Publié le 13 août 2018
Pour certains, l’été est synonyme de repos, pour d’autres, il bat au rythme des festivals. Quoi qu’il en soit, cette période constitue souvent un moment privilégié pour prendre du recul, faire le point sur la saison écoulée et préparer celle qui s’annonce. Nous avons choisi de mettre à profit cette respiration estivale pour aller à la rencontre des artistes qui font vibrer le spectacle vivant. Artistes confirmés ou talents émergents, ils et elles ont accepté de se raconter à travers une série de portraits en questions-réponses. Cette semaine, rencontre avec Maxime Kurvers.
Quels sont tes premiers souvenirs de théâtre ?
Si ta question est : “à quel moment le théâtre a commencé à compter pour moi ?”, alors je dirais que ça a été assez tard. Enfant, il n’avait pas vraiment de place dans ma vie. Cela dit, j’ai quelques souvenirs épars : des spectacles plutôt rudimentaires, avec des situations naïves, organisés dans des salles des fêtes, ou encore des danses plus ou moins folkloriques auxquelles je participais enfant… Je n’y avais pas repensé depuis longtemps, mais ces souvenirs me reviennent aujourd’hui avec une forme de tendresse. Leur simplicité, leur beauté triviale, les rend, avec le recul, étonnamment touchants. Ils illustrent parfaitement ce que disait Brecht dans La Mère, en 1931 : “Une chose simple est difficile à faire.”Alors oui, Brecht parlait du communisme, mais on voit bien à quel point cette phrase peut aussi faire office de manifeste esthétique. Et peut-être même de la plus haute exigence artistique : ne rien attendre de plus de l’art que cette difficulté-là.
Qu’est-ce qui t’a donné envie de devenir metteur en scène ?
Sans aucun doute : ma pratique de spectateur. Et plus largement : le travail des autres artistes. Ce qui me gêne un peu dans ta question, c’est l’idée d’un “déclenchement” : comme s’il y avait un avant, un après, un événement fondateur… Or, je ne crois pas qu’il y ait un instant magique où le désir, le talent, ou “la grâce” tomberaient du ciel. On ne croit plus à ça, si ? Alors, il faut bien admettre que cette envie, si l’on veut continuer à l’appeler ainsi, est une construction. Fragile. Éphémère. À travailler. Et ce sont justement les autres, leurs inventions, leurs erreurs, leurs convictions, qui me donnent du courage. Qui m’aident à trouver une méthode. Qui, parfois même, font tout vaciller. Ce qu’on tente d’inventer, en art, est toujours adressé à quelques-uns. Parfois en hommage. Parfois en résistance.Mais jamais seul.
En tant que metteur en scène, quel théâtre veux-tu défendre ?
Je crois qu’il faut travailler dans l’idée que le théâtre peut rendre la vie plus heureuse. Pas au sens d’un divertissement béat, ni en fuyant ce qu’il a de tragique ou de complexe. Mais en l’affrontant comme une forme de positivité active. Offensive, même. Le théâtre permet d’élaborer des pensées, des hypothèses pour aujourd’hui et pour demain. Et à sa manière très concrète, matérielle, triviale parfois, il peut proposer autre chose : de l’égalité, de la douceur, de la sobriété, de la paix. Et ces principes doivent s’appliquer à tous les étages de la production. Tu connais peut-être cette anecdote : Straub-Huillet avaient décidé de payer toute leur équipe dès le début du tournage, et non après. C’est un détail, mais un geste clair. J’ai d’ailleurs pensé un jour qu’on devrait se retrouver à plusieurs autour d’une table et écrire un cahier de doléances. À adresser aux producteurs, aux collègues, au public. Un document non-négociable, fixant les conditions minimales pour que le théâtre puisse avoir lieu.
Et toi, en tant que spectateur, qu’attends-tu du théâtre ?
La même chose. Exactement. Je trouve très problématique de séparer le “moi artiste” du “moi spectateur”. Qu’il y ait une séparation concrète, spatiale, pour qu’il y ait représentation, d’accord. Mais dans l’idée, non. Pour moi, s’il y a une religion, c’est Rousseau. Et Debord.
Quels sont, selon toi, les enjeux du théâtre aujourd’hui ?
Je vais répondre avec les mots d’Elio Vittorini, écrits en 1947 : « La révolution communiste, comme il en ressort clairement de la lecture même rapide de Marx, est proprement la révolution individualiste. Elle ne vise à abolir que les différences mystifiées entre les hommes. […] Le communisme ne veut pas construire une âme collective. Il veut réaliser une société où les fausses différences sont liquidées. Et une fois ces fausses différences liquidées, ouvrir toutes les possibilités aux différences vraies. Ce que dit Marx, c’est que la libération de l’individu ne peut pas être le fait de l’individu seul. » Je n’ai pas trouvé mieux. Ça reste, aujourd’hui, un programme. Et un horizon.
Quel rôle devrait avoir un·e artiste dans la société, d’après toi ?
Je parlerais plutôt de “fonction” que de rôle. Un rôle suppose un plan. Un scénario. Une finalité. La fonction de l’artiste, pour moi, commence par une responsabilité de pensée. Transformer une idée, qu’elle soit triviale ou métaphysique, en forme. Une forme physique, perceptible, qui génère une réponse intellectuelle et émotionnelle. Je dis “sélective”, parce que personne ne produit jamais une image objective du monde. Et tant mieux. C’est en assumant nos subjectivités que de nouvelles pensées peuvent apparaître. Je crois que c’est dans la forme, dans la construction de la forme, que l’art devient politique. Les artistes vraiment formalistes sont ceux qui prennent ce risque : celui de définir de nouvelles beautés. Et je les place, oui, avant les autres.
Et la place du théâtre dans l’avenir, tu la vois comment ?
Comment veux-tu que je réponde à ça ? Je ne suis même pas certain de savoir ce que sera le théâtre que je ferai ou verrai la saison prochaine. Peut-être qu’un jour, on n’aura plus besoin de spectacles. Peut-être qu’on aura compris. Pourquoi ces douleurs. Ces représentations. Mais en attendant, il faut vivre. Il faut travailler. Travailler.
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