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Young Boy Dancing Group, vers une nouvelle écologie de la danse

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 31 août 2018

Adoptant une imagerie dite “néo-rave”, le Young Boy Dancing Group a été créé en 2014 avec l’ambition de critiquer les modes de production chorégraphiques et de répondre aux nouvelles problématiques engagées par notre culture 2.0. Les performances du collectif se nourrissent d’un large panel de références qui empruntent autant à l’acrobatie, à la vidéo, à la danse, à la sculpture qu’à la mode et aux nouvelles technologies, à travers des improvisations post-humanistes. La composition du groupe évolue autour d’un noyau dur composé notamment de Tomislav Feller, Nicolas Roses, Nils Amadeus Lange, Maria Metsalu, Manuel Scheiwiller, Valentin Tszin, Ofelia Jarl Ortega… Rencontre avec l’équipe artistique.

Comment le Young Boy Dancing Group s’est-il formé ?

Nous nous sommes rencontrés pendant l’été 2013, à l’occasion de cours intensifs à la Martha Graham School à New York. Au début, nous étions un simple groupe d’amis passionnés par la danse moderne, qui s’amusaient ensemble. L’échange constant d’idées entre nous étaient si stimulant et fructueux que la collaboration s’est construite par la suite de façon très naturelle. Partager un mode de vie commun et un point de vue esthétique sur les arts visuels a permis un travail collectif efficace… Nous avons choisi le nom “Young Boy Dancing Group” d’après “Young Girl Reading Group”, un autre collectif dirigé par Egle Kulbokaite et Dorota Gaweda. Nous avons commencé par faire des vidéos chez nous, que nous partagions ensuite sur Youtube.

Pourquoi choisir de diffuser votre travail sur le web, et non directement à travers les circuits classiques ?

Diffuser notre travail sur Internet était au départ une manière d’éviter les salles de spectacle et les espaces d’exposition, comme si Youtube pouvait être un nouveau théâtre. Il y avait sans doute aussi un soupçon de critique des institutions dans cette démarche… Nous étions très intéressés par le travail du cinéaste allemand Gerry Schum qui a réalisé des œuvres telles que Fernsehgalerie (TV-Gallery), qui permettait une grande visibilité d’oeuvres d’art isolées, comme celles du Land Art, grâce à la télévision. Youtube permet de dégager notre travail des problématiques de diffusion, puisque n’importe qui peut avoir accès à nos performances, n’important quand, n’importe où. Nous avons ensuite été invités par Mehdi Brit en 2014 au Silencio à Paris, c’était notre toute première « représentation publique » et comme pour nos vidéos, le contenu de la performance n’a été décidé que quelques heures avant la soirée.

Vous performez à même le sol, au milieu des spectateurs. Quel rapport avec le public ce dispositif induit-il ?

Nous avons abordé la question du spectateur en nous demandant comment l’élargir, comment passer d’un visionnage passif à une réception plus active. Alors il a fallu nous concentrer davantage sur notre propre activité et notre propre expérience pour changer la façon dont le public reçoit le spectacle. La proximité du spectateur est très importante pour nous car elle nous rapproche des gens non seulement physiquement mais émotionnellement. Cela permet au public d’interagir avec nous à plusieurs niveaux.

Vous vous produisez dans différents lieux, comme des galeries d’art, des night clubs…

Ces espaces fonctionnent différemment par rapport à la production de valeur. Nous avons joué dans divers contextes dans le passé, avec de bonnes et de mauvaises expériences. La boîte de nuit est très fortement liée à certains modes de vie et est donc certainement un endroit très intéressant à représenter dans un contexte de white cube, où les performances gagnent une diffusion et une attention plus solides, durables. Au début, nous jouions principalement dans les boîtes de nuit certainement par critique, dans la recherche de lieux plus authentiques. Au regard de nos antécédents dans le domaine de la danse, le théâtre est l’endroit le plus évident pour être représenté, mais il ne serait pas vraiment dans l’intérêt du travail de le montrer dans une boîte noire traditionnelle. Le théâtre et le white cube sont fermement fondés sur la projection de valeur. Nous préférons plutôt les lieux où le public ne détient pas déjà une connaissance approfondie de la danse et des arts de la scène. De plus, le fait que les théâtres et les clubs facturent tous les deux l’entrée transforme immédiatement le spectacle en service, alors que dans les galeries, l’entrée est gratuite et transforme la représentation en un moment de partage. Après avoir pesé le pour et le contre, nous pensons que l’espace d’exposition est le plus adéquat pour nous.

Quels sont les grands axes de travail qui animent votre pratique collective ?

Nous fonctionnons beaucoup par énergie sexuelle, que certains d’entre nous appellent eros. Nous sommes également animés par différents sujets tels que la critique des institutions, la culture rave, l’identité queer et la croyance que la danse moderne devrait être divertissante. Idéologiquement, nous tenons à respecter une écologie absolue, à ne créer aucun déchets. Nos costumes sont ainsi tous réalisés à partir de vêtements trouvés et retouchés spécialement pour les performances. Chacune d’entre elles étant spécifique au lieu où elle est accueillie, les répétitions ne sont prévues que quelques heures avant de jouer.

Existe-t-il cependant des grands thèmes transversaux à l’ensemble de vos performances ?

Nous ne croyons pas en l’idée de hiérarchie, qu’elle soit institutionnelle, induite avec les spectateurs, les performeurs ou la performance en elle-même. Nous croyons au contraire à notre capacité d’évolution, notre acuité à n’être jamais les mêmes, dans une grande fluidité. Nous essayons de nous dégager des structures mercantiles et d’assumer une liberté très stricte dans les sujets que nous traitons, la sexualité, la paternité, l’institutionnalisation et les bouleversement dûs au numérique. Tous nos membres mènent leurs propres recherches et les confrontent aux diverses expertises du reste du groupe. Des questions sont toujours présentes dans chacunes de nos performances, même si elles sont mises en scène et organisées de façon différente à chaque fois : elles sont toujours construites autour de questions sur la critique des institutions, le post-humanisme, la danse, l’inconscient, les paysages post-apocalyptiques, le Do It Yourself, les acrobaties, le genre… Nous avons été particulièrement influencés par l’univers du film animé Ghost in the shell.

Vos performances combinent différents médiums et l’usage des nouvelles technologies. Comment ces outils interagissent-ils avec le médium danse ?

Nous envisageons la danse comme un moyen de nous exprimer, mais nous utilisons aussi la musique, la lumière, la mode et Internet. La danse est sur le même plan que les vidéos, les images ou les vêtements que nous produisons. Nous cherchons à produire des happenings sculpturaux, à améliorer, à augmenter nos corps, en mélangeant tous ces médiums. Nous n’utilisons pas vraiment de lumières ou d’effets théâtraux car nous ne voulons rien cacher. Cela nous aide à nous éloigner de l’idée d’un «spectacle» et à nous rapprocher de l’idée d’un événement ou post-happening. Avec la musique, c’est la même idée : nous choisissons les morceaux et les musiciens avec lesquels nous voulons collaborer simplement parce que nous les aimons. La performance n’est pas « chorégraphiée » en tant que telle sur la musique, même si nous gardons un rythme ou un ton particulier en tête quand nous travaillons… il nous arrive parfois de fixer des gestes à des moments précis, mais c’est vraiment quand ça nous semble particulièrement judicieux !

Parmi ces récurrences dans vos performances, nous retrouvons la séquence pour laquelle des lasers sortent de vos anus…

Cette image provient d’un manga dans lequel une acrobate lance un puissant rayon laser depuis son utérus. Il y a un grand tabou autour des « trous d’amour » dans notre société, donc dès qu’il est transgressé, les gens accourent. Dans nos performances, nous cherchons généralement des actions qui élargissent les possibilités du corps. Mais honnêtement, cette séquence ne constitue qu’une petite scène dans d’un long spectacle. Ces images sont celles qui ont le plus circulé sur internet, ce qui crée aussi une certaine attentes vis-à-vis de nos performances. Notre rôle est d’embarquer les spectateurs ailleurs, mais nous devons aussi les satisfaires avec ce passage qu’ils attendent tous… Ces matériaux étranges questionnent les spectateurs … Ils se demandent si c’est gênant ou juste un peu fou !

Photo © David Stjernholm.