Propos recueillis par Wilson Le Personnic
Publié le 25 mars 2023
Révélée en 2017 avec son solo Hope Hunt and the Ascension into Lazarus, Oona Doherty s’est rapidement imposée comme l’une des figures les plus reconnues de la scène internationale. Originaire d’Irlande du Nord, la danseuse et chorégraphe y catalyse les maux et les violences de Belfast, ville où elle a grandi. Croisant danse, performance et poésie sonore, elle capte et donne corps aux gestes et à la colère de cette jeunesse populaire oppressée par la violence politique et sociale. Dans cet entretien, Oona Doherty retrace l’histoire de ce projet aujourd’hui interprété par les danseuses Sandrine Lescourant et Sati Veyrunes.
Hope Hunt and the Ascension into Lazarus est composé en deux parties. Comment est né le premier solo Hope Hunt ?
Hope Hunt est le fruit d’une longue conversation avec le danseur Neil Brown. En 2013, nous discutions beaucoup, de Wolfgang Tillmans, de Belfast, de Glasgow, de William Burroughs, des années 90, de l’école, de l’alcool, des drogues, des modes de notre enfance, de la fierté, de la douleur, des logements sociaux, de la glamourisation de la classe ouvrière à travers la mode, du film La Haine, de la santé mentale, de l’addiction et de plein d’autres sujets. Puis je me suis lancée seule dans une sorte de collage poétique à partir de toute cette matière.
Comment est née la pièce qui a suivi, The Ascension into Lazarus ?
On m’a proposé de produire une courte pièce dans le cadre d’un événement à Belfast. Au départ, je souhaitais travailler sur quelque chose de plus doux et j’ai commencé par essayer de bouger lentement, doucement… mais je sortais tout juste de la création de Hope Hunt, qui était encore brûlant dans mes veines, donc au final Lazarus est une sorte de Hope Hunt en version shooter de vodka distillée.
La chorégraphie est traversée par une multitude de corporéités. D’où viennent ces figures ?
Je regarde beaucoup de vidéos sur internet. Pendant une période par exemple, j’étais fascinée tout à la fois par le hip-hop, le voguing, le krump, le break, le chamanisme, les danses traditionnelles rituelles, les convulsions épileptiques… En fait, j’étais impressionnée par tous les gens qui performent la vulnérabilité et la fierté dans un seul et même geste. Donc j’ai travaillé en observant, en sentant, en me laissant affecter. Je suis persuadé que si on performe avec sincérité, alors les sentiments s’y engouffrent.
Hope Hunt and the Ascension into Lazarus associe musique sacrée et langue argotique…
Je me suis laissée influencer par un poème de Kae Tempest, Brand New Ancients, dans lequel il transfigure le quotidien en divin. La musique sacrée est si belle, si épique. En Irlande, cette musique est teintée d’une connotation particulière car beaucoup de gens ici sont pieux et trouvent dans la religion un certain réconfort. En Irlande du Nord, l’avortement est légal seulement depuis 2019 et le mariage gay depuis 2020. Même si elle est rétrograde, l’église produit un art et une musique magnifique. Profaner cet art sacré, c’est pour moi une petite vengeance.
À l’image de la danse, les costumes empruntent également dans les vestiaires des sous-cultures urbaines… Comment cette figure s’est-elle imposée ici ?
En 2016, juste après les premières dates de Hope Hunt, il y a un retour des années 90 dans la mode et les hipsters de la classe moyenne se sont mis à acheter les baskets qu’on peut voir aux pieds des gens dans les raves. Le sportswear n’est plus une exclusivité de la jeunesse de la classe ouvrière, au contraire, il est devenu un symbole de la gentrification. Quand j’ai créé Hope Hunt, je n’étais pas vraiment consciente de tout ça. J’avais travaillé à une version unie, une sorte d’uniforme bleu marine dans la matière des survêtements de sport. L’idée d’un uniforme évoquait les mondes carcéral et hospitalier où j’ai eu l’habitude de travailler. Et quand l’uniforme bleu marine devient blanc, c’est dans l’idée d’une mort existentielle.
Hope Hunt and the Ascension into Lazarus est aujourd’hui interprété par Sandrine Lescourant et Sati Veyrunes. À quoi répond cette nouvelle distribution ? Comment avez-vous partagé votre histoire à ces deux danseuses ?
J’ai imaginé cette nouvelle distribution pour deux raisons. La première est que j’ai eu besoin de faire une pause après avoir dansé la pièce plus d’une centaine de fois. J’étais épuisée et j’avais besoin de me reposer pour avancer dans les prochains projets. La seconde raison, c’est que j’ai eu l’impression que cette pièce était bloquée dans un imaginaire nord-irlandais et que les gens associaient son sujet qu’à Belfast. En proposant à deux autres danseuses d’interpréter le solo, la pièce s’est tout de suite ouverte et ramifiée à d’autres luttes : la jeunesse oppressée par la violence politique et sociale n’est pas spécifique à une nationalité mais bien à un contexte de classe. Le processus de transmission avec Sandrine et Sati a été très rapide car la chorégraphe est construite pour épuiser, de sorte que vous avez l’impression de voir la vraie personne lorsqu’elle essaie juste de survivre au sein du travail, de respirer. Je leur ai simplement expliqué certaines narrations, se qu’elles devaient imaginer et voir pendant qu’elles travaillent la pièce. Puis elles sont parties en tournée, éprouver cette matière, trouver leurs propres récits à l’intérieur des histoires personnelles que je leur ai partagée.
Hope Hunt and the Ascension into Lazarus, chorégraphie Oona Doherty. Danseuse Sandrine Lescourant ou Sati Veyrunes. Conducteur et DJ Luca Truffarelli. Lumières Lisa Marie Barry. Production Gabrielle Veyssiere. Photo © Chad Alexander.
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