Propos recueillis par François Maurisse & Wilson Le Personnic
Publié le 17 août 2018
Pause estivale pour certains, tournée des festivals pour d’autres, l’été est souvent l’occasion de prendre du recul, de faire le bilan de la saison passée, mais également d’organiser celle à venir. Ce temps de latence, nous avons décidé de le mettre à profit en donnant la parole à des artistes. Après avoir publié l’été dernier une première série d’entretiens-portraits, nous renouvelons ce rendez-vous estival avec de nouveaux artistes qui se sont prêtés au jeu des questions réponses. Ici, Daniel Larrieu.
Danseur et chorégraphe, Daniel Larrieu est une des figures phares de la danse française. Après plus d’une cinquantaine de créations au compteur, il continue encore aujourd’hui à créer et à transmettre son expérience de la danse comme savoir-faire. Actuellement en tournée avec sa dernière création Littéral, Daniel Larrieu prépare les recréations de Chiquenaudes et Romance en stuc, deux pièces de jeunesse fondatrices, qui après avoir marqué les spectateurs il y a plus de trente ans trouveront un second souffle avec une nouvelle génération de danseurs.
Quels sont vos premiers souvenirs de danse ?
Enfant dans une forêt du sud de la France près de la maison, je trouve sous un arbre, à l’abri des regards, de quoi m’imaginer un théâtre pour danser. Je m’élance en imaginant que je vole ! J’ai 6 ou 7 ans ! Je regarde, absorbé et immobile, le patinage artistique à la télévision. Ah! glisser, tourner, sauter sur la musique en toutes directions… Plus tard. Sur un grand tapis vert de gymnastique, mon premier atelier d’improvisation au collège agricole de Hyères. 15 ans, je me dis que c’est une chance de sentir s’ouvrir de nouveaux espaces intérieurs et extérieurs. Il est possible de se servir de gestes sans paroles qui ne racontent pas, mais qui éprouvent. Comme spectateur, Passages de Bernard Misrachi, Madeleine Chiche et Odile Duboc, au Festival d’Avignon, Carolyn Carlson dans la Cour d’Honneur et la compagnie d’Andy de Groat à Nice donnent Fan Dance, la danse des éventails.
Qu’est-ce qui a déclenché votre envie de devenir chorégraphe ?
L’époque des années 80 est faite de circonstances et de courants que nous avons de la peine à saisir aujourd’hui. Le développement d’un milieu s’est opéré dans ces années là, avec moins de jugements sur les différentes esthétiques qu’aujourd’hui. C’était très joyeux, moins organisé, moins corporate… J’ai observé le concours de Bagnolet pendant deux ans et le sens d’une danse abstraite de moins de dix minutes était une forme intéressante à construire en silence. Mais je n’avais pas imaginé faire, à partir de cette première pièce Chiquenaudes, mon métier ; on ne pensait pas dans cet esprit. Je travaillais comme interprète et je me suis laissé prendre au jeu. C’est toujours l’expérience qui m’intéresse avant tout, traverser des systèmes, les concevoir et les mettre en oeuvre sans en faire des directions enfermantes et définitives. J’ai suivi les commandes que l’on m’a faites à l’époque, travailler dans une piscine, dans une serre, dans des jardins. C’est beaucoup plus tard que j’ai réalisé que j’aurai aimé jouer au théâtre, ou faire de la mise en scène. C’est toujours le travail d’écriture au plateau qui m’attire.
En tant que chorégraphe, quelle(s) danse(s) voulez-vous défendre ?
J’appartiens à une génération qui a travaillé, entre autre, la forme, la composition et qui a exploré de nouveaux espaces de représentations dans des conditions de travail très variées. La danse que je défends est une architecture écrite et chorégraphiée qui respecte les sens du public, une écologie relationnelle au travail, une générosité sans calcul. Justement, qui ne s’oppose pas à une autre danse. J’ai eu la chance de voir émerger plusieurs générations d’artistes chorégraphiques importantes dans leurs engagements artistiques, sociaux et politiques. Le « marché » est aujourd’hui fait d’opportunismes, de rivalités et de réseaux. J’aimerais proposer un meilleur partage des moyens, d’une manière systémique avec les autres arts, dont on interroge moins la place dans le spectacle vivant, en respectant un peu plus l’étendue de sa diversité à la fois générationnelle et esthétique. Le focus se fait à présent sur des formes de représentations où l’exploit et la performance prennent le dessus. Le public voit de moins en moins de productions qui interrogent autrement le sens commun de la virtuosité.
En tant que spectateur, qu’attendez-vous de la danse ?
Du geste, du mouvement, des élans, du temps, des énergies, des corps différents, des accords, des ruptures. Une matière, des espaces, des liens, du tissage, de la construction, des résolutions singulières, de la découverte, des systèmes. Un ton, une manière, une originalité, une intégrité, une intelligence, un mystère, une grâce, une élégance, un engagement, une écriture, une singularité, une audace, et même de l’humour.
À vos yeux, quels sont les enjeux de la danse aujourd’hui ?
Les enjeux de la danse sont ceux des écritures et de la transmission de ce savoir. C’est la raison pour laquelle le cirque, les arts de la marionnette ou encore les arts plastiques secouent les poncifs de la beauté et du danser ensemble. C’est le mouvement de la danse contemporaine des années 80 qui a renouvelé profondément les écritures des autres disciplines. Une fois que le cirque – c’est un exemple – à répondu à l’attente de la construction d’une nouvelle virtuosité, d’une nouvelle magie, le public a aimé être entraîné dans une excitation de plus en plus importante. Les formes moins spectaculaires ont été boudées. L’intérêt de conserver son public pour les organisateurs a pris la place du plaisir de la découverte et des variations des multiples expériences esthétiques. Peu de monde s’interroge sur les valeurs du danser ensemble. Les moyens financiers sont en chute libre pour tous. Le travail de création est raccourci et s’organise autour de l’apport massif de la matière des interprètes, dans des délais beaucoup trop rapides – eux-même démultipliant leurs engagements pour survivre… Il nous faudrait décélérer les rythmes de la création, avoir des grilles d’évaluation bien différentes et faire émerger de nouveaux modèles, produire moins, tourner mieux. Et puis il y a la place de la danse dans les médias et l’audio-visuel, quel recul ! Alors que les chaînes publiques ont un cahier des charges qu’elles n’appliquent pas et que le statut des journalistes s’amincit dans la presse papier… Mon métier est devenu celui de la transmission et pour fidéliser les publics, les formes participatives et les pratiques amateures prennent un place importante.
À vos yeux, quel rôle doit avoir un artiste dans la société aujourd’hui ?
C’est plus facile de demander à la société ce qu’elle veut des artistes, mais la réponse est dangereuse ! Tous les signes de la démocratie partagée ou participative confondent la mission d’éducation, à laquelle la culture doit impérativement se ranger, avec la création ! Nous devons restaurer les liens des enfants à la société, lui apprendre à vivre alors que les parents ne savent même plus quitter leurs smartphones pour prendre le temps de les écouter. Les enfants ne souhaitent pratiquer que les modèles de la danse qui sont données par la société de consommation, l’industrie musicale a piqué toutes les formes de révolutions esthétiques. Tout le monde sait ce que représente la danse à l’Opéra de Paris, mais cette noble institution n’appelle à la création que des auteurs dont la réputation n’est plus à faire. L’esprit révolutionnaire n’est pas de savoir si vos enfants sauront distinguer un bon d’un mauvais spectacle, mais de leur donner les clés pour savoir lutter contre les sirènes du capital déguisé en création. Comme artiste, comme chorégraphe, à chaque endroit ou je me trouve, je rappelle que le mouvement de la danse contemporaine a été surprenant pour tous les corps et toutes les gestuelles puissent avoir un droit à la création. Ce n’est pas seulement éducatif, c’est politique. Il s’agit d’écoute, de partage, de l’autre, c’est politique ! La danse reste politique.
Comment pensez-vous la place de la danse dans l’avenir ?
Les formes traditionnelles comme le théâtre, la musique et même les arts plastiques ou le cinéma continueront d’expérimenter des fils narratifs non linéaires et la danse accueillera ces révolutions. La danse qui demande des équipes de plus de dix personnes (composition, commandes musicales, costumes, scénographies…) ne sera produite que par la upper class, les CCN et autres grandes compagnies nationales. Entre une émergence pauvre et désireuse de reconnaissance à tout prix et les grosses productions, la middle class sera écrasée dans le compresseur social et narcissique du capital. Nous sommes déjà dans un pillage des idées par le biais bien facile de la citation. J’aimerais voir plus de désirs d’agir collectivement, moins d’emprises de l’État et des collectivités publiques sur les « objectifs », « impacts » et « évaluations » pour permettre à ce fameux paysage chorégraphique d’être mieux respecté et cultivé. Les microclimats sont foutus dès lors qu’on pratique la culture intensive. La question climatique reste valable pour les arts de la scène. Je rêve d’un lieu pastoral.
Photo © Benjamin Favrat
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