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Happy Hype, Collectif Ouinch Ouinch

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 9 mai 2022

Les OUINCH OUINCH sont un collectif à géométrie variable formé à l’origine en 2018 par un groupe d’étudiant·e·s à La Manufacture à Lausanne. Revendiquant la fête comme le ciment principal de leurs créations, ce groupe de joyeux·ses fêtard·e·s imagine des spectacles festifs et explosifs avec un goût marqué pour l’exubérance queer et carnavalesque. Avec leur pièce Happy Hype, il·elle·s proposent une expérience immersive, sans quatrième mur, où la danse est démocratique et où la joie communicative éveille le désir irrépressible de se laisser entraîner dans une euphorie collective. Dans cet entretien, Karine Dahouindji et Marius Barthaux, qui partagent la direction artistique des OUINCH OUINCH, reviennent sur les caractéristiques de ce collectif survolté et l’histoire de leur création Happy Hype.

Les OUINCH OUINCH sont un collectif formé à l’origine en 2018 lors de vos études à La Manufacture à Lausanne. Pourriez-vous revenir sur l’histoire de votre collectif et la création de votre première pièce Happy Hype ?

Marius Barthaux :
Il s’agit surtout d’une amitié très forte à la base, très fusionnelle et très intense. Trois ans dans la même classe ça correspond  à quasiment 14h sur 24 ensemble au moins cinq jours sur 7. Les premières collaborations artistiques « officielles » se sont faites avec trois membres du groupe, Nicolas Mayorga Ramirez, Karine et moi pour un premier projet collectif lors de notre deuxième année à l’école, puis un deuxième aux Quarts d’heure de Sévelin 2018, un festival de formes courtes pour la jeune création. C’est à cette occasion que nous avons créé la pièce Molecutrio. La même année, Klaire-Alice Crettol et moi avons aussi réalisé un duo pour l’événement des Hors-Lits Lausanne. Ces premières créations nous ont permis de nous rendre compte que nous avions les mêmes manières de créer : écrire vite et spontanément, pour cultiver l’aspect brut de la performance et faire ressortir l’impact de l’instant, composer des danses puissantes sur des musiques explosives, et faire les guignols. Et puis il y a eu la sortie de l’école, et la proposition de carte blanche offerte à Klaire-Alice pour la fête de la musique de Genève en juin 2018. C’est là que pour la première fois nous nous sommes lancé·e·s dans une pièce à cinq, avec Maud Hala Chami (aka Mulah) que Klaire-Alice connaissait déjà par son réseau lausannois. Nous avons dû créer très vite, car nous étions en même temps en train de travailler sur le spectacle de fin d’année. Le lendemain de notre dernier « jour d’école » – la dernière fois que nous avons joué avec toute notre classe – nous dansions à la Fête de la Musique après avoir fait la fête toute la nuit. Nous étions épuisé·e·s et rempli·e·s d’émotions en tous sens, nous étions sens dessus dessous et c’est ainsi qu’est né Happy Hype, le 21 juin 2018, sous la pluie.

Karine Dahouindji : Après trois ans de formation nous étions épuisé·e·s psychologiquement et physiquement mais aussi chargé·e·s à bloc. Il y avait comme une électricité entre nous parce que nous étions content·e·s d’arriver au bout de cette formation mais nous savions que ça marquait aussi la fin d’un temps. Cette première à Genève a vraiment été une célébration.

Marius Barthaux : Nous avons ensuite tourné l’année d’après dans quelques villes en Suisse. Puis plusieurs événements ont mis un terme à la pièce : Nicolas est rentré au Chili, Klaire-Alice a quitté le collectif et la pandémie est arrivée… C’est Laurence Wagner, directrice du Belluard Bollwerk Festival de Fribourg, qui nous a proposé de reprendre la pièce en juin 2021, en nous permettant une recréation avec dix jours de résidence précédant le show, un temps qui nous était précieux puisque nous devions composer avec nos nouveaux membres : Collin Cabanis, Elie Autin et Adél Juhász.

Ensemble, vous créez des « spectacles festifs et explosifs avec un gout marqué pour l’exubérance queer et carnavalesque ». Pourriez-vous revenir sur les différentes réflexions qui circulent dans votre collectif et votre démarche artistique ?

Marius Barthaux :
Notre amitié s’est beaucoup construite à travers la fête et c’est devenu le ciment principal de nos créations. Ici, je parle autant du groupe d’origine que du groupe actuel qui est toujours composé d’ami·e·s fêtard·e·s. Nos premières « compositions » s’épanouissaient ainsi dans la plus grande désinvolture lorsque nous étions en club ou en train de faire la fête à l’école. Ces endroits nous procuraient un grand feu créatif que nous mettions directement à profit dans l’obscurité de la salle, au beau milieu de la foule. Ainsi, c’était toujours à qui fera la plus grosse bêtise ou la chose la plus remarquable : une personne lançait une idée et un·e autre la reprenait et l’augmentait, et ainsi de suite jusqu’à bifurquer sur une nouvelle idée. Nous nous entraînions ainsi constamment à aller toujours plus loin dans la connerie. Je ne différencie pas « notre exubérance queer et notre côté carnavalesque » car ils proviennent pour moi de la même joie intérieure, de cette volonté permanente de nous transformer, d’être autre chose que ce par quoi on nous désigne, de renverser les codes. C’est une joie subversive et profonde de laquelle nous souhaitons toujours partir pour créer nos spectacles.

Karine Dahouindji : Nous sommes aussi de grands enfants et on adore se taquiner et se déguiser, se prendre pour un·e autre. C’est d’ailleurs de là que vient le personnage de OUINCH : d’inspirations d’êtres magiques et étranges. Nous produisons des danses légères et absurdes mais toujours incarnées. Nous aimons nous prétendre fées, sorcier·ère·s, déesses et dieux, lutin·e·s, korrigan·e·s…

Rares sont les projets chorégraphiques co-signés « sans décideur·se ». Comment travaillez-vous ?

Karine Dahouindji : Je pense que cette horizontalité vient principalement du fait d’utiliser autant l’improvisation et l’écriture au plateau. Notre imaginaire et nos idées se tissent toujours au fur et à mesure. Comme on se le dit souvent entre nous : « more is more ». On fonctionne beaucoup à la surenchère. On ne se censure pas, au contraire, on essaye de pousser tous les curseurs au maximum tout en faisant attention à ce que chacun·e soit à l’aise. Mais pour le moment nous sommes avec Marius peut-être les plus instigateur·rice·s du projet car nous reprenons des pièces que nous avions créées avec des membres qui ne sont plus dans le collectif aujourd’hui.

Marius Barthaux : En effet, les fraîchement arrivé·e·s ont commencé par être d’abord dans un processus d’apprentissage, avant de comprendre petit à petit qu’il·elle·s pouvaient à leur tour être forces de propositions (musiques, chorégraphies, mise en scène, etc.). Maud ne participe pas à l’élaboration des chorégraphies, mais elle prend par contre toujours part aux débats sur la mise en scène et bien évidemment sur  la dramaturgie musicale ! À présent, Karine et moi-même sommes les co-directeur·rice·s artistiques de la compagnie, ce qui veut dire que nous prenons en charge l’aspect administratif et logistique des projets, et que nous initions également les premières idées artistiques. Mais ensuite, c’est ensemble que nous faisons les choses. Pour Happy Hype, la pièce a véritablement été transformée par tout le monde et va l’être encore ce 21 mai avec l’arrivée d’un petit nouveau et d’une nouvelle formation. Nous serons quatre à danser cette fois, et toujours Mulah pour le set.

Pourriez-vous revenir sur le processus de création de votre pièce Happy Hype ?

Karine Dahouindji : La musique a été le socle de la création de Happy Hype. Lorsque nous avons commencé les répétitions, c’est vraiment elle qui a porté et initié toutes nos décisions. Maud lançait un son et l’un·e de nous proposait un pas, une idée, une expression du visage ou n’importe quoi, puis les autres suivaient ou proposaient encore autre chose. Des blagues ou des délires sortaient et on les utilisait. Nous n’avions pas le temps de beaucoup réfléchir donc nous nous sommes lancé·e·s dans des improvisations en kiffant au maximum la musique. Nous nous sommes un peu inspiré·e·s de danses traditionnelles en créant notre propre folklore. Nous avons repris des formes de ronde, des danses à deux, mais en les adaptant avec nos connaissances de danseur·se·s contemporain·e·s ou urbain·e·s. Nos expressions font aussi beaucoup. On essaye de faire sentir notre énergie, nos émotions à travers toutes nos cellules et au-delà.

Marius Barthaux : Nous avons toujours travaillé dans l’urgence, et c’est encore le cas lorsque nous faisons des reprises. Je crois que notre caractère bordélique se reflète dans ce processus. Mais il s’agit surtout de cultiver l’aspect brut de la création. Inutile donc de savoir trop sur le bout des doigts notre partition, car c’est ainsi, par la fraîcheur de ce que nous venons d’apprendre, que nous sommes beaucoup plus vigilant·e·s et dans une attention accrue au présent de la pièce. Ce qui contribue à notre recherche d’un état de corps vif et alerte.

Happy Hype s’inspire du « Hype Call », une pratique issue du krump. Pourriez-vous en expliquer le principe et comment vous êtes-vous approprié·e·s cette pratique ?

Karine Dahouindji : Le « Hype Call » vient effectivement du Krump qui est une danse née dans les 90’s à Los Angeles à la suite d’émeutes raciales. Nous avons extrait ce principe de « Hype » pour le remanier à notre manière. Il est très important pour nous de préciser que nous ne faisons pas de Krump. Cette danse est issue d’une minorité qui voulait trouver un moyen d’élever une voix contre les injustices. Nous utilisons la « Hype » dans l’idée de motiver, pousser à l’extrême, faire sortir de l’énergie à l’un·e des danseur·se·s qui fait son solo. Nous voulions trouver notre propre façon de « Hyper » et cela passe par les cris, le fait d’entourer mais aussi de reproduire, de soutenir énergétiquement la personne qui est en train de tout donner sur un son. On « hype » aussi le public, on essaye de l’amener à danser, c’est d’ailleurs pour ça que le spectacle se termine en grande fête, c’est le but du show. Petit à petit, décoincer tout le monde et emporter les gens dans un grand bain de danse et de joie avec nous.

En effet, Happy Hype s’envisage comme une expérience immersive, sans quatrième mur, où la relation avec le public participe à cette énergie qui circule entre vous et dans l’espace que nous partageons. Comment envisagez-vous cette porosité avec le public dans Happy Hype ?

Marius Barthaux : Nous avons tenu à ce que nos danses soient le plus adressées possibles au public. Je crois que tout cela passe surtout par le regard. Nous souhaitons cultiver les interprétations de chacun·e et donc je pense que tout le monde dans le groupe a une manière différente de se connecter au public. Une caractéristique cruciale de ce spectacle, c’est tout un rapport à l’expression faciale. Tout ce que nous faisons, nous le disons également par le visage, et ainsi nous le transmettons, par le sourire ou par la figure démente et habitée, à la personne qui nous regarde. Il nous faut toujours cultiver la plus grande proximité avec les gens car c’est ainsi que nous estimons pouvoir transmettre une plus grande énergie à la foule, la contaminer plus fortement et lui donner envie de danser, but ultime du spectacle.

Karine Dahouindji : On travaille énormément avec l’énergie et l’électricité que nous créons. Il était donc assez évident pour nous que les gens devaient se trouver à notre niveau. C’est une pièce qui se vit plus qu’elle ne se contemple, même si nous jouons autant sur la création de tableaux, donc d’images à regarder, que sur la proximité avec le public pour leur communiquer notre énergie. C’est un échange d’énergies, nous chargeons le public autant qu’il nous charge. Ce sont les frôlements, les regards, les débuts d’agitations qui nous permettent de donner autant. C’est pour ça aussi qu’on traverse les gens, les obligeant petit à petit à bouger, leur faisant comprendre que, oui il y a ce cercle central où nous performons mais que, bientôt, ce cercle sera à tout le monde.

Marius Barthaux : Ce caractère carnavalesque et le dispositif ouvert de Happy Hype répond aussi à une très forte envie de démocratiser nos pratiques, de démocratiser la danse et en particulier la danse contemporaine, de l’inclure dans un format qu’on pourrait dire vraiment populaire ! Un populaire queer et urbain, le nôtre ! Le carnaval, c’est tout le monde, et surtout des gens qui ne s’y connaissent pas forcément en matière de danse ou d’art tout court, et c’est ça qu’on souhaite proclamer avec notre pièce. Le fait que la culture queer et la musique pop urbaine n’est pas réservée qu’à une certaine communauté de jeunes, mais qu’elle peut parler à tout le monde, pour peu qu’on trouve une bonne manière de séduire les non-initié·e·s. Amener ces énergies-là dans l’espace public, pour nous, c’est très important. Nous ne cherchons pas à faire du concept, nous souhaitons simplement déflagrer, avec tout ce qu’on incarne, nous OUINCH OUINCH, créatures médiévalo-fashion, et donner envie aux gens qui sont là de faire pareil. C’est dur d’intellectualiser notre travail parce qu’il ne s’adresse pas à la pensée mais au corps, et à l’envie pure et simple de danser.

Conception : Marius Barthaux, Karine Dahouindji, Klaire-Alice Crettol, Nicolas Fernando Mayorga Ramirez et Mulah. Chorégraphie, interprétation : Marius Barthaux, Karine Dahouindji, Elie Autin, Adél Juhász Collin Cabanis, Simon Peretti (en alternance). Musique live : Maud Hala Chami aka Mulah avec les remix de SANTO. Photo © Julie Folly.

Happy Hype est présenté le 21 mai au Dynamo de Banlieues Bleues dans le cadre des Rencontres chorégraphiques de Seine-Saint-Denis.