Photo © Joelle Bacchetta

Ayelen Parolin, La mécanique des gestes

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 15 mai 2018

Née à Buenos Aires, Ayelen Parolin vit et travaille à Bruxelles depuis les années 2000. La chorégraphe et danseuse développe depuis plus de dix ans une œuvre insaisissable. À chaque fois singulières, ses pièces ont toutes en commun de scruter la nature humaine de manière méthodique. Actuellement en tournée, ses deux créations Hérétiques (2014) et Autóctonos II (2017) témoignent chacune de l’écriture rigoureuse et ciselée de la chorégraphe.

Vous avez créé Hérétiques en 2014. Pouvez-vous revenir sur la genèse de cette pièce ?

Hérétiques est arrivée après David, une pièce créée à partir d’une seule trace, sans lever le crayon, comme un monochrome. J’ai adoré céder à mon propre caprice, mais c’était une épreuve. J’ai alors voulu refaire la même chose autrement. Hérétiques est vraiment dans le même alignement. Je m’intéressais aux communautés qui ont fait le choix de vivre comme aux origines… Mais comme je ne pouvais pas partir en Amazonie, j’ai trouvé un stage chamanique en cherchant sur Google, dans un studio hippie-bourgeois de Bruxelles, qui servait de la soupe et du pain bio. À cette période, je lisais L’Origine du drame baroque allemand de Walter Benjamin dans lequel il y a un passage où il écrit que l’homme moderne pense qu’il peut tout faire mais qu’il n’est en réalité pas capable de faire des choses qui n’appartiennent pas tout à fait à son époque. Cette phrase a résonné en moi pendant ce stage chamanique et m’a inspiré l’idée d’une transe codifiée, sans spontanéité, exactement comme Walter Benjamin pouvait décrire l’homme moderne.

Comment la collaboration avec les deux danseurs s’est-elle mise en place ?

Nous avons beaucoup travaillé à partir d’improvisations. Il a fallu beaucoup du temps pour trouver le vocabulaire du mouvement, sa forme, ses états, ses qualités. Nous avons travaillé à partir de vidéos de ces improvisations, que nous avons dé-codées et ré-apprises. Puis nous avons composé avec ces mouvements, les avons définis et épurés pour préciser la partition chorégraphique. Cette création était vraiment une collaboration à quatre têtes – entre les deux danseurs Marc et Gilles, Lea Petra la pianiste et moi – pour laquelle nous avons partagé beaucoup d’émerveillement, d’enthousiasme et de plaisir.

À quel moment du processus de création la musique a-t-elle été créée ?

Lea est arrivée une fois que nous avions défini le vocabulaire, les 310 mouvements, mais pas encore la partition précise. La composition de la chorégraphie et de la musique s’est donc faite simultanément, en parallèle. La dramaturgie de la pièce s’est établie comme un trio, puisque la chorégraphie est inséparable de la musique et vice versa. Le rapport entre la musique et le mouvement fluctue, sans qu’une relation stable ne puisse jamais s’installer.

Votre dernière création Autóctonos II fait suite à Autóctonos. Quelles histoires unissent ces deux pièces ?

Pour moi, Autoctonos II était une réponse à la première version, que je n’avais sans doute pas totalement réussie. Autoctonos II représentait l’opportunité d’une deuxième chance, de recommencer la pièce, de repartir à zéro. Je me suis donné la liberté de parler de la même chose, mais sous un autre angle de vue. Avec Autóctonos j’avais envie de faire quelque chose de politique et d’engagé. Avec Autóctonos II, j’ai essayé de concevoir une chorégraphie, de composer et de construire un château de cartes qui tient debout. Les interprètes ont beaucoup donné et ont été entièrement au service du projet. Comme il s’agissait d’une deuxième version le chemin était déjà balisé, le travail était très ciblé et très défini avant même de commencer en studio. Quand j’ai décidé de refaire cette pièce, je souhaitais mixer la direction, l’intention d’Hérétiques avec la complexité d’Autoctonos, produire une écriture moins propre mais monochrome malgré tout. J’ai également souhaité travailler à nouveau avec Lea Petra, et son travail sur Autoctonos II s’est déroulé exactement de la même manière que sur Hérétiques. Elle a développé la partition musicale en parallèle à notre travail, avec les danseurs, sur la chorégraphie, qui prenait elle-même appui sur le groupe, l’unisson, en s’imposant un cadre strict de contraintes – comme dans toutes mes pièces précédentes.

Hérétiques & Autoctonos II : Concept et chorégraphie Ayelen Parolin. Composition musicale et interprétation Lea Petra. Dramaturgie Olivier Hespel. Photo © Joelle Bachetta.

 Autoctonos II, le 5 juin 2018 à June Event, Atelier de Paris