Photo Galerie

Galerie / Adriano Wilfert Jensen & Simon Asencio, Group Show

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 4 avril 2017

Depuis 2014, Galerie, duo formé par Simon Asencio et Adriano Wilfert Jensen, détourne les codes de la galerie traditionnelle pour représenter exclusivement des œuvres immatérielles. Entre performance, économie expérimentale et fiction administrative, ils incarnent une nouvelle manière de faire circuler les œuvres, hors des cadres habituels. À l’occasion de leur passage à la Ménagerie de Verre pour le festival L’Étrange Cargo, ils reviennent sur leur pratique singulière, sur les stratégies de monstration développées par Group Show et sur leur rôle de « galeristes » d’un genre tout à fait nouveau.

Pourriez-vous revenir sur votre rencontre et retracer l’origine de votre projet Galerie ?

Nous nous sommes rencontrés au SNDO – School for New Dance Development à Amsterdam, où nous avons étudié la chorégraphie. Rapidement, des affinités esthétiques et politiques se sont révélées, et nous avons commencé à collaborer sur plusieurs projets chorégraphiques. Galerie est née de ce terrain de confiance, d’une complicité intellectuelle et d’un désir de créer un cadre qui puisse accueillir nos obsessions communes. Parmi les origines de Galerie, il y avait aussi un projet un peu fantasmatique d’acheter une maison en Toscane. Mais au-delà de cette rêverie, ce qui nous motivait vraiment, c’était l’envie de concevoir une structure capable de questionner les conditions de production, de circulation et de réception de l’art aujourd’hui, particulièrement à travers la notion d’expérience. Nous avions aussi le besoin de donner une place aux œuvres qui nous touchaient profondément, au point d’éprouver une nécessité de les défendre, de les transmettre.

Votre travail semble répondre à une préoccupation contemporaine autour de l’archivage, de l’auctorialité en art, du reenactment, ou encore des dispositifs interactifs activés par la présence des visiteurs/spectateurs. Quels sont les enjeux qui animent vos recherches artistiques ?

Nous essayons de considérer chaque œuvre selon ses propres termes. Si l’on représente une thérapie, alors nous la traitons comme une thérapie, et non comme une métaphore, ni comme une performance costumée. Notre intérêt porte sur ce qui rend une œuvre vivante, non réductible à son résultat ou à sa documentation. Nous pensons une œuvre comme un écosystème : son processus de création, la façon dont elle est organisée, le contexte dans lequel elle est montrée, les personnes impliquées, tout cela fait œuvre. Nous aimons beaucoup la notion de « formes de vie » développée par Franck Leibovici. Certaines œuvres engendrent des formes de vie, et inversement. Dans ce sens, nous essayons de ne pas cloisonner les œuvres dans des objets ou des produits finis. L’économie est au cœur de notre démarche : pas dans une logique marchande uniquement, mais dans une volonté de durabilité. Il s’agit de rendre ces œuvres « activables » à nouveau. Pas pour les figer, mais pour leur permettre d’exister ailleurs, autrement, à d’autres moments.

Quels liens tissez-vous avec le médium danse ?

Nous abordons la danse comme un champ élargi. Beaucoup des œuvres que nous représentons ne relèvent pas du spectacle chorégraphique traditionnel, mais sont pourtant profondément liées au corps, au temps, à la présence, à l’écoute. Par exemple, Internal Conflict de Krõõt Juurak est une œuvre dans laquelle un conflit est injecté dans un groupe existant (par exemple une équipe de musée), à partir de tensions latentes. Ce n’est pas une pièce dansée, mais c’est bel et bien une partition corporelle, sociale, improvisée. Ou Fake Therapy de Valentina Desideri, qui propose de fausses séances de thérapie, une pratique d’attention et d’altération. Ces pratiques échappent aux cadres usuels de la danse-théâtre, et c’est précisément ce qui nous intéresse : ce sont des danses sans chorégraphie.

Comment définiriez-vous exactement vos rôles ? Curateurs ? Directeurs artistiques ? Interprètes ? 

Nous nous définissons avant tout comme galeristes, même si ce terme est à prendre au sérieux et avec distance. Car être galeriste dans notre cas, c’est être à la fois médiateur, producteur, interprète, administrateur, conteur et parfois même traducteur. Dans Group Show, nous incarnons les œuvres tout en étant leur support. Nous sommes à la fois le socle, le mur blanc, la lumière de galerie, le cartel, et l’accueil. C’est une fonction polymorphe. Administrativement, Galerie n’a pas de statut propre. Simon travaille depuis la France, Adriano depuis le Danemark. Nous sommes des artistes indépendants, ce qui nous permet de rester souples, légers et adaptables.

À la Ménagerie de verre, on était accueilli par un bouquet de fleurs posé dans le hall, seul élément tangible de l’exposition. Quel rôle joue cette composition florale dans la dramaturgie de Group Show ?

Les fleurs sont un symbole récurrent dans notre pratique. Elles ont une valeur à la fois économique, affective et temporelle. Elles disparaissent, mais laissent une trace dans l’expérience. Pour chaque Group Show, nous travaillons avec un·e fleuriste local·e. À la Ménagerie de verre, c’était Ana Vega, artiste florale. Elle a choisi les fleurs en fonction des œuvres présentées, en cherchant à traduire leur énergie, leur intensité, leur atmosphère. Pour l’œuvre de Mårten Spångberg, elle a sélectionné des oreilles d’agneau, une plante douce et rassurante. Pour Internal Conflict, une plante carnivore : la Sarraceniaceae. Le bouquet devient ainsi un micro-musée olfactif et sensoriel, une manière discrète d’introduire le public dans l’univers des œuvres.

Les artistes que vous exposez viennent aussi bien des arts visuels que de la danse. Comment choisissez-vous les œuvres ?

Nous ne sélectionnons pas selon une thématique ou un propos curatorial unifié, mais selon une attitude. Une position vis-à-vis du médium. Certaines œuvres déplacent les codes de la performance, d’autres ceux de l’art conceptuel ou du théâtre. Nous cherchons des œuvres qui ont une forte autonomie : elles créent leurs propres conditions de réception. Ce sont des œuvres qui résistent à la standardisation, à la simplification. Et souvent, ce sont des œuvres dont la diffusion nécessite une forme d’engagement mutuel avec nous.

Si on associe la scénographie d’une exposition à la dramaturgie d’un spectacle, comment pensez-vous le déroulement de la soirée ?

Group Show est un format flexible. Chaque itération s’adapte au lieu, au contexte, au public. Il y a eu des éditions dans des galeries (Jan Mot), des espaces hybrides (Squash à Mexico), des théâtres (Dansehallerne), etc. À chaque fois, on observe le lieu et ses usages pour construire une circulation, une narration, une atmosphère.

Certaines œuvres sont activées dès l’entrée du public. D’autres surgissent sans prévenir. D’autres encore sont perceptibles uniquement par effet de trace.

C’est une exposition sans murs, où l’espace scénique se confond avec le hall, la loge, la file d’attente. On crée des micro-architectures invisibles. On détourne les codes du théâtre pour les rendre poreux à l’imprévisible.

Comment approchez-vous les artistes ? Acceptent-ils facilement de vous léguer une œuvre ?

Galerie ne représente pas des artistes, mais des œuvres. C’est une distinction importante. Quand on contacte un·e artiste, c’est souvent pour une pièce spécifique. Nous pratiquons une forme d’écoute active de l’œuvre. Que veut-elle ? Que cherche-t-elle à devenir ? De quoi a-t-elle besoin ? Cela se fait en dialogue avec l’artiste : on réfléchit ensemble à la manière de transmettre, de rejouer, de faire vivre la pièce sans qu’elle perde son intégrité. Cela peut passer par des répétitions, des textes, des vidéos, des archives ou des protocoles. Le but n’est pas de recopier, mais d’incarner, temporairement, partiellement, avec fidélité mais sans fixité.

Comment se déroule l’entrée d’une nouvelle œuvre dans votre collection ? Est-ce un achat ? Un accord tacite ?

Nous avons une collection d’œuvres que nous représentons sur le long terme, environ dix œuvres de huit artistes. Mais pour Group Show, nous opérons souvent des invitations ponctuelles. Certaines pièces ne peuvent pas être « déléguées », elles nécessitent la présence de l’artiste. D’autres le peuvent, à certaines conditions. Il ne s’agit pas d’un achat. Il s’agit d’un accord mutuel. L’artiste reste l’auteur de son œuvre. Nous nous engageons à la représenter, à la diffuser, et à verser un droit de monstration chaque fois qu’elle est activée. Nous sommes aussi disponibles si une vente a lieu, dans ce cas, nous agissons comme intermédiaires. Group Show est à la fois une plateforme de monstration, un espace de circulation et une tentative de création d’un marché pour les œuvres performatives.

Vu à la Ménagerie de verre. Photo Galerie.