Photo © Laurent Philippe

Yuval Pick « Amener la danse jusqu’aux périphéries »

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 22 juillet 2017

Pause estivale pour certains, tournée des festivals pour d’autres, l’été est souvent l’occasion de prendre du recul, de faire le bilan de la saison passée, mais également d’organiser celle à venir. Ce temps de latence, nous avons décidé de le mettre à profit en publiant tout l’été une série de portraits d’artistes. Figures établis ou émergente du spectacle vivant, chacune de ces personnalités s’est prêté au jeu des questions réponses. Ici le chorégraphe Yuval Pick.

Né en Israël, Yuval Pick intègre en 1991 la Batsheva Dance Company où il rencontre William Forsythe, Jirí Kylián ou encore Vera Mantero. Il rejoint en 1995 la Tero Saarinen Company à Helsinki, puis intègre en 1999 le Ballet de l’Opéra National de Lyon avant de rejoindre la compagnie de Russel Maliphant à Londres. Après de nombreuses créations en France et à l’étranger, il est nommé à la direction du Centre Chorégraphique National de Rillieux-la-Pape en 2011. En tournée cette année, sa dernière pièce Are friends electric? à notamment été programmée à la Biennale de la danse de Lyon. Sa prochaine création verra le jour en janvier 2018 au Théâtre National de Chaillot.

Quel est votre premier souvenir de danse ?

Autour de l’âge de 5 ans, lors des fêtes de mariages, j’ai un souvenir très fort d’attendre avec impatience que le repas se termine pour aller danser ! Quelques années plus tard, lorsque j’ai vu le film Saturday Night Fever (1978), John Travolta est devenu mon héros et ma chambre s’est transformée en studio de danse pour répéter tous les « moves » point.

Quels sont les spectacles qui vous ont le plus marqué en tant que spectateur ? 

Le Sacre du Printemps (1975) de Pina Bausch, pour l’engagement total des danseurs jusqu’à l’abandon dans le mouvement, et la rencontre percutante entre le geste chorégraphique et la partition musicale. Einstein on the Beach (1976) de Bob Wilson, Lucinda Childs et Philip Glass : une œuvre majestueuse qui a transgressé les frontières entre opéra, concert, danse, théâtre en totale liberté. Turba (2007) de Maguy Marin : une organisation et réorganisation des matières sur la scène encore jamais vus, avec des couches multiples : son, texte, décor, danse, costumes… L’interprétation de Tero Saarinen dans le solo B12 (1988) de Jorma Uotinen. Un danseur hors du commun qui a bouleversé mon rapport au temps en le voyant danser. Astral converted (1991) de Trisha Brown, les mouvements polarisent sans cesse l’espace en juxtaposition des rythmes, jusqu’à créer une expérience jouissive. D’ivoire et chair – les statues souffrent aussi (2014) de Marlene Monteiro Freitas : un état de présence très particulier des danseurs qui relient le spectateur à quelque chose de primitif, d’archaïque. As it empties out (2014) de Jefta van Dinther, une expérience hallucinatoire qui propose un rapport novateur entre son, mouvement et lumière.

Quels sont les souvenirs les plus intenses en tant qu’interprète ?

Kyr (1990) d’Ohad Naharin, au sein de la Batsheva Dance Company : c’était ma première grande pièce de groupe en tant que danseur, une danse qui raconte le collectif, qui a répondu à mon désir de trouver une liberté sur la scène. The vile parody of address (1988) de William Forsythe : j’ai eu beaucoup de plaisir à danser cette pièce, qui m’a notamment permis de chercher la finesse dans les détails de l’interprétation. Solo for two (1996) de Mats Ek : une rencontre forte avec cette danse nordique plus théâtrale, et une opportunité de travailler sur la présence à travers la forme du solo et duo. Critical mass (1998) de Russell Maliphant : une première rencontre avec la danse contact et la méthode spécifique que Russel a développée autour de la notion de réception du corps sur le sol.

Quelles rencontres artistiques ont été les plus importantes dans votre parcours ?

Ohad Naharin : un auteur inventif, avec qui je partage beaucoup de points communs dans mon parcours, et plus précisément la relation du mouvement porteur de mémoire collective. Tero Saarinen : une bête de scène ! Il a une manière unique d’aborder dans ses pièces la relation humaine et la relation mouvement-espace, qui m’a beaucoup touché et inspiré. Bertrand Larrieu : un compositeur avec qui j’ai collaboré, sur plusieurs de mes pièces. Une approche atypique, dans la fabrication du son, et dans la réorganisation de notre mémoire collective à travers le son. L’éclairagiste Nicolas Boudier : nous avons développé ensemble un dialogue sensible entre la danse et la lumière qui fabrique l’espace scénique, pourtant dépouillé de tout élément scénographique. Les danseurs de ma troupe : je travaille avec des individus qui portent une capacité à trouver une liberté dans la danse, avec une grande faim de manifester leur vie à travers des mouvements. Leurs personnalités et leurs sensibilités ont une place centrale dans mon travail.

Quels sont les enjeux de la danse aujourd’hui ?

Avec l’engament du corps dans cette discipline et l’aspect collectif de sa pratique nous pouvons provoquer chez les gens l’importance de réinventer notre espace commun et les amener à découvrir des nouveaux points de vue sur le rapport à l’autre. Il me semble aussi très important de continuer à chercher des nouveaux lieux pour la danse. Défricher les espaces publics, des lieux atypiques, à l’extérieur et à l’intérieur, pour avoir plus d’opportunités de montrer des œuvres chorégraphiques, et pour créer de nouveaux rapports avec le public. Il est nécessaire d’amener la danse à la périphérie de notre pays, dans les campagnes au-delà du centre-ville, où la danse n’arrive presque jamais.

À vos yeux, quel rôle doit avoir un artiste dans la société aujourd’hui ?

Aujourd’hui il est urgent de penser notre société autrement. Nous avons besoin de nous reconnecter avec le sensible, pour percevoir différemment ce qui nous entoure. À mes yeux, l’artiste a un rôle de transmetteur à jouer. Il est là pour étendre le champ des possibles, par son travail, par l’acte de la création. Comme un acte de résistance, l’artiste rend visible notre capacité à inventer, rêver et imaginer.

Photo © Laurent Philippe