Par Yannick Bezin
Publié le 12 juin 2017
Plus d’un siècle après sa dernière représentation sur une scène européenne (à Bruxelles en 1914), cette nouvelle production du Timbre d’argent de Saint-Saëns par l’Opéra Comique, s’annonçait comme le clou du Festival Palazzetto Bru Zane. Après la résurrection au Théâtre des Champs-Élysées de la La reine de Chypre de Halévy en version de concert (résurrection partielle du fait d’une défaillance vocale du ténor) et celle de Phèdre de Lemoyne au Théâtre des Bouffes du Nord, cette production, en collaboration avec le Palazzetto Bru Zane, Centre de musique romantique française, permet de découvrir la seconde tentative de Saint-Saëns pour la scène lyrique.
Le spectateur s’aventure ici en terrain connu car il y a dans ce Timbre d’argent quelque chose qui n’est pas sans rappeler, du côté de l’opéra, Les Contes d’Hoffmann d’Offenbach (créés cependant postérieurement à l’ouvre de Saint-Saëns) et du coté de la littérature Un conte de Noël de Dickens, le tout avec une pointe de Faust tel que Gounod l’avait redessiné en 1859 mais aussi un peu de Wagner. Pendant la nuit de Noël, le peintre Conrad est alité atteint d’une fièvre maligne. Il est veillé par ses proches : Hélène, la femme qui l’aime, Rosa, la sœur de cette dernière et Bénédict, son ami, fiancé à Rosa. Le médecin leur annonce qu’il est en proie à la fièvre de l’or. Croyant s’éveiller, Conrad avoue son amour pour la danseuse Fiametta. Le médecin se révèle être Spiridion, un démon offrant à Conrad une sonnette en argent qui, chaque fois qu’elle résonne apporte la fortune mais au prix de la vie d’un proche. Le drame se développe autour de la rivalité de Conrad et de Spiridion pour séduire Fiametta, jusqu’à la prise de conscience tardive par Conrad que le bonheur est auprès d’Hélène. Mais tout cela ne se révèle être qu’une fantasmagorie dont Conrad sort finalement physiquement guéri et moralement redressé.
Conrad et Spiridion rappellent Faust et Méphistophélès. Le mauvais rêve pendant la nuit de Noël qui conduit à une réforme de l’existence rappelle Dickens. La poursuite d’une femme qui échappe sans cesse au héros, la dimension onirique du drame, le mélange des registres ont certainement inspiré Offenbach. Quant au timbre d’argent trouvé au fond des eaux, il n’est pas sans lorgner vers L’Or du Rhin.
L’hétérogénéité musicale de l’ensemble est perceptible dès la longue (trop longue ?) ouverture qui expose tous les thèmes de la partition à venir. Cette mosaïque musicale manifeste les différentes formes et les divers registres musicaux auxquelles Saint-Saëns aura recours (romance, valse, danse rustique, air de folie, références exotiques, etc.). Elle suggère d’emblée que nous aurons à faire à un monde fantastique. À la tête de l’orchestre Les Siècles, François-Xavier Roth ne cherche pas à imposer à la partition une unité qu’elle ne possède pas. Il parvient parfaitement à restituer la couleur propre de chacun des moments de l’opéra.
Le metteur en scène Guillaume Vincent a fait le choix intelligent d’une esthétique de cabaret et de music-hall pour assurer à l’ensemble de la musique et du drame une certaine unité. Toute l’action est ponctuée de numéros de magie, un peu éculés et naïfs cependant : colombe ou fleur surgissants d’un foulard, dé disparaissant et réapparaissant derrière une oreille, flash, etc. Les décors et le jeu des lumières, modernes et pertinents, se révèlent bien plus efficaces à suggérer la dimension fantastique et onirique de l’action. Les éléments de décors étant rares, la multiplication des rideaux joue une rôle essentiel. De couleurs et miroitements divers, ils s’ouvrent successivement et progressivement sur toute la profondeur et la nudité du plateau à mesure que le rêve de Conrad lui échappe et se transforme en cauchemar. Le livret comporte un rôle muet de première importance : la ballerine Fiametta qui enflamme l’âme de Conrad. Il est ici incarné par la danseuse Raphaëlle Delaunay qui mobilise aussi bien la pantomime que des chorégraphies inspirées de Josephine Baker ou la danse tribale pour s’exprimer.
Tassis Christoyannis prend un plaisir évident et communicatif à incarner Spiridion. Sa technique vocale est aussi solide que son français. Cette production lui donne par ailleurs l’occasion de numéros de magie aussi bien que d’une danse endiablée avec la belle Fiametta, dans lesquels il se révèle tout aussi à l’aise. Le Conrad d’Edgaras Montvidas est d’une grande puissance mais manque, sur la durée de l’opéra, de nuances et de modulations. Mieux desservi certainement par le rôle de Bénédict, le ténor Yu Shao dispose d’un timbre clair qu’il met au service de belles mélodies. Bien qu’assez anecdotique, Rosa est incarnée par Jodie Devos, sensible et touchante. Le rôle d’Hélène n’est pas très développé (le rôle muet de Fiametta occupe comparativement bien plus le plateau) mais Hélène Guilmette, familière du genre, sait à chaque apparition faire vibrer l’émotion. Sa maternité, intégrée dans la mise en scène comme un élément dramatique supplémentaire, ne semble donner à sa voix que plus de charme et de couleurs.
Christophe Grapperon a su accompagner le chœur Accentus dans toutes les exigences de la partition. S’ouvrant sur une cuite de lendemain de fête, l’opéra se clôt dignement sur le vigoureux alléluia du chœur.
Vu à l’Opéra Comique. Mise en scène Guillaume Vincent. Avec Edgaras Montvidas, Hélène Guilmette, Tassis Christoyannis, Yu Shao, Jodie Devos et Raphaëlle Delaunay. Photo Pierre Grosbois.
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