Photo Céline Bertin

Yaïr Barelli, Ce ConTexte

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 13 mars 2015

Né à Jérusalem en 1981 et installé en France depuis 2008, Yaïr Barelli est interprète pour différents artistes et chorégraphes. Nous l’avons vu notamment dans Cribles d’Emmanuelle Huynh, Paraíso – colecção privada de Marlene Monteiro Freitas et D’après une histoire vraie de Christian Rizzo. Intitulée Ce ConTexte, sa première pièce est programmée au Centre Wallonie Bruxelles de Paris dans le cadre de la 17e édition du festival Artdanthé organisé par le Théâtre de Vanves.

Pouvez-vous nous parler de Ce ConTexte ?

Ce ConTexte est un travail que je développe depuis 2010 sous la forme d’un solo. Il s’agit d’une mise en public de certaines pratiques : la parole, le rituel et la danse. Avec ces outils, je tente de questionner et de dévoiler ce qui émerge de la situation du spectacle, en moi-même, comme dans la salle. Le spectacle trouble les limites entre fiction et réalité, je joue de ce phénomène. Monter sur scène n’est pas anodin, j’essaie de partager les doutes, les peurs, ainsi que le plaisir et la joie qui m’accompagnent dans cette activité. C’est une tentative vaine où je lutte pour trouver une « réponse » à ma motivation pour l’acte de performer. Sachant que je n’aurai pas cette réponse, je trouve un intérêt dans le partage de cet effort. J’essaie de percer quelque chose dans l’influence hypnotique du théâtre, de ce lieu où l’artificiel, la fiction, la séparation entre le regard et l’action, dominent. Il s’agit d’aller à contre-courant de ce que la situation du spectacle produit naturellement, par exemple, danser comme si le public n’était pas là. Y parvenir est peut-être impossible, mais je tente néanmoins d’en dévoiler l’effort. Face à cette impossibilité, il y a une dimension humoristique qui apparaît. C’est l’humour d’un bouffon en pleine introspection.

D’où vient ce titre ?

Le choix du titre a été spontané et correspondait à la période où l’on m’a demandé un titre pour une représentation du travail. Dans ce solo, il s’agit d’une pratique que je partage, une pratique qui trouve son sens face à un public. C’est une pratique vivante et changeante dont les outils sont la parole et le mouvement, l’enjeu est de s’adapter chaque fois et de nouveau à une situation donnée. Le titre reste le même, c’est d’ailleurs peut-être une erreur… Le titre affirme qu’il s’agit d’un jeu, que le texte est « con ». Ce n’est pas dans son contenu qu’on trouvera une force. C’est aussi une invitation au sensible du travail, à la manière dont il est livré, à l’opération intérieure que je fais en tant qu’interprète. Il indique que c’est le contexte qui est la source du travail. Etymologiquement, ce contexte veut dire : ce qui va avec le texte, qui est, dans le cas du spectacle, un corps.

Comment la pièce a-t-elle-évolué au fil des années ?

Il s’agit d’une pratique que je peux mettre en jeu seulement en situation de spectacle. Il est très difficile de répéter cette pièce de manière traditionnelle, sans public. La première fois où j’ai senti que le travail était arrivé à un certain degré de maturation, c’était au festival Actoral à Marseille, en 2013. Maintenant, le défi est de la déstabiliser de nouveau, car l’idée de donner à voir un effort vers quelque chose d’inachevable et non un résultat «  bien fait  ».

Vous entretenez un rapport particulier avec le public dans cette performance.

Commencer le spectacle en parlant dans les gradins me permet de redéfinir cette notion de distance avec le public : je suis avec lui, je l’absorbe avant de basculer vers autre chose. C’est un temps où je m’inspire de l’ambiance, j’essaie de « me mettre dedans », de m’intégrer avec eux, tout en jouant mon double rôle, je fais partie de cette foule, mais pas complètement… Comme les spectateurs font partie de la performance, mais pas complètement. Ils l’influencent et je suis intéressé par ce pouvoir, j’aimerais l’absorber et le transformer. Il y a également un processus de descente, la pièce commence là-haut, dans la tête, en haut des gradins et ça descend ensuite dans le corps, dans la salle, vers le plateau.

Quelle importance accordez-vous aux mots ? Sont-ils des palliatifs aux mouvements ?

Je ne connaissais pas le mot palliatif… Je le découvre maintenant et je l’aime beaucoup. C’est exactement lié aux paroles de Ballad of a Thin Man de Bob Dylan que nous retrouvons dans la pièce : « il y a quelque chose qui se passe, mais on ne sait pas ce que c’est. » Oui, j’utilise les mots comme un outil pour creuser « dedans », comme une pelle. Le contenu n’a pas d’importance, mais l’effort de l’introspection est présent et doit être palpable. C’est un exercice difficile, surtout dans une situation de spectacle. Je parle d’une fausse psychanalyse et d’un faux rituel vaudou, car je joue le jeu sérieusement tout en sachant que c’est un exercice vain, je tente de rendre visible l’effort. À mes yeux, la parole est notre moyen de communication le plus répandu, je commence donc le spectacle en parlant. Il y a une tentative de comprendre et d’analyser ce qui n’est pas compréhensible et ce qui n’est pas analysable : l’instant vécu.

Depuis sa création, Ce ConTexte a été présenté dans de nombreux espaces différents : dans des théâtres, dans un jardin, dans des espaces d’expositions… Quel statut lui attribuez-vous ?

Ce travail n’est pas posé ou parachuté dans un contexte : il se saisit du contexte et se laisse traverser par lui. Ainsi, il s’écrit à chaque fois de nouveau selon le lieu. Donc ça peut marcher dans n’importe quel contexte, même dans un zoo… Ces changements me donnent la motivation de travailler et je me réjouis de sautiller d’un théâtre, à une salle d’exposition, à un espace en plein air. Ces frontières, à la fois artificielles et nécessaires, sont passionnantes.

Vous participez également à des expositions, vous collaborez avec des artistes… Quel rapport entretenez-vous avec les arts plastiques ?

J’essaie fortement d’éviter les titres… Je préfère les descriptions. Par exemple, la différence entre dire : je suis israélien ou je suis né à Jérusalem. Je suis chorégraphe, ou je travaille avec la danse. Je suis artiste, je fais de la vidéo et des installations… Je préfère toujours la description. Je viens d’un parcours chorégraphique, et effectivement je participe à des expositions où je fais des installations, vidéos, objets, mais c’est toujours lié à la danse. Je me sens proche de la manière dont les plasticiens travaillent, je sens qu’ils ont une certaine liberté, qui m’inspire, et effectivement la plupart de mes collaborations sont avec des artistes visuels : Abaké, Neal Beggs, Jochen Dehn, Loreto Martinez Troncoso, Pauline Bastard et Ivan Argote. Ce sont des gens qui questionnent leur propre manière de travailler, comme moi, et ça fait émerger une bonne communication entre nous.

Conception et interprétation : Yaïr Barelli. Lumière : Yannick Fouassier. Son : John Cage (Extrait du silence) Bob Dylan (Ballad of a thin man). Photo Céline Bertin / La Ferme du Buisson.