Photo pierre planchenault

Marlene Monteiro Freitas « Il s’agit d’un bal, alors on danse »

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 12 mars 2015

La nouvelle création de la chorégraphe cap-verdienne Marlene Monteiro Freitas De marfim e carne – as estátuas também sofrem (d’ivoire et chair – les statues souffrent aussi) puise son histoire dans le mythe de Pygmalion. La chorégraphe réunit sept performers dans un bal musical et signe une puissante performance aussi viscérale que troublante.

Quel a été le point de départ de votre nouvelle création De marfim e carne – as estátuas também sofrem (d’ivoire et chair – les statues souffrent aussi) ?

La matière inanimée, la pierre, l’os, l’ivoire rendue chair, le vivant et la pétrification. Les mythes de Pygmalion et Orphée trouvent un écho dans ces deux états : guidé par le désir, un homme transgresse les limites de ce qui est vivant et mort. Dans le désir de la métamorphose, de l’autre, de l’hybridité, nous avons eu envie de construire un bal de pétrifiés.

Votre précédente pièce prenait ses racines dans les peintures de Lucas Cranach, Jan Van Eyck et Francis Bacon. Quelles ont été vos inspirations dans cette nouvelle création ?

Notre première inspiration fut le film documentaire Les statues meurent aussi d’Alain Resnais et Chris Marker. Notre attention s’est portée sur l’esthétique du film : la succession des masques, les plans choisis, l’intensité de la musique et de lumière, la prolifération des mots du narrateur, les ruptures… Ces éléments ont offert au réalisateur un pouvoir animiste : il rend vivant des objets qui ont le pouvoir d’échange et de partage. Ce film met en relation plusieurs aspects de « l’art Africain », du colonialisme et ces post-effets. Je me suis beaucoup inspiré de certaines figures des films Vertigo d’Alfred Hitchcock et Persona d’Ingmar Bergman. Nous retrouvons également des fragments d’Orphée de Monteverdi ou du testament d’ Orphée de Jean Cocteau, en écho aux nombreuses recherches faites autour des métamorphoses, etc.

Comment avez-vous construit la performance à partir de ces recherches ?

Nous avons travaillé sur la dichotomie : le visible et l’invisible, la présence et l’absence. Par des états ou actions plus ou moins précises, nous avons essayé de faire apparaitre des évènements, des espaces, de nouvelles figures. Nous avons travaillé sur le déplacement des ces intensités, comme dans les rêves, où les affects, les émotions ne sont pas en accord avec les gestes ou avec les évènements vécus. Il s’agit d’un bal, alors on danse, on chante, on mange, on joue de la musique et on va aux toilettes. Il y a ceux qui s’endorment, ce qui rêvent, ce qui font des discours. Il y a des hommages aux absents, des accidents, des ruptures… Les musique se suivent les unes après les autres, selon l’humeur des musiciens ou du DJ. La musique, les images, les idées, les mythes sont uniquement le socle pour poser notre statue. Car sur scène il ne reste que le résultat d’un processus de transformation, de condensation. C’est ainsi que les images survivent dans nos corps et nos présences.

La bande sonore est en effet très présente, comment avez vous choisi les musiques ?

Il y a de la musique enregistrée et de la musique live. Les morceaux choisis font tous références à l’amour, l’intime, le désir, la transgression. Nous retrouvons aussi bien des tubes d’Omar Souleyman, Arcade Fire, Nutcracker, Tchaikovsky, Monteverdi ou de Bachar Mar-Khalifé. Un buzz retentit de façon irrégulière pendant la représentation. Il y a également de la musique live : des percussionnistes jouent des cymbales, ce sont des figures multiples, condensées, qui conduisent indirectement les danseurs vers différentes situations. L’animation et la résurrection sont les deux faces d’un miroir. Nous terminons le spectacle avec une reprise de Feelings. Chantée par Nina Simone, cette chanson d’amour devient un cri pétrifié, un cri de transgression.

Nous retrouvons également dans cette nouvelle création certains éléments de votre ancien spectacle Paraíso – colecção privada : les tatouages, les yeux écarquillés, la bouche grande ouverte… Ont-ils des significations particulières ?

Les yeux écarquillés sont un résultat sur le travail de la pétrification, la bouche grande ouverte est quant-à-elle un trou. Nos costumes sont des équipements pour la pratique de l’escrime qui ont été repeint en bleu. Le bas de nos jambes est peint en noir, en écho aux chaussettes hautes portées par les escrimeurs.

Chorégraphie Marlene Monteiro Freitas, interprétation Andreas Merk, Marlene Monteiro Freitas, Lander Patrick, Betty Tchomanga. Musique Cookie, Tiago Cerqueira, Tomás Moital, Miguel Filipe. Musique Yannick Fouassier. Photo de Pierre Planchenault.