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Hortense Belhôte, Histoire du football féminin

Propos recueillis par Mélanie Drouère

Publié le 16 novembre 2022

Comédienne, auteure, historienne de l’art et professeure, Hortense Belhôte travaille depuis plusieurs années une forme singulière de performances, fondée sur divers médiums à la fois conférenciers et spectaculaires. En proposant une transmission de savoirs et d’expériences de personnes rencontrées sous un jour artistique et ludique, chacune de ses « conférences performées » offre une petite pépite à mille facettes, ouverte à tous, démocratisant des concepts pointus. Elle-même footballeuse amatrice en club, l’artiste nous livre dans cet entretien son approche des enjeux politiques et sociétaux du football et revient sur le processus de création de sa pièce Histoire du football féminin.

Hortense, d’où est née votre idée de créer une pièce autour du football féminin ?

J’ai commencé la « vraie » pratique du football tardivement, à 28 ans. Ça m’a questionnée : pourquoi, gamine, j’en faisais dans les cours de récré ? Pourquoi était-ce alors si important pour moi et, surtout, pourquoi, à un moment donné, ai-je arrêté ? Pourquoi n’y a-t-il jamais eu d’occasion de reprendre le football entre mes 12 et mes 28 ans ? J’ai récemment recommencé à en faire dans un club militant à côté de chez moi, qui se trouve être un club lesbien LGBT, qui développe d’ailleurs un autre volet : l’accueil des migrants. Avec cette équipe, j’ai pris conscience de tous les enjeux théoriques et politiques du football, bien au-delà de ce qu’on pense être le sport. Dépasser le bien dans son corps, dépasser la performance et voir à quel moment le foot, parce qu’il y en a partout, devient un endroit d’enjeux sociaux de représentation des femmes, de l’homosexualité, de l’émancipation genrée en règle générale. Comme à chaque fois que je débarque dans un endroit comme ça, je le mets en perspective avec mes propres souvenirs et mon propre parcours, ce qui donne sens à l’ensemble. Il s’agit toujours de cette idée d’allier grandes histoires et petites histoires et de se dire qu’à l’échelle de ma petite vie, dans tout ce que j’ai pu vivre, il y a énormément de résidus de phénomènes sociaux beaucoup plus grands que moi. Chacune, chacun peut se considérer comme un témoin de phénomènes qui peuvent être énormes. Il y a presque un côté Forrest Gump à cela (rires) : se voir dans un petit parcours individuel, composé d’accidents, d’improbabilités, de hasards, et pouvoir toucher du doigt des phénomènes gigantesques. Forrest Gump, soudain, se retrouve à côtoyer la guerre du Vietnam, la guerre froide, etc. Tout cela semble fou, impossible, pourtant, dans chacune de nos petites vies, nous pouvons aussi envisager d’embrasser le monde. Je parle beaucoup dans cette conférence de mes propres pratiques de foot d’enfant et de jeune adulte, j’y évoque le moment où nous sommes allées jouer à Berlin, ou à Bologne, et toutes les personnes que j’ai rencontrées là-bas…

Quels sont, selon vous, les enjeux politiques du football ? 

Cette conférence propose une histoire du XXᵉ siècle avec un point de vue d’aujourd’hui. L’histoire du football débute à la fin du XIXᵉ siècle, et il se trouve que les grandes phases de développement du football féminin suivent les grandes phases du féminisme en Occident. Une première période est née dans les années 20, une seconde dans les années 60-70, et la troisième serait celle d’aujourd’hui. Ce sont aussi ces trois phases que l’on identifie respectivement comme étant la première vague féministe des suffragettes, la deuxième vague qui serait celle des années 70, avec notamment la loi sur la possibilité d’avorter, etc., puis la nouvelle vague féministe qui existe aujourd’hui et inclurait aussi la question des constats : où en est-on aujourd’hui, et qu’est-ce qu’on en fait ? Ma question, c’était aussi, tout simplement, de savoir : est-ce qu’on a gagné ? J’ai conscience, et souhaite partager cette idée que le féminisme, comme tous les mouvements d’émancipation historiques, n’est pas linéaire, ne s’oriente pas forcément vers une victoire univoque. Un simple regard sur l’histoire complexifie la question de la victoire et de l’échec. En 2019, en France, était organisée la Coupe du monde de foot féminin, qui est le contexte de création de cette conférence, mais on sentait bien que c’était une victoire en demi-teinte, car les joueuses aujourd’hui, s’il est vrai qu’elles sont mieux valorisées, n’en subissent pas moins d’autres pressions. De même dans les années 30, 40, 50, la disparition a été éclatante : les femmes jouaient au foot dans les années 20, et n’y jouaient plus du tout dans les années 50. Il s’agit pour moi d’attiser cette vigilance à l’égard du fait que rien n’est jamais acquis, que rien n’est jamais gagné, que tout est un combat perpétuel. Je crois que la vraie morale de cette histoire du foot féminin est là : le match se joue tout le temps. Et on n’a jamais vraiment gagné.

Pourquoi avoir choisi la forme conférencière pour aborder ce sujet ? 

La forme conférencière se prêtait particulièrement à ce sujet pour rencontrer et bousculer le cliché du sportif stupide, notamment celui du footballeur. Certes, il est doute plus spontané d’aller voir un spectacle de danse, par exemple, sur le sport, parce qu’on imagine que les deux disciplines ont le même outil majeur, alors que la conférence est une histoire de mots, et – dans l’imaginaire – de mots intellectuels, historiques, référencés, culturels, documentés, autrement dit, tout ce qu’on oppose souvent à la pratique physique. Comme le dit si bien Océane Caïraty dans une petite interview que je diffuse en introduction de ma pièce : « Il n’y a pas de texte au foot, à part peut-être : vas y passe ! derrière ! ».  C’était drôle, d’un coup, d’en faire un truc bavard. 

Quel a été votre processus de création et qui ont été vos collaboratrices et collaborateurs dans la réalisation de ce projet ?

La création a été très longue et belle. L’idée m’est venue il y a 7 ans quand j’ai intégré cette équipe de football amateur sur les conseils d’une amie comédienne. J’ai commencé à faire des recherches, lire les rares livres qui, à l’époque, abordaient ce sujet, notamment celui de Laurence Prudhomme-Poncet, Histoire du football féminin au XXème siècle. Puis, le projet s’est vraiment activé en 2018 quand le chorégraphe Mickaël Phelippeau m’a permis d’intégrer sa troupe de Footballeuses amateures pour la création d’un spectacle incroyable, qui ne cesse de tourner depuis. Il m’a alors proposé de produire la conférence au sein de sa compagnie, ce qui a été une grande chance : c’était la première fois que j’étais payée pour écrire et créer avant même d’être en représentation ! De plus, Mickaël m’a accompagnée en tant que regard extérieur et sa maison de production, le bureau Fabrik Cassiopée, a pris en charge la diffusion. Début 2019, j’ai commencé à jouer cette pièce dans le réseau des lycées partenaires du Nouveau théâtre de Montreuil. C’était l’année de la coupe du monde féminine de football en France, donc ça résonnait très bien avec l’actualité et une bonne partie de la population découvrait à cette occasion la pratique professionnelle du foot par les femmes.  Et ses difficultés (rires) !

Y a-t-il une ou des figures du football féminin que vous trouvez particulièrement insipirante(s) ?

Parmi les grandes figures du football féminin, personnellement, j’ai eu un véritable coup de cœur pour des joueuses des années 20, complètement inconnues, non professionnelles et, pour la plupart, même pas politisées ! Je les ai découvertes précisément à travers l’ouvrage de Laurence Prudhomme-Poncet, qui retranscrit énormément de coupures de presse et d’interviews. C’est un régal et ça donne une sensation de proximité folle avec ces jeunes femmes et avec cette époque ! On n’a pas l’habitude du genre documentaire ou du micro-trottoir pour entendre ces périodes anciennes, et là, on a l’impression de connaitre ces femmes : elles pourraient être des potes ! Dans les années 60, les deux « stars » que j’ai eu l’honneur de rencontrer sont Armelle Binard et Gigi Soeuf, qui faisaient partie de la mythique équipe du stade de Reims. Elles sont vraiment extraordinaires. Elles sont de la génération de ma mère et j’imagine bien ce à quoi elles ont dû faire face pour se faire respecter. En même temps, elles font preuve d’une grande simplicité et d’une évidence redoutable, qu’elles expliquent à présent par leur jeunesse de l’époque. De mon point de vue, il y a autre chose. D’ailleurs, il existe un très beau documentaire qui donne à voir des interviews de l’époque de Gigi. Ces femmes nous donnent beaucoup de force… J’ai aussi envie de citer Nicole Abar, et évidemment Marinette Pichon. 

La performance conférencière est devenue votre forme de prédilection et votre spécialité : qu’est-ce que vous aimez en particulier dans cette forme ? Et pensez-vous qu’elle permette, peut-être plus que d’autres en arts vivants, une proximité, des rencontres simplifiées avec le public ?

Du fait d’un hasard de calendrier lors des 12 premières dates de la conférence, elles ont eu lieu en lycée – avec la contrainte d’un dispositif très léger puisqu’il fallait jouer dans des salles de classes. Tout devait rentrer dans une valise : le vidéo projecteur, la petite enceinte, le costume, les accessoires et la petite guitare rouge sur le dos. Depuis, j’ai dû faire environ 70 dates dans des lieux très variés : théâtres, MJC, salle de cinéma, gymnase, centre sociaux, extérieurs… Et pour des publics tout aussi divers, à travers toute la France. Cela correspond exactement à ce que j’aime et à ma vision, à la fois du spectacle et de l’enseignement. L’idée n’est pas tant de convaincre le public de venir mais plutôt de s’arranger soi-même pour aller là où le public est. Ce n’est pas évident de jouer dans une salle de classe à 8h30 du matin devant 30 lycéens à demi endormis. Toutefois, quand on arrive à les réveiller, et qu’on enchaine avec 45 minutes de discussion et de débat très riche, c’est un bonheur. Mes conférences sont faites pour ça. Et quand, en plus, je leur permets de louper le contrôle de maths, je vous assure que ça devient le public le plus investi et le plus bienveillant qu’on puisse imaginer (rires)

Comment, selon vous, les représentations de cette performance ont-elles été reçues en salles ? 

Ce qui est intéressant avec cette conférence, c’est que tout le monde est amené à se déplacer un peu, mais en douceur. Les « footeux » sont souvent très réceptifs parce qu’ils ont déjà des repères. La conférence agit là comme un complètement, ils ajoutent juste le chainon manquant de l’histoire des femmes. Mais les anti-foot adorent aussi parce que, pour une fois, ils trouvent cela intéressant ! Les féministes y trouvent leur compte évidemment, et les spécialistes s’amusent parce que j’ajoute un côté humoristique et très personnel à leur connaissance. Curieusement, cette conférence plait et met les gens d’accord alors que, pendant 45 minutes, je pointe les rapports de forces, les contradictions et aussi les échecs de notre société… Je me dis que c’est bon signe. C’est une conférence qui fait rire et réfléchir, et les gens aiment ça. 

Conférence performée de Hortense Belhôte. Regards extérieurs Mickaël Phelippeau et Marcela Santander. Production, diffusion, administration Fabrik Cassiopée – Isabelle Morel et Manon Crochemore. Production déléguée bi-p association, avec le soutien du Nouveau théâtre de Montreuil – centre dramatique national. Photo Mickaël Phelippeau.

Une histoire du football féminin est présenté le 19 novembre au Prunier Sauvage à Grenoble, avec le CCN2 – Centre Chorégraphique National de Grenoble.