Photo © Marc Domage scaled

Raphaëlle Delaunay & Jacques Gamblin, HOP !

Propos recueillis par Mélanie Drouère

Publié le 26 janvier 2023

Quand Raphaëlle Delaunay, danseuse et chorégraphe, et Jacques Gamblin, acteur et réalisateur, croisent leurs talents, leurs désirs, leur curiosité d’autres horizons et la palette de leur humour, ça donne HOP ! Venu de nulle part sinon de l’envie de travailler ensemble, le pétillant duo nous livre ici les cheminements de son processus de création. Patchwork de micro-récits laissant libre cours à l’imagination, dans la veine des grandes figures du burlesque, la pièce se déploie dans un jeu ludique et mécanique entre danse, théâtre, texte et clown. Dans cet entretien, Raphaëlle Delaunay et Jacques Gamblin partagent les rouages de leur duo et le processus de création de HOP !

D’où vient l’idée de HOP ! ? Quelle est la genèse de votre duo ?

Raphaëlle Delaunay : Sa genèse, ou la façon dont nous l’avons créée, explique précisément le fait que nous ayons des difficultés à parler de cette pièce. Nous sommes partis de presque rien, sinon une grande envie de travailler ensemble, c’est-à-dire sans thème, sans intention préalable, sans idée. Nous nous sommes jetés dans le vide. Ça a commencé comme un instantané du studio où nous avons commencé à travailler et de ce qui nous traversait alors. Puis nous avons peu à peu été rattrapés par le sens de ce que nous faisions, qui nous a en premier lieu débordés. Le travail a dès lors consisté à essayer de canaliser, d’orienter, de réorganiser et surtout de restituer ce premier jet dans la richesse et la complexité qu’il a déployées de manière inattendue. En effet, dans cette rencontre entre Jacques et moi, un comédien et une danseuse, dans cette période d’improvisation, il y a eu quelque chose de l’ordre d’une déflagration. C’est pour cette raison que nous peinons à résumer HOP !, nous ne pouvons pas dire que la pièce parle de ceci ou de cela, car c’est toujours beaucoup plus que ce que nous avons voulu raconter.

Vous aviez déjà travaillé ensemble lors d’un tournage. Votre envie de partager un travail au plateau vient-elle de cette première collaboration ? 

Raphaëlle Delaunay : Nous avons effectivement collaboré sur un court-métrage qui s’intitule VIA !, qui a été projeté pendant au Centquatre-Paris dans le cadre du Festival Séquence Danse Paris la saison dernière et qui continue sa vie dans de nombreux lieux. Initialement, il s’agissait d’une commande du Grand Palais pour l’exposition autour de Michael Jackson.

Jacques Gamblin : C’est en effet lors de ce projet que nous nous sommes rencontrés et avons évalué la possibilité de travailler ensemble. Raphaëlle était la conceptrice de VIA ! et j’en étais le réalisateur. Pour HOP !, nous deux sur un plateau, c’est un partage, avec chacune et chacun ses obsessions respectives, ses cocasseries, ses systèmes, ses névroses, ses autorités, ses rapports à l’espace, etc. Il va de soi que, dans le cadre d’improvisations, toutes ces dimensions sont à mettre en jeu les unes avec les autres. C’est seulement par la suite que nous avons construit des séquences à partir de tous ces éléments et que quelque chose a clairement émergé.

Vous avez tiré de cette série d’improvisations une forme chorégraphique qui s’attache à la question de la prise de possession d’un espace et/ou de son partage. Comment cette interrogation en particulier a-t-elle surgi dans votre processus de création ? 

Raphaëlle Delaunay : Nous avons de fait réalisé qu’il y avait un protagoniste autre que nous deux dans cette histoire : l’espace. Nous parlons beaucoup de cet espace vide, du plateau ou du studio… Et cette question a organisé une dialectique entre nous : comment utiliser cet espace ? Quand je parle d’espace, cette notion recouvre aussi l’espace sonore. Jacques est un habitué des mots, mais moi pas du tout. Il s’agissait donc de prendre possession de l’espace du champ visuel et du champ sonore à la fois. Finalement, qu’est-ce qui fait autorité ? Il y autant de rapports d’autorité véhiculés et instaurés par des prises de parole que par des prises d’espace physique. En tout cas, il n’y a évidemment pas de violence – même si nous rions des clichés -, au sens où nous nous sommes généreusement inspirés de duos de clowns, dont on retrouvera les méchancetés et autres petites bassesses, mais elles n’ont bien sûr aucun impact sur nous, c’est du jeu. Il s’agissait de retrouver une forme de candeur dans l’attribution des rôles, parce que Jacques reste malgré tout un homme et moi une femme, ce qui peut orienter le regard du spectateur, quoique nous ayons essayé d’abolir cette image pour atteindre une dimension la plus ludique et universelle possible.

Ces deux êtres sont-ils pour vous des « personnages » ?

Jacques Gamblin : Bien que la tendance soit toujours de s’accrocher, de se rassurer avec une histoire, des personnages, une localisation, une dramaturgie, un début, un milieu, une fin, en réalité cette pièce est plus « patchworkée » que ça. L’espace lui-même, nu, blanc, qui ressemble à un studio de danse si on veut être rassurant, est en fait aussi un non-lieu, voire un au-delà, un no man’s land… Il est certain qu’une histoire va se raconter entre ces deux personnages, mais c’est avant tout la manière dont ils se rencontrent qui est singulière, parce qu’elle touche au clown, elle touche au burlesque.

Raphaëlle Delaunay :
Dans ce spectacle séquencé nous avons en effet plusieurs identités. Et d’un sketch à l’autre, nous nous déclinons, nous nous transformons dans une dynamique très composite. Cette rencontre est un carrefour pour raconter toute la complexité de la relation à l’autre, la ou les façons dont on se laisse déborder, influencer, dont on se laisse mener par le bout du nez et la façon dont, réciproquement, on titille l’autre, dont on va abattre ses défenses. Voilà ce qui se joue entre ces deux personnages, qui vont apprendre à se connaître, à s’apprécier, éventuellement à se supporter. Qu’est-ce que l’autre, finalement ? L’autre est un catalyseur. Le personnage qu’incarne Jacques va ainsi réaliser qu’il a tout un champ émotionnel à découvrir par le biais de la danse. Quant à elle (moi), elle se rend compte qu’elle a des choses à dire et qu’elle ne sait pas comment les dire. Il y va bien sûr du théâtre et de la danse. Il y a ce que les mots ne peuvent pas dire alors le corps prend le relais. Et le sens ne prend pas la même couleur selon qu’il est transmis par le geste ou par les mots.

Cette considération donne très envie de vous poser la question en miroir, de façon plus personnelle, en-deçà des personnages. Jacques, vous êtes avant tout un homme de théâtre et de cinéma ; que vous apprend et quelles sensations autres la danse vous procurent-elle ? Raphaëlle, vous êtes danseuse et chorégraphe, quel nouveau rapport aux mots cette démarche interdisciplinaire vous apporte-t-elle ? 

Raphaëlle Delaunay : Jacques aime la danse, certes, mais, venant du théâtre, il y a toujours ce besoin de vouloir prendre le spectateur par la main, de le rassurer, de contextualiser ce que nous faisons ; dès la recherche, il y a quelque chose de plus cartésien. Sans être une adepte des projets complètement ésotériques ou incompréhensibles, je fais suffisamment confiance à la danse et à ce que nos corps produisent comme sens pour me permettre parfois de faire l’économie d’expliquer. Il faut accepter d’être dépassés, nous ne contrôlons pas tout ce que nous racontons. De la même façon, puisque ce spectacle contient du texte, je réalise qu’une technique de comédienne est nécessaire et je m’y colle. Le fait d’être avec un comédien qui maîtrise son instrument me « challenge », à la fois en matière de rythme, de façon d’être au plateau et d’incarner, de porter les mots. J’ai l’impression de faire mes premiers pas de comédienne. De plus, Jacques étant un comédien populaire, nous savons que nous nous adressons à un public qui attend des mots, qu’il ne faut pas frustrer à cet endroit.

Jacques Gamblin : Ce spectacle raconte également le désir de l’un d’aller dans le mouvement et de l’autre vers la comédie.

Une fois les différentes strates issues des improvisations, comment et avec qui avez-vous travaillé à la fois les écritures chorégraphique, textuelle et sonore ? 

Jacques Gamblin : Au tout début, nous avons travaillé tous les deux en studio de danse avec une caméra, puisqu’une improvisation ne peut se fixer qu’à l’aide d’une caméra. Par la suite, nous avons travaillé avec Emmanuel Daumas qui a suivi toutes les répétitions et qui est un collaborateur artistique précieux dans l’accompagnement de ce travail. Puis, Eric Soyer est arrivé à la scénographie et à la lumière, Lucas Lelièvre au son. Nous avons constitué notre équipe avec des personnes que nous connaissions, Raphaëlle et moi, en essayant d’être en symétrie – c’est très important – de la même manière que nous signons tous les deux la mise en scène. Nous avons tout fait dans la parité. 

Raphaëlle Delaunay : Lors de cette deuxième étape, toute la difficulté a été d’élargir ce cadre qui était en premier lieu donné par la caméra. Concernant l’écriture de plateau, nous ressentions une forme de satisfaction à découvrir ce que nos improvisations rendaient à l’écran, parce que nous avions maîtrisé le cadre. Mais après le cadrage vient la cage de scène et il faut alors repenser cette écriture tout en sachant que ce ne sont ni les mêmes enjeux, ni les mêmes conventions. À ce moment-là, il nous a fallu l’aide d’une tierce personne, c’est ici qu’Emmanuel Daumas est intervenu, de même que nos collaborateurs au son et à la lumière participent pleinement du processus de création. Il n’en reste pas moins que, dans cette pièce, je suis la victime qui devient le bourreau… Il y a quand même de l’Auguste et du clown blanc dans notre association ! (rires)

Jacques Gamblin :
Le texte quant à lui provient d’une écriture instantanée née au plateau, très orale, puis a fait l’objet d’une réécriture à la table. Le point de départ, la matière première, dès que nous avons mis un pied sur le plateau, a été le plaisir qui produisait une écriture riche, absurde aussi et c’est ce qu’il nous faut retranscrire. Tout fonctionnait ; on le sait tout de suite quand on improvise bien avec quelqu’un. Nous ne nous sommes pas cherchés, nous avons trouvé nos places.

Textes, mise en scène, interprétation : Raphaëlle Delaunay, Jacques Gamblin. Collaboration artistique : Emmanuel Daumas. Lumières et dispositif scénique : Eric Soyer. Son : Lucas Lelièvre. Régie générale et lumières : Laurent Bénard. Régie son : Simon Denis ou Nicolas Perreau. Assistante de tournée : Tina Hollard. Production, diffusion : Françoise Lebeau. Photo © Marc Domage.

HOP ! est présenté du 4 au 11 février au Centquatre-Paris dans le cadre du Festival Les Singulier·es