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Claire Laureau & Nicolas Chaigneau, Les Galets au Tilleul sont plus petits qu’au Havre

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 9 mai 2022

Depuis 2015, les chorégraphes Claire Laureau et Nicolas Chaigneau développent un travail à la frontière entre théâtre et danse, cultivant le goût de l’absurde et de la poésie. Dans leur nouvelle pièce Les Galets au Tilleul sont plus petits qu’au Havre (ce qui rend la baignade bien plus agréable), les deux artistes subliment avec humour le dérisoire des banalités du quotidien à travers une compilation de personnages, de situations caricaturales, puisés dans un répertoire personnel et commun à nos vies quotidiennes. Dans cet entretien, Claire Laureau et Nicolas Chaigneau partagent les rouages de leur recherche artistique et reviennent sur le processus de création de leur nouvelle pièce Les Galets au Tilleul sont plus petits qu’au Havre.

Claire, Nicolas, vous avez créé votre compagnie pjpp ensemble en 2015. Pourriez-vous revenir sur votre rencontre, vos atomes crochus, vos affinités artistiques ?

Nous nous sommes rencontrés en tant que danseurs sur un spectacle de la BaZooKa, MADISON, en 2012. Une forte complicité est née, autour d’un sens de l’humour très commun, et rapidement nous avons eu le désir de nous retrouver en studio. Nous n’avions pas d’objectif, simplement l’envie d’être ensemble. Une multitude de pistes sont sorties, sans aucun lien les unes avec les autres, et puis un jour, les Déclinaisons de la Navarre sont apparues. Ce spectacle prenait comme point de départ une scène extraite d’un téléfilm retraçant la vie de Henry de Navarre. À l’origine, nous voulions travailler à partir d’une grande scène de cinéma pour laquelle nous n’aurions pas été embauchés. C’est en cherchant sur Youtube un extrait de La Reine Margot de Patrice Chéreau, que nous sommes tombés sur ce téléfilm et cette scène un peu désuète, où le roi Henry rencontre la future reine. Nous l’avons apprise, puis en avons créé des variations qui ont construit le spectacle. Nous nous sommes amusés à détourner la scène, en nous concentrant à chaque fois sur différents aspects. Le jeu étant de la caricaturer, d’y apposer des contraintes physiques décalées, d’en réécrire les dialogues, et de trouver une multitude d’angles sous lesquels l’aborder. Nous avons commencé à travailler sur ce projet fin 2013, et l’avons créé en janvier 2016. Nous avons pris beaucoup de temps pour mettre en forme ce spectacle qui répondait à la fois à une envie de légèreté et d’exigence.

Pourriez-vous partager les fondements de votre démarche, les réflexions qui circulent dans votre recherche artistique ?

Il est difficile pour nous de parler de démarche, de recherche, ou même de réflexion. Il existe dans chacun de nos projets plusieurs constantes : le goût de l’absurde, le minuscule, la dérision, et on l’espère, une certaine poésie. Mais cela ne part pas de la volonté d’affirmer une quelconque démarche. L’expérimentation précède notre pensée. Notre travail commence toujours de manière très naïve, au studio, où nous multiplions les tentatives. C’est parfois très mauvais, mais il arrive qu’une piste nous apparaisse comme potentiellement intéressante, et surtout nous excite suffisamment pour se lancer dans une création. C’est une fois lancés que la réflexion commence réellement. Les enjeux apparaissent au fur et à mesure du travail, comme s’il s’agissait plus pour nous de les découvrir que de les créer.

Pourriez-vous retracer la genèse des Galets au Tilleul sont plus petits qu’au Havre ? Quelles étaient vos premières pistes et vos premières tentatives en studio ?

Au cours des dernières années passées ensemble, nous avons répertorié une multitude de personnages, de situations caricaturales, de types de dialogue évoquant par leur futilité une certaine forme de bêtise. À titre d’exemple, le nom du spectacle est tiré d’un échange en voiture où Benjamin, le régisseur de la compagnie, et Nicolas, ont débattu une bonne dizaine de minutes sur la taille des galets au Tilleul (petite plage coincée entre deux falaises en Normandie) et au Havre, l’un assurant que ceux-ci sont plus petits au Tilleul, et l’autre qu’ils sont parfaitement identiques. Claire, assise à l’arrière, écoutait  avec délectation la pauvreté du débat. L’absurdité de ce moment nous a plu, nous l’avons noté, puis d’autres situations sont naturellement apparues. À l’occasion de plusieurs résidences de recherche, en duo ou avec des interprètes invités, nous nous sommes amusés à improviser autour de ce type de situations. Une résidence au Trident à Cherbourg en décembre 2019 nous a permis de rencontrer une première fois le public autour de ce travail. Nous y présentons une séquence d’une vingtaine de minutes. L’enjeu est alors de mesurer notre capacité à improviser en public, notamment avec le texte. Suite à cette restitution, nous décidons d’élargir le projet pour quatre interprètes, pour un spectacle donnant une grande place à l’improvisation, tout en s’inscrivant dans une grille de composition espace, temps et énergie très précise.

Vous avez travaillé à partir de dialogues et de situations improvisés. Comment avez-vous engagé le travail à partir de cette matière ?

Le travail a commencé par un entraînement quotidien, consistant à improviser les différentes situations répertoriées, comme par exemple : parler sans interruption en rebondissant sur son propre discours, être retenu par quelqu’un qui ne cesse de parler et ne mesure pas notre désir de partir, tenter de comprendre quelqu’un qui ne parvient pas à s’expliquer, développer une argumentation pleine d’évidence en prenant le plus de temps possible… L’enjeu de chaque scène est abordé tant du point de vue théâtral que chorégraphique. Les relations entre les personnages et les types de discours sont prédéfinis, mais dans un souci de fraîcheur et d’authenticité, le texte est improvisé. L’appui principal pour les interprètes est le corps, d’où la nécessité de travailler avec des danseurs plutôt qu’avec des comédiens. L’incarnation des personnages se fait essentiellement par ce qui les caractérise physiquement : leur tonicité, leur posture, leur humeur, le ton de leur voix, leur qualité de regard, leur conscience des autres, leur prise d’espace, etc. 

Pouvez-vous revenir sur le processus de création ?

Toutes les situations répertoriées constituent une série de minis prises d’otages auxquelles il est bien souvent difficile d’échapper. Nous avons imaginé ce spectacle comme une accumulation de tous ces instants, plus ou moins longs et plus ou moins signifiants, mettant en scène des personnages parlants ou pas, des écoutants, des observateurs, des victimes ou des bourreaux du quotidien. Nous cherchons à convoquer chez le spectateur un regard microscopique, l’invitant à scruter les moindres expressions et regards, et à y déceler les différents états que traversent les personnages : l’agacement, l’incompréhension, la solitude, l’abnégation… Pour ce faire, nous avons souhaité rendre les éléments scénographiques le plus neutre possible. Nos seuls accessoires sont 10 chaises que nous déplaçons au gré des scènes. La lumière reste stable tout au long du spectacle, laissant ainsi au spectateur la liberté d’imaginer le contexte de chaque situation. La structure rythmique de la pièce est fixe. Nous avons porté une grande attention à la durée de chaque scène, étirant parfois exagérément certaines situations, quitte à être sur le fil, à la limite de l’ennui. Nous aimons l’idée que le spectateur, témoin de ces moments de vie, devienne lui-même captif, au même titre que le personnage au plateau coincé dans une discussion fastidieuse.

La fibre théâtrale est inhérente à votre travail. Comment s’articulent les médiums théâtre/danse dans votre travail ?

Nous n’envisageons pas notre travail comme une articulation entre ces deux médiums. Nous ne dissocions pas le théâtre et la danse, et nous nous efforçons même de ne pas le faire. Jusqu’à présent, nos désirs sont liés au jeu, à la création de personnages, et donc à une certaine théâtralité. Mais nos outils et notre regard, à la fois dans la manière de construire les spectacles et de définir les enjeux d’interprètes, sont chorégraphiques. Nous pensons toujours en termes de musicalité, d’énergie, de temps et d’espace.

Conception Claire Laureau et Nicolas Chaigneau Interprétation Julien Athonady, Nicolas Chaigneau, Claire Laureau, Marie Rual Régie générale Benjamin Lebrun Création lumière Valérie Sigward. Photo Wilfried Lamotte.

Les Galets au Tilleul sont plus petits qu’au Havre (ce qui rend la baignade bien plus agréable) est présenté les 17 et 18 juin à la MC93 à Bobigny dans le cadre des Rencontres chorégraphiques de Seine-Saint-Denis.