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Dovydas Strimaitis, A Duet

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 26 mars 2023

Originaire de Lituanie, Dovydas Strimaitis s’est illustré ses dernières années en tant qu’interprète dans le Ballet national de Marseille sous la direction de (LA)HORDE. Aujourd’hui, le danseur et chorégraphe développe ses propres projets, engagé dans une réflexion qui interroge l’histoire de la danse à travers sa propre pratique. Inspiré par le saut du petit allegro, une figure de danse classique propre à l’héritage du ballet, sa nouvelle création A Duet explore et épuise ce pas à travers de multiples configurations afin d’avoir un aperçu de son essence. Dans cet entretien, Dovydas Strimaitis partage les enjeux de sa recherche et revient sur le processus de création de A Duet. 

Votre travail semble se développer autour de l’histoire de la danse et de sa propre pratique. Pourriez-vous revenir sur les différentes réflexions qui traversent aujourd’hui votre recherche artistique ?

J’ai commencé à prendre conscience de mon intérêt pour l’histoire de la danse durant mes cours théorique à la Codarts University for the Arts de Rotterdam, notamment lorsque j’ai découvert le travail des chorégraphes de la Judson Church chez qui le mouvement est au centre de la danse et non l’interprète ou le contexte. À cette même période, je ne trouvais peu de réelle joie à danser ou à créer à cause du besoin présupposé d’«exprimer» ou de «communiquer» quelque chose à travers la danse. La plupart des émotions que je voyais sur scène semblaient fausses et imposées à la fois aux interprètes et au public. La danse sèche, terre-à-terre et calculée des années 60 me touchait plus que les créations que je pouvais voir sur les scènes actuelles. Je pense que c’est la matérialité, la réalité et la simplicité des partitions, une structure logique et compréhensible qui m’a enthousiasmé. Je me demandais pourquoi la danse post-moderne avait disparu et si les grands principes fondateurs de ce courant artistique étaient toujours d’actualité. Au fil de ces dernières années, j’ai trouvé des réponses à certaines de mes questions, d’autres ont surgi et encore beaucoup de réponses restent à trouver. Aujourd’hui, au fil de mes projets, je constate deux récurrences dans mon travail : l’utilisation du mouvement pour analyser le mouvement et le besoin de me situer et de situer ma pratique par rapport à l’histoire de la danse. Plus récemment, en observant l’évolution de la danse contemporaine, je me questionne de plus en plus sur la technique et dans quelles mesures un mouvement technique est encore nécessaire à la danse. Je m’interroge également sur notre continuité avec l’histoire et pourquoi nous prétendons couper nos liens avec elle, sur les rôles d’interprètes et de chorégraphes.

Votre création A Duet a pour point de départ une figure de danse classique : le saut du petit allegro. Comment votre intérêt s’est-il focalisé sur cette figure en particulier ?

Tout d’abord, le saut du petit allegro est pour ma partie préférée durant un cours de danse classique. Cette figure possède des structures formelles et rythmiques très claires, une composition complexe et de multiples motifs avec des variations. Il demande une grande combinaison de compétences de la part de celui·celle qui le réalise : clarté, musicalité, force et légèreté. C’est pour moi un petit défi de me lancer à chaque fois dans cet enchaînement et réussir son exécution est très satisfaisant. Je trouvais intéressant de travailler à partir de cette figure car j’ai l’impression qu’elle est extrêmement rare en danse contemporaine, la seule fois où j’ai pu voir ce type de petits pas rapides est dans la house dance mais il s’agit d’une pratique qui se contextualiste plutôt dans le domaine de la street dance, qui reste toujours de la danse sociale, même si des chorégraphes tentent depuis quelques années de l’amener sur les scènes de danse contemporaine.

Pourriez-vous revenir sur la genèse et l’histoire du ce duo ?

L’envie de créer une pièce autour du petit allegro remonte à mes années en tant qu’étudiant danseur. J’ai eu pendant longtemps une blessure qui m’a empêché de sauter et durant les cours de danse classique, à chaque fois qu’on devait sauter, je devais arrêter et observer. Voir le saut du petit allegro exécuté par mes camarades, surtout en couple, était toujours très stimulant. Ce pas en particulier m’a touché dans sa pure exécution, dénué de tout contexte et références. Des années plus tard, lorsque j’étais danseur au Ballet national de Marseille, j’ai proposé à deux de mes collègues, Aya Sato et Daniel Alwell, d’expérimenter en studio avec moi après le travail. Je leur ai proposé d’explorer ensemble le saut du petit allegro et ce qui a commencé comme un exercice amusant et créatif est devenu un véritable processus de création. C’était une recherche qui demandait un engagement physique très intense et pourtant Aya et Daniel ont continué ce projet avec moi après nos longues journées de travail. Cette recherche nous rendait enthousiastes et nous l’avons poursuivie en parallèle de notre travail pour le ballet. Lorsque j’ai quitté le Ballet de Marseille pour me concentrer sur mes propres projets, ce premier duo s’est imposé comme une évidence. J’ai alors invité les danseurs·euses Clara Davidson et Ibai Jimenez à poursuivre cette recherche en studio avec moi.

Comment avez-vous initié cette recherche ? Pourriez-vous revenir sur le processus chorégraphique ?

J’ai proposé qu’on aborde cette figure à travers la surabondance. J’ai la conviction que faire l’expérience de ce pas à travers sa multiplicité allait nous permettre d’avoir un aperçu de son essence. Pour ce faire, j’ai joué avec trois éléments formels de la danse : le temps, l’espace et la forme. Nous avons commencé par construire une partition spatiale pour chaque interprète et nous avons utilisé le même principe pour le temps et la forme. Puis nous avons à additionner et créer des modules à partir des différentes partitions, par exemple «espace + temps», «forme + temps», «espace + temps + forme», etc. Ces différentes combinaisons nous ont permis d’avoir de nombreuses variations à partir desquelles nous avons construit une première ébauche de la pièce. Après cette première entrée physique dans la matière, j’ai proposé de faire une étude sémiotique de la partition, détachée de toute intention. À partir de l’analyse des contextes sociaux et historiques du pas, de l’expérience des danseurs·euses en studio et de mon expérience de spectateur, est née de nouvelles réflexions qui sont venues nourrir l’écriture de la dramaturgie. Procéder dans cet ordre à permis d’aborder et d’explorer l’écriture du mouvement dans sa plus simple configuration avant qu’apparaissent naturellement de nouvelles couches de signifiants et de fictions.

A Duet est interprété en silence. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?

Si la pièce est jouée en silence, les deux danseurs·euses portent des oreillettes qui leur permettent de s’accorder ensemble à partir d’un beat. La partition chorégraphique est très stricte en termes de timing et de rythme, ce beat leur permet une trame temporelle commune avec laquelle iels se coordonnent et se détachent. Ce beat devient presque un maître qui dirige les interprètes sans aucune considération pour leurs besoins. Le tic-tac électronique constant ne se soucie pas de savoir si les danseurs·euses sont fatigué·es et souhaitent ralentir ou s’iels sont excité·es et souhaitent accélérer. Il faut suivre son insistance. Proposer ce duo en silence est pour moi une manière de traduire ce métronome électronique et froid en une expérience vivante, charnelle et humaine. Dans ce silence, le beat apparaît à travers le corps des danseurs, il se traduit de l’abstrait au physique.

Chorégraphe Dovydas Strimaitis. Interprètes Clara Davidson, Ibai Jimenez. Eclairagiste Lisa M. Barry. Costumière Taylor Wishneff. Ingénieur du son Maxime Jerry Fraisse. Musique Adolphe Adam – No. 20 Allegro feroce (Giselle, London Symphony Orchestra, Michael Tilson Thomas). Productrice Domantė Tirylytė. Photo © Paloma Saint Léger.

A Duet est présenté le 30 mars au Festival Artdanthé