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Bruno Benne, Rapides – water music

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 5 septembre 2023

Détenteur d’un savoir-faire « baroque » s’inscrivant dans la lignée des maîtres à danser du XVIIIe siècle, le danseur et chorégraphe Bruno Benne puise dans cet héritage pour renouveler les concepts de la danse baroque. Dans sa nouvelle création Rapides – water music, l’artiste s’appuie sur les suites de la Water Music de Georg Friedrich Haendel – considéré comme l’un des plus grands compositeurs de musique baroque – et signe une pièce réjouissante inspirée des mouvements d’eau jaillissant des jeux de fontaines baroques. Dans cet entretien, Bruno Benne partage les rouages de sa recherche artistique et revient sur le processus de sa nouvelle création Rapides – water music.

Vous développez depuis plusieurs années une recherche qui explore et réactualise la danse baroque. Comment décririez-vous votre recherche artistique ?

La danse que l’on nomme baroque aujourd’hui s’appuie à la fois sur des interprétations de sources, des recherches et surtout une subjectivité profondément actuelle. En effet, notre incapacité à la restituer « à l’identique » nous offre aujourd’hui de multiples choix et différents axes pour son développement. Loin de tenter une reconstitution historiquement informée, je puise dans les concepts baroques les matières qui nourrissent le fondement d’une démarche de création totalement contemporaine. Être moderne aujourd’hui, comme les artistes de l’époque étaient modernes de leur temps, est pour moi le plus bel hommage que l’on puisse leur rendre.

Pourriez-vous revenir sur les différentes réflexions qui traversent aujourd’hui votre pratique artistique ?

Détenteur d’un savoir-faire « baroque » s’inscrivant dans la lignée des maîtres à danser du XVIIIe siècle ainsi que dans celle des artistes qui l’ont remis au jour à la suite de Francine Lancelot dans les années 60-70, je porte ce double héritage vers l’avenir avec ma propre sensibilité. Mes réflexions se posent autant sur les matières de danse que sur la façon dont elles ont été pensées et composées. On sait que les interprètes de danse baroque de l’époque étaient tous·tes danseur·euses et musicien·nes, c’est donc une musicalité accrue du mouvement qui s’est développée, à moins que ce ne soit l’inverse : la danse guidant les formes de suites musicales par exemple. Mes réflexions aujourd’hui tendent vers une restitution vivante de ce lien à la musique, en cherchant à comprendre les modes et les motivations de composition.

Votre nouvelle création Rapides – water music s’appuie sur les suites de Water Music de Georg Friedrich Haendel. Pourriez-vous retracer la genèse de cette création ?

Au départ, il y a eu ma volonté de transmettre et de partager mes connaissances à une nouvelle génération d’interprètes, de leur donner le goût de cette danse pour susciter chez eux de la curiosité envers la codification baroque. J’ai eu tant de plaisir à danser dans des pièces de groupes qu’il était évident pour moi de partager et retrouver ce plaisir-là. J’ai cherché une œuvre baroque fédératrice puisqu’il s’agissait de penser une création pour un groupe de dix danseurs et danseuses. Je souhaitais une pièce orchestrale pour jouer avec les différentes voix instrumentales, une musique à la puissance lumineuse et solaire et également une œuvre profane. J’avais envie que la musique nous porte dans le mouvement et donne aux interprètes les élans et les phrasés d’une danse extrêmement musicale. Water Music répondait à tous ces critères. 

Comment avez-vous initié le travail avec cette équipe ?

Comme les interprètes de la création n’avaient pas ou très peu de connaissances en danse baroque, j’ai profité du temps des répétitions pour les former à cette esthétique tout au long du processus. Avec un cours d’échauffement basé sur les concepts baroques et des temps d’apprentissage d’extraits de répertoire, nous avons cheminé ensemble vers les matières contemporaines qui ont ensuite composé la pièce. Nous avons aussi pris le temps de lire et de s’imprégner de certaines sources : traités, iconographies, vidéos… Il était important pour moi de leur partager la base et les objets de mes réflexions. Cette nouvelle équipe s’inscrit aujourd’hui à mes côtés dans les futurs projets de la compagnie tant pour la création que pour la médiation. 

Vous collaborez une nouvelle fois avec le compositeur Youri Bessières. Pourriez-vous partager le processus musical de Rapides – water music ?

Cette nouvelle collaboration avec le compositeur et violoniste Youri Bessières était pour lui et moi l’occasion de poursuivre nos questionnements sur la ré-invention de cette danse et de cette musique. Les pièces de G.F. Haendel étant relativement courtes, je lui ai proposé d’opérer des effets de boucles répétitives sur de courts motifs à la fois pour entendre cette musique différemment, autant que pour me permettre d’avoir la durée nécessaire au développement de certains motifs et concepts chorégraphiques. Avec Youri, nous cherchons à composer ensemble la danse et la musique, il s’agit d’une évidence dans nos réflexions sur ce répertoire tant les deux écritures sont liées et prévues pour exister en étroite relation.

Pourriez-vous partager le processus chorégraphique de Rapides – water music ?

Water Music a été composé pour le roi George Ier de Grande-Bretagne et interprété par Haendel (avec un orchestre symphonique de 50 musiciens sur une barque voisine de celle du roi) pour une procession fluviale sur la Tamise à Londres en juillet 1717. Le fait que cette musique ait été jouée lors de sa création sur des bateaux naviguant m’a beaucoup inspiré pour l’écriture de la danse. J’ai imaginé les chorégraphies à partir des mouvements de l’eau, en m’appuyant à la fois sur les jeux de fontaines baroques symétriques et sur les vagues ou les rapides de torrents jaillissants. Travailler avec un ensemble de danseur·euse m’a permis de développer une écriture orchestrale, plus complexe, tout en exploitant la force et les élans démultipliés du groupe. Tout comme une partition d’orchestre comportant de multiples voix, il y a finalement très peu d’unissons dans la pièce. À part un court solo et un trio, la chorégraphie a été pensée pour donner à voir une énergie commune et qui se propage, je l’espère, jusqu’aux spectateur·ices.

Rapides – water music, vu au CND à Pantin. Conception & chorégraphie Bruno Benne. Conception musicale Youri Bessières & Bruno Benne. Assistante à la création Estelle Corbière. Musique Water Music (1717) G. F. Haendel, enregistrement de J. Savall (1993), arrangements et créations de Youri Bessières. Interprétation Polonie Blanchard, Gaspard Charon, Alix Coudray, Odéric Daluz, Océane Delbrel, Louis Macqueron, Catarina Pernao, Anthony Roques, Carlo Schiavo, Anaïs Vignon. En alternance Mathilde Maire. Création lumières et régie Olivier Nacfer. Régie son Eric Maurin. Costumes Erick Plaza Cochet. Administration Anaïs Loyer. Chargée de production Anaïs Garcia. Vidéo Clément Gaubert / Kronos Production. Photos François Stemmer.

Le 13 septembre 2023 au Festival Le Temps d’Aimer la Danse à Biarritz
Le 15 mars 2024 au Figuier Blanc à Argenteuil dans le cadre de Escale Danse en Val d’Oise
Le 16 avril 2024 au Carreau / SN de Forbach
Le 18 avril 2024 à la Maison de la culture d’Amiens, avec le festival Kidanse – CDCN L’échangeur
Le 4 juin 2024 à l’Avant-Scène à Colombes, dans le cadre de Escale Danse en Val d’Oise