Photo BW 4x4 © Vincent Muteau  MG 5807 scaled

Birdwatching 4×4, Benjamin Vandewalle

Propos recueillis par Milena Forest

Publié le 30 juin 2022

Prenant la forme d’installations, de performances ou de dispositif participatifs, le travail Benjamin Vandewalle explore de nouvelles perspectives et expériences de l’espace public. Créé en 2012, sa pièce Birdwatching 4×4 invite le public à poser un regard nouveau sur l’espace de la ville. Assis à l’intérieur d’une plateforme mobile qui se déplace, les spectacteur.ice.s sont invités à observer la rue par l’intermédiaire d’une fenêtre. En forme de travelling urbain, l’artiste imagine une excursion qui offre un autre regard sur la ville et les corps qui la traversent. Dans cet entretien, Benjamin Vandewalle partage les enjeux de sa démarche artistique, son intérêt pour la création dans l’espace public et revient sur la genèse de son projet Birdwatching 4×4.

En 2009, vous avez créé un spectacle qui s’appelait Birdwatching puis en 2012, vous avez créé Birdwatching 4×4, qui est une version pour l’espace public. Comment s’est opéré ce changement de contexte ?

Birdwatching se passait en effet dans une salle de théâtre. Il s’agissait d’une plateforme avec des roues qui se déplaçait sur le plateau et sur laquelle était assis une quinzaine de spectateur.rice.s. En 2012, lors de la première édition du festival Dansand ! qui a lieu chaque année sur la plage à Ostende, l’équipe m’a demandé de créer une pièce spécialement pour l’occasion. Alors j’ai imaginé la version tout terrain de Birdwatching, qui est devenue Birdwatching 4×4 ! C’était la première fois que je créais une forme pour l’espace public et ça a été un coup de foudre immédiat. L’espace public est un véritable miroir pour la création, qui s’ancre dans un lien direct à la société. Sortir du confort du studio pour se confronter à l’architecture et à toutes les possibilités offertes par l’espace extérieur m’a passionné et j’ai continué à explorer cette dimension dans presque toutes les créations qui ont suivi. Quand on passe de la boîte noire à l’espace public, il s’agit avant tout de créer un cadre. C’est-à-dire de restreindre le regard, de créer un focus. Dans la boîte noire, il faut travailler à partir de rien. Toute la réalité est à inventer. Alors que dans l’espace public à l’inverse, il s’agit de créer une fiction à partir de ce qui existe déjà, d’inclure une nouvelle réalité à celle qui préexiste.

Comment est née l’idée du dispositif de Birdwatching ?

Ce qui était fondamental dans Birdwatching au départ, c’était la question de la perception du mouvement. Quand on regarde de la danse, en général, on ne bouge pas. Cette posture immobile détermine complètement notre perception du mouvement. Le mouvement existe seulement parce qu’autour, il y a de l’immobilité. Si tout bouge en même temps, on ne perçoit plus le mouvement. C’est de la physique élémentaire, c’est ce qu’on appelle la relativité du mouvement. Comme danseur et comme chorégraphe, cette question me semblait passionnante à explorer. C’est en imaginant le dispositif mobile de Birdwatching que j’ai commencé à travailler le bois et à découvrir que j’aimais créer des installations. Par la suite, j’ai conçu Studio Cité : une série de dispositifs interactifs qui orientent le regard des spectateur.rice.s. Pour moi, c’est aussi de la chorégraphie. Dans la plupart des cas, je trouve l’expérience de danser plus intéressante que celle de voir la danse. Je cherche donc à mettre le public en mouvement, à internaliser la chorégraphie dans le corps des spectateur.rice.s.

D’où vient ce nom, « Birdwatching » ?

Le nom de la pièce est inspiré par ma pratique de la méditation Vipassanā. J’ai commencé à pratiquer la méditation durant mes études à P.A.R.T.S., par le biais de mes enseignants. J’ai fait plusieurs retraites d’un mois pendant lesquelles on médite quatorze heures par jour. C’est une pratique sur l’observation de la réalité et de soi-même. La perception de la réalité devient très subtile, on commence à sentir les mouvements cellulaires, on devient observateur de ses propres pensées. On expérimente physiquement qu’il n’y a pas un personnage fixe à l’intérieur de soi mais que c’est fluide. Comprendre qu’il n’y a pas une réalité unique influence notre façon d’agir dans le monde. Ce principe de changement de perception est véritablement le fond de tous les projets que j’ai fait jusqu’à maintenant. Comme un « birdwatcheur » qui, caché, regarde par une petite fenêtre sans intervenir, et qui après des heures et des heures d’observation, commence à comprendre la vie d’un oiseau. Avec Birdwatching 4×4, je tente d’activer ce regard contemplatif, cette observation minutieuse de la réalité et de l’espace de la ville.

À quoi ressemble Birdwatching 4×4 ?

Il s’agit d’une déambulation de quarante minutes dans l’espace public, avec sept interprètes. Les spectateur.rice.s sont installés dans une boîte avec une ouverture en forme de cadre qui leur permet de regarder l’extérieur. Cette boîte est tractée et se déplace dans la ville. Offrir aux spectateur.rice.s une position invisible et détachée est un ingrédient important de cette expérience. La dramaturgie repose sur le rapport à la ville : comment parfois nous nous rendons invisibles et comment parfois, a contrario, nous créons par le mouvement et la présence de nos corps des contrastes. Les danseur.euse.s provoquent des situations inattendues, développent un jeu de réappropriation des objets et du mobilier urbain, ont des comportements qui sortent des conduites sociales en extérieur, bousculent la réalité quotidienne en rompant les règles implicites et collectivement respectées d’un certain usage de l’espace public.

Le dispositif et cette fenêtre d’observation n’est pas sans rappeler un écran de cinéma.

Au moment d’entrer à P.A.R.T.S., j’étais inscrit dans une école de cinéma. J’ai finalement choisi la danse. Mais cette question du cadre et du travelling n’est pas venue directement de mon intérêt pour le cinéma. C’est vraiment la nécessité de créer un focus dans l’espace qui a amené cette question du cadre et c’est par la suite que j’ai constaté que cette boîte ambulante s’apparentait pour le.la spectateur.rice à une caméra. Mais je crois que cette référence même inconsciente au cadrage est fondamentale dans l’expérience du public. Nous sommes tellement habitués à voir une représentation de la réalité et de la fiction dans un cadre de ces proportions que notre regard change lorsque nous observons la réalité quotidienne à travers ce prisme.

Vous revenez à Rennes cet été avec Birdwatching 4×4 qui a déjà été joué au festival des Tombées de la Nuit en 2013. A quoi répond cette reprise ?

Cette édition est un peu spéciale car c’est la dernière sous la direction de Claude Guinard, qui fait la programmation du festival des Tombées de la Nuit depuis 2003. Je crus comprendre qu’il avait eu envie d’inviter quelques projets phares des éditions précédentes. Nous n’avons pas joué Birdwatching 4×4 depuis six ans et j’avais justement très envie de revisiter cette pièce. C’était donc l’occasion idéale pour une reprise ! Après quinze ans de création, je sens aujourd’hui qu’un cycle est en train de se clore. Birdwatching 4×4 restera une pièce très importante dans mon parcours car il s’agit de ma première création pour l’espace public avec laquelle j’ai posé les bases d’un travail qui s’est déployé avec les projets suivants.

Concept et chorégraphie Benjamin Vandewalle. Scénographie Pieter Huybrechts et Benjamin Vandewalle. Concept original Erki De Vries. Danse Benjamin Vandewalle, Peter De Vuyst, Maïte Jeannolin, Rosa Omarsdottir, Krisjanis Sants, Christopher Schieche et Kathryn Vickers. Musique Nico Sall. Photo © Vincent Muteau.

Birdwatching 4×4 est présenté les 8 et 9 juillet au festival Les Tombées de la Nuit à Rennes