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Paula Rosolen « Redécouvrir la beauté des mouvements »

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 22 septembre 2017

Depuis ses premieres pièces Die farce der Suche (2010) et Libretto (2012), le travail de la chorégraphe Paula Rosolen prend son origine dans une pratique de l’entretien et de l’enquête de terrain. Nous avons découvert son travail en France en 2014 lors du concours Danse Élargie organisé par le Théâtre de la Ville et le Musée de la danse où sa pièce Aerobics! Un ballet en 3 Actes a reçu le premier prix. Elle présente actuellement sa nouvelle création Puppets au Théâtre des Abbesses dans le cadre d’une série de rendez-vous organisé par le Théâtre de la Ville avec des artistes révélés par Danse élargie.

Au regard de votre parcours, retrouve-t-on des liens ou des analogies entre vos précédents projets chorégraphiques ?

Nous retrouvons bien sûr des analogies entre mes travaux, même si à première vue ils peuvent paraître antagonistes. À travers le temps, certain sujets et questions continuent de se développer dans certaines pièces, et il existe également des codes internes qui connectent les projets entre eux. Par exemple, mes deux spectacles Die farce der Suche (2010) et Piano Men (2013) ont des approches similaires : travailler avec des histoires de vie, des mouvements et des textes issus d’interviews, de vidéos ou de documents historiques. Dans les deux cas, je met en évidence des personnages oubliés, considérés comme secondaires.

Avec Die Farce der Suche, j’ai travaillé à partir de la figure de Renate Schottelius, danseuse née en Allemagne et exilée en 1933 en Argentine. Là bas, elle est devenue une personnalité reconnue et respectée dans le monde de la danse, mais en Allemagne, les gens l’ont presque oublié. À travers un entretien avec le pianiste qui l’accompagnait, j’ai découvert un nouveau regard sur son histoire. Cette expérience, associée à ma collaboration antérieure avec David Morrow (pianiste de William Forsythe, ndlr), a été le moteur de Piano Men, pièce qui se concentre sur la figure du pianiste qui accompagne les cours de danse. Leur regard, à travers les années, et leur point de vue sur la danse à travers la musique, les transforme, à mes yeux, en archives vivantes.

Avec ma pièce Libretto (2012), j’ai continué à travailler sur le terrain et à faire des entretiens en essayant d’élargir mes recherches à un sujet plus populaire, en travaillant notamment sur la musique. Est apparu également le désir de travailler avec un grand groupe de danseurs, c’est pendant cette période qu’est née l’idée de se qui allait devenir Aerobics! Un ballet en 3 Actes. Avec cette pièce, j’ai continué à travailler à partir de phénomènes populaires, ici le conditionnement physique par la pratique de l’aérobic. Ce projet est également né d’un besoin, en tant que danseuse et chorégraphe, de revenir au mouvement.

De quel manière votre nouvelle création Puppets s’intègre-t-elle dans votre recherche artistique ?

Mes pièces ont pour caractéristiques de puiser dans du matériel qui existe déjà. Avec Puppets, j’ai continué à travailler sur le terrain, à la recherche de mouvements, notamment sur les figures de la marionnette et du marionnettiste.

Comment est né le désir de travailler sur ces deux figures ?

Pendant les spectacles de marionnettes, je ne peux pas m’empêcher de regarder le marionnettiste, regarder son corps se coordonner à celui de sa marionnette, adopter des poses et faire des gestes qui le font en quelque sorte danser. Quand je parle de « marionnettes », j’inclus différents types de pratiques autour de la marionnette. Le marionnettiste « manipule » ses marionnettes tout en « incarnant » un certain type de présence. Leur attention, leur regard, se concentre sur un objet et non sur leur propre présence. C’est ce qui m’intéressait au départ.

Vous avez préparé Puppets en rencontrant de nombreux marionnettistes à travers le monde, notamment en Argentine, au Japon, et en Malaisie. Qu’est-ce qui a motivé ces différentes rencontres ?

En Argentine, j’ai rencontré le groupe des marionnettistes du Teatro General San Martín à Buenos Aires, qui travaille avec différents types de fantoches, de petites à géantes en fonction des projets. Au Japon, j’ai focalisé mon attention sur l’art du Bunraku. Il s’agit d’une pratique où trois marionnettistes manipulent un pantin d’une manière incroyablement fluide et réaliste. J’ai également rencontré des marionnettiste qui pratiquent le Awaji Ningyo Joruri, une forme beaucoup plus ancienne du Bunraku. Ensuite, j’ai rencontré des marionnettistes issus de la pratique Shishi-mai (Danse du Lion, ndlr) dans ses variantes de Kansai et Okinawa, où le marionnettiste est une partie intégrante de la marionnette. J’y est d’ailleurs rencontré un danseur que j’ai ensuite invité à participer au processus de création en Allemagne. En Malaisie, il existe différents groupes qui pratiquent l’art de la marionnette, dont la Danse du Lion et les marionnettes d’ombres. Avec certain danseurs du spectacle, nous avons ensuite rencontré un grand nombre d’artistes locaux à Penang et à Kuala Lumpur.

Quels ont été les enjeux de ces rencontres ? 

Mon objectif premier était d’essayer d’absorber et de collecter autant de mouvements que possible. L’enjeux de chaque rencontre était toujours le même : chercher le mouvement derrière le pantin, la poupée, la marionnette. J’ai fait de nombreux entretiens avec des marionnettistes pendant lesquels je les ai filmé en train de pratiquer les mêmes actions avec et sans marionnette. Ses vidéos ont servi de base de travail avec les interprètes.

Pour votre précédente pièce Aerobics! Un ballet en 3 Actes, vous êtes également allée en Argentine pour suivre la formation de l’équipe nationale d’aérobic. En quoi ces « pratique de terrain » sont-elles importantes pour vous ?

En allant chercher la source de ma recherche sur le terrain, j’essaie d’être aussi proche du mouvement que de la vérité. Chacun de mes travaux aborde un langage chorégraphique différent, un langage spécifique, et c’est en rencontrant des spécialistes de ces pratiques que je parviens à m’approprier ce langage. De nos jours, le temps consacré à être créatif en tant que chorégraphe, proportionnellement au temps consacré à la production, est trop court. Avoir suffisamment de temps pour la recherche est à mes yeux aussi important que le travail en studio.

Comment les répétitions se sont déroulées avec les danseurs ?

Pendant les deux premières semaines de répétitions, nous avons travaillé à partir d’une selection de vidéos que j’ai filmées lors de mes voyages. Pour faciliter l’exécution des mouvements, nous avons travaillé avec les bâtons et du tissus en essayant de reproduire avec précisions la qualité des mouvement originaux.

Les costumes portés par les danseurs sont très graphiques. Comment avez-vous collaboré avec Anika Alischewski et Takako Senda?

Le concept des costumes a émergé dans le dialogue entre le conseiller artistique J. M. Fiebelkorn et les costumiers Takako Senda et Anika Alischewski. Ils ont ensuite travaillé à partir de l’idée de la ligne, en référence aux fils du pantin et de la marionnette. Lorsque les danseurs sont debout les uns à côté des autres, les lignes blanches sur leur costumes forment un continuum. Le noir et blanc fait écho au concept de lumière et d’ombre, caractéristique aux marionnettes de théâtre.

Contrairement à votre précédente pièce Aerobics! Un ballet en 3 Actes qui se déroulait dans le silence, la musique est très présente dans Puppets. 

En effet Aerobics! Un ballet en 3 Actes est ma seule pièce jouée sans musique. Au début je souhaitais utiliser de la musique minimaliste mais dés que nous avons commencé les repetitions j’ai immédiatement réalisé que le son produit par nos rebonds sur le sol suffisait pour accompagner la chorégraphie. Pour Puppets, depuis le début il était question d’utiliser le vielle à roue. Il s’agit d’un instrument de musique utilisé à l’origine par des marionnettistes itinérants en Europe pour accompagner leurs spectacles. Bien que l’instrument ne soit pas utilisé de la manière la plus traditionnelle, il a la particularité de produire un son continu. Le compositeur David Morrow a utilisé le vielle à roue pour faire un son ambiant, tandis que de petits instruments à percussion ponctuent le paysage sonore.

Avec Puppets, vous semblez développer un concept sous-jacent déjà présent dans Aerobics! Un ballet en 3 Actes : vous déplacez une pratique chorégraphique basée sur une organisation de mouvements très codifiée. Qu’est-ce qui vous intéresse dans cette réappropriation?

Je sens que travailler dans le combat donne une autre couleur au mouvement, c’est comme avoir un nouveau regard sur une pratique. S’étonner et redécouvrir la beauté, parfois hypnotique, des mouvements.

Concept et chorégraphie Paula Rosolen. Avec Alina Bilokon, Émilia Giudicelli, Atsushi Heki, Pei Ern Lim et Andrea Rama. Photos © Jörg Baumann.