Photo Martin Argyroglo

Ulla von Brandenburg « Le mouvement comme libération »

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 20 janvier 2017

Artiste d’origine allemande, Ulla von Brandenburg expose aussi bien en Europe qu’aux États-Unis. Dans le cadre du prix Marcel Duchamp 2016, l’artiste présente actuellement au Centre pompidou sa vidéo It Has a Golden Sun and an Elderly Grey Moon (2016). Dans une grande salle blanche, des marches d’escaliers forment une installation sur laquelle les visiteurs peuvent s’asseoir afin de regarder la projection d’un film : un long plan séquence de 22 minutes où des danseurs manipulent des draps colorés dans un espace entièrement blanc qui fait écho au décor dans lequel le spectateur se trouve. L’escalier et la couleur : deux motifs présents dans toute l’oeuvre plastique de l’artiste. Ulla von Brandenburg a accepté de répondre à nos questions.

Au regard du spectacle vivant, vos installations peuvent souvent être lues comme des scénographies abstraites, potentiellement habitables par des corps en mouvement. Comment ces espaces trouvent-il écho dans une possible histoire de la danse ou du théâtre ?

Mes installations reflètent des mécanismes du théâtre. Elles sont faites pour que le spectateur ait sa propre place dans le dispositif. Il devient comme un participant actif. Le théâtre baroque – avec ses perspectives centrales – a été important pour certaines mes installations. Mais j’ai d’abord travaillé sur l’immobilité, en filmant des gens, pour refaire des tableaux existants, sans costumes. Je filmais certains de mes amis, dans leurs propres vêtements, dans des espaces vides, en super-8 ou 16 millimètres. La caméra était fixe et la durée du film était égale à la longueur d’une pellicule. Je voulais faire un contretemps, ou du moins, troubler le temps. Il est difficile de ne pas bouger du tout. Tout mouvement, que ce soit celui de la caméra ou des personnes, racontait déjà trop. Chaque mouvement menaçait de révéler une individualité, quelque chose que je ne pourrais pas contrôler. Plus tard, je suis sortie de l’immobilité totale ; j’ai permis à la camera de réaliser un mouvement de 180 degrés autour du tableau. Depuis, le mouvement est de plus en plus présent dans mon travail, jusqu’au déplacement des acteurs dans l’espace. Accepter le mouvement correspond à une libération.

Cette recherche autour du mouvement est centrale dans la vidéo que vous présentez au Prix Marcel Duchamp au Centre Pompidou.

Pour mon dernier film It has a Golden Sun and an Elderly Grey Moon, j’ai en effet travaillé avec des danseurs (Duncan Evennou, Hélène Iratchet, Christophe Ives, Viviana Moin, Giuseppe Molino, Benoît Résillot, Pauline Simon, ndlr). Il s’agit de quelque chose de nouveau pour moi, un pas de plus. Évidemment les danseurs eux, sont tournés vers l’histoire de la danse. Ce qui m’intéresse par-dessus tout, dans la danse, c’est la possibilité de dire des choses sans passer par l’usage des mots. De réfléchir aussi différemment les notions de groupe et d’individu. L’histoire de la danse est très riche de ces interrogations, notamment au travers du travail des artistes qui sont aller à contre courant du ballet classique. Je pense notamment au travail des chorégraphes Rudolf Laban, Mary Wigman, Gret Palucca, Loïe Fuller, qui n’œuvraient pas à l’encontre du corps, mais qui allaient dans le sens d’une pleine énergie et d’un mouvement naturel du corps.

Dans ce film sept danseurs évoluent dans une sorte de white cube à plusieurs niveaux. Cet espace scénique « neutre » fait-il référence à de possibles espaces d’expositions ?

Pour cet espace scénique j’ai beaucoup regardé les scénographies d’Adolphe Appia (Le premier décorateur moderne, 1862-1928, ndlr) à partir desquelles j’ai pensé un espace au sein duquel pouvait dialoguer plusieurs idées esthétiques et formelles : celle de plateforme, de hiérarchisation et d’abstraction. It has a Golden Sun and an Elderly Grey Moon est un un film sur la couleur, et le blanc permet de révéler les couleurs. Le décor dans lequel les danseurs évoluent est composé par deux grands escaliers qui divisent l’espace, il permet de représenter de manière architecturale des hiérarchies dans l’espace et le temps.

À un moment donné, nous pouvons identifier dans la vidéo les gradins vides de la grande salle du Théâtre Nanterre Amandiers. Quels sont les enjeux de faire apparaitre l’envers du décors ?

Bertolt Brecht (1898-1956, dramaturge et metteur en scène allemand, ndlr) a été très important dans l’histoire du théâtre. Son travail est contre le théâtre d’illusion, les choses sont montrées comme elles sont construites, sans les artifices du théâtre, avec l’austerité des choses brutes. C’est très important pour moi de créer des ruptures : on est quelque part, puis on lève le voile sur ce que l’on vient de voir. L’escalier est un miroir de la scène, et le gradin est un autre miroir de la scène.

Matthieu Doze signe la chorégraphie de It has a Golden Sun and an Elderly Grey Moon. Comment avez-vous collaboré ensemble ?

Matthieu a proposé beaucoup de matière chorégraphique, en partageant notamment son expérience de la prise d’espace et ses savoirs chorégraphiques aux travers d’exercices. Les danseurs ont également participé à l’écriture en proposant certaines choses. J’avais déjà des idées sur le mouvement, notamment sur la notion du collectif et les rapports possibles entre un individu seul face au groupe. Nous avons ensuite fait, petit à petit, des choix ensemble, tout en gardant à l’esprit le chemin de la caméra.

Votre travail plastique se tend de plus en plus vers de nouvelles formes, notamment performatives. Je pense aux performances Baisse-toi Montagne, Lève-toi Vallon et Yesterday is also tomorrow and today is like here qui ont toutes deux fait appel à des danseurs. Quelles sont les particularités propre au médium danse que les autres média ne peuvent offrir ? Comment permet-il d’explorer de nouvelles possibilités esthétiques et plastiques ?

Nous pouvons en effet voir une véritable évolution dans mon travail autour du mouvement et du corps. Mes premières performances étaient interprétées par des amateurs alors qu’aujourd’hui mon travail vidéo se dirige vers quelque chose de plus chorégraphique. Dans Baisse-toi Montagne, Lève-toi Vallon le médium est le chant et dans It has a Golden Sun and an Elderly Grey Moon le médium est la couleur. Au delà d’avoir comme point commun d’être tournées en un seul plan séquence, ces deux vidéos mettent chacune en lumière un médium activé et mis en mouvement par des corps.

Pensez-vous que It has a Golden Sun and an Elderly Grey Moon puisse devenir un jour un spectacle à part entière ?

Oui ! Depuis le début, ce film a pour vocation de devenir une performance. Cela n’a pas encore été possible.., mais je travaille à cela pour une prochaine installation du film à Aarhus. Le temps réel continue le temps du film, comme un deuxième chapitre, avec un deuxième temps et un deuxième contenu. Qu’est-ce qu’il se passe après le film ?

It has a Golden Sun and an Elderly Grey Moon est présenté jusqu’au 30 janvier 2017 au Centre Pompidou / Prix Marcel Duchamp, jusqu’au 25 juin 2017 au Pérez Art Muséum à Miami et à Kunsthal Aarhus au Danemark en novembre 2017. Photo © Martin Argyroglo.