoire familiale et questionner les notions de transmission et de cycles naturels. Inspirée par les paysages montagneux photographiés par son grand-père, elle puise dans sa propre histoire et ses souvenirs d’enfance pour construire et activer un environnement plastique, chorégraphique et musical, à partir duquel de nouvelles fictions spectaculaires peuvent être partagées. Dans cet entretien, Louise Baduel partage les rouages de sa recherche et revient sur le processus de création de LOOP AFFECT.

Vous développez depuis plusieurs années un travail pluridisciplinaire, qui puise autant dans le théâtre, la danse, la musique, la performance, les arts visuels… Pourriez-vous revenir sur les différentes réflexions qui traversent aujourd’hui votre recherche artistique ?

Je pense que c’est avant tout la richesse de l’offre culturelle à Bruxelles qui m’amène à penser mon approche chorégraphique de manière très élargie. J’aime aller voir de la danse, du théâtre, des concerts, des expositions et lorsque je me lance dans une nouvelle création, ce sont toutes ces influences qui m’animent. En tant que chorégraphe, ma première préoccupation est de créer des ponts avec le public. Je me demande ce que les spectateur·rices perçoivent, projettent, ressentent et imaginent et comment rendre mon approche chorégraphique plus généreuse, plus ouverte, plus lisible ? C’est assez naturellement que j’ai ressenti le besoin d’utiliser la parole et la musique pour faire passer des idées, transmettre des émotions et aussi de transformer l’espace pour créer des sensations visuelles autour de la danse. Tout cela, je ne le développe pas seule, mais en étroite collaboration avec tous les artistes qui m’accompagnent sur un projet. Et si mon travail est pluridisciplinaire, c’est aussi parce qu’il est le réceptacle d’une profusion d’idées construites collectivement avec le compositeur, l’éclairagiste, le scénographe et l’auteur. Constituer une équipe au début d’un projet est devenu un véritable moteur créatif.

LOOP AFFECT résulte de la découverte d’une boîte à diapositive de votre grand-père… Pourriez-vous retracer la genèse et l’histoire de cette création ?

À l’origine du projet, j’avais la volonté de travailler sur la figure de la boucle, de la répétition, en tant que stratégie créative et objet esthétique. Pendant le processus de création, j’ai commencé à voir des boucles dans toutes les dimensions de ma vie, notamment dans le deuil de mon grand-père que j’étais en train de vivre et dans l’attente de l’enfant que je portais. La fin et le début de la vie semblaient se répondre. À ce moment-là, j’ai retrouvé des centaines de diapos que mon grand-père avait prises. Et en scannant chaque photo une par une, j’ai découvert que la montagne était son principal sujet photographique. Une photo n’est jamais la réalité elle-même, elle est toujours mise en scène, cadrée, filtrée, prise depuis un point de vue. Et lorsqu’on la redécouvre des années plus tard, s’enclenche un processus qui mêle intimement mémoire et fictionnalisation. Cet amour pour la montagne était l’héritage qu’il voulait nous laisser et c’est aussi à travers la montagne que je voulais me souvenir de lui. Dans LOOP AFFECT, la photographie est devenue un élément central qui évoque le passage du temps, la mémoire et l’héritage familial. On assiste à la réinterprétation, la re-création de souvenirs et de sensations qui ouvrent de nouveaux horizons et je l’espère convoque les propres souvenirs des spectateur·rices.

Comment s’est organisé l’écriture de LOOP AFFECT ? Pourriez-vous revenir sur le processus de création avec vos collaborateur·ices ?

LOOP AFFECT est un spectacle très personnel mais c’est aussi le fruit d’un travail d’équipe. C’est la rencontre entre la musique électronique et envoûtante de Marc Melià, l’écriture humoristique et poétique de Sébastien Fayard, la scénographie évolutive de Donatien de le Court et le dispositif lumière de Meri Ekola. Chacun·e d’eux·elles est venu avec ses propres compétences, expériences, exigences, réflexions, obsessions et névroses. Ils ont tous·tes un univers fort dans leur travail personnel et l’enjeu était de donner une place à la créativité de chacun·e. Pendant le processus, chaque membre de l’équipe était responsable de sa discipline tout en restant à l’écoute des propositions des autres. En mettant nos égos de côté, les idées évoquées appartenaient directement à l’ensemble du groupe ainsi chacun·e pouvait apporter sa contribution à l’amélioration d’une idée proposée. Cette approche collaborative a pu fonctionner car nous avions tous un objectif commun : créer une expérience scénique autobiographique, originale, douce et sensible, en donnant la place à nos différentes disciplines artistiques. C’était une expérience collective très enrichissante et j’espère que cet esprit d’équipe se ressent dans le spectacle. D’ailleurs pour ma prochaine création, SOLEIL CONSTANT, c’est avec enthousiasme que je retrouverai la même équipe qui sera complétée par Leslie Ferré, une styliste et designer textile slow fashion, et par l’interprète Pascale Gigon.

L’environnement sonore et musical occupe une place essentielle de la dramaturgie. Pourriez-vous revenir sur votre collaboration avec Marc Melià et sur le processus musical de LOOP AFFECT ?

La musique de Marc Melià, plus particulièrement son album Music for Prophet, était un des premiers moteurs du projet. Sa musique est entièrement électronique, elle est minimaliste, répétitive, progressive et composée de boucles. Et surtout j’avais très envie de comprendre et de décomposer ses morceaux afin de nourrir l’écriture chorégraphique.Marc Melià a accepté d’adapter un de ses morceaux Fata Fou à la scène pour ce projet. Ensemble, toujours dans le but de créer des ponts avec le·la spectateur·rice, nous avons choisi de dissocier chaque boucle sonore afin d’exposer son travail de composition et de le rendre encore plus lisible et accessible. En plongeant à l’intérieur de cette composition minimaliste, le spectateur·rice peut mieux apprécier la force de son apparente simplicité. À la fin du spectacle, je laisse place à la contemplation de l’image scénique sublimée par la lumière de Meri Ekola et à la musique. À ce moment-là, l’association son et image prend une nouvelle dimension, la force des paysages montagneux, avec ses vallées et ses monts brumeux nourrit notre perception sonore et donne encore plus de puissance à la musique.

Votre écriture chorégraphe s’est concrétisée/formalisée en lien avec un environnement plastique. Comment avez-vous conceptualisé l’espace de LOOP AFFECT ?

Avec le scénographe Donatien de le Court, nous nous sommes interrogés sur la question de l’environnement visuel et plastique que nous voulions convoquer sur scène. L’idée était de construire un visuel fort à partir d’éléments très simples. Faire beaucoup avec peu était notre devise. Nous avons rassemblé sur scène des éléments basiques : des objets trouvés dans un théâtre, des matériaux de construction, une bâche de chantier, des couvertures de survie, des profils en bois, de l’eau, un ventilateur… avec l’ambition de créer un paysage montagneux composé d’un lac, de reliefs, de nuages et de pluie. Au tout début du spectacle, les éléments scénographiques sont mis à plat comme dans un mode d’emploi IKEA où tout est prêt à être assemblé. Et au fur et à mesure de la représentation, des images sont construites sans rien dissimuler. La scénographie, on la veut transparente, accessible à tous·tes. Mais par la suite, la lumière vient sublimer le dispositif, avec ses couleurs et ses contrastes, par un jeu de reflet sur l’eau. Le vent se lève, la tempête monte et s’étend vers le public. Nous amenons le spectateur·trice dans une grande randonnée, pour l’immerger dans la fraîcheur de ce paysage montagneux qu’il·elle ressent physiquement. Depuis LOOP AFFECT, l’influence des arts plastiques prend de plus en plus d’importance dans mon travail et l’envie de développer des visuels forts à partir d’idées simples et transportables est devenu un objectif pour mes prochaines créations.

Comment avez-vous fait émerger la fiction du biographique ? Comment avez-vous chorégraphiquement abordé cette matière ?

Cela faisait longtemps que je ne m’étais pas confrontée à l’exercice du solo. Je me suis d’abord demandé en tant que spectatrice, ce qui m’intéressait dans cette forme du seule en scène, et très vite, je suis venue avec un désir d’humanité, d’honnêteté et de transparence. Je voulais être un corps qui se dévoile par sa présence, sa gestuelle et aussi par son histoire. Un corps de danseuse qui parle. Mon histoire et celle de ma famille n’avait rien d’exceptionnel. Mais je me suis dit qu’il y avait quelque chose de beau à donner de l’importance au banal. Le comédien et auteur Sébastien Fayard m’a accompagné dans le processus d’écriture de cette histoire de famille que l’on voulait à la fois intime et universelle. Il m’a aidé à replonger dans mes souvenirs et s’est donné la liberté de les réinterpréter. Ensemble on a construit un récit autobiographique, une histoire de famille qui peut ressembler à toutes les familles. Sébastien a une approche sensible et humoristique qui permet d’aborder des sujets graves ou tragiques avec simplicité, sans tomber dans le pathos. On aborde le deuil comme un élément déclencheur de création, de renouveau. On donne une image forte de la femme en faisant un parallèle entre sa puissance reproductive et la montagne, entre féminisme et écologie. On interroge notre rapport linéaire au temps qui passe pour proposer une vision plus cyclique. On emporte les spectateur·trices dans un voyage sensoriel et convoque leurs souvenirs intimes. De la même manière, qu’on a exposé la scénographie et décomposé la musique, les bases du mouvement dansé sont expliquées aux spectateur·trices qui assistent à une forme de tutoriel de danse, toujours dans l’idée que ce qui est présenté sur scène est accessible à tous·tes. Par la suite, la danse se déploie totalement dans une scène finale. Le corps qui danse est alors porté par toute l’histoire développée au fil de la représentation.

Chorégraphie et interprétation Louise Baduel. Musique Marc Melià. Texte et dramaturgie Sébastien Fayard. Scénographie Donatien de le Court. Lumière Meri Ekola. Conseils dramaturgiques Pascale Gigon. Développement et diffusion Bloom Project. Photo Constance Proux.

LOOP AFFECT est présenté le 18 mars au Festival Artdanthé