Photo ©Chris van der Burgh

Nicht Schlafen, Alain Platel / Les Ballets C de la B

Par François Maurisse & Wilson Le Personnic

Publié le 29 mai 2017

Après trois années de fermeture, la MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis rouvre ses portes avec Nicht Schlafen (pas dormir), dernière création d’Alain Platel, présentée pour la première fois en Île-de-France. Ce rendez-vous fut également l’occasion de découvrir la majestueuse réhabilitation de ce lieu déserté depuis trop longtemps et fait l’éclairage sur la première saison de sa nouvelle directrice, Hortense Archambault, qui s’annonce déjà remarquable.

Grande figure de la danse contemporaine flamande et fondateur des Ballets C de la B, le metteur en scène et chorégraphe Alain Platel signe depuis maintenant plus de 30 ans des spectacles importants et collabore avec des artistes d’horizons et de cultures différentes. Cette nouvelle création est à l’image de son parcours et de son oeuvre : oecuménique.

De Purcell (avec La tristeza complice en 1995), à Monteverdi (avec VSPRS en 2006), en passant par Verdi et Wagner (avec l’opéra C(h)œurs en 2012) ou encore Bach (Tauberbach en 2014), la musique érige depuis toujours chaque création d’Alain Platel. Depuis quelques années, l’artiste opère également un virage vers des univers plus métissés, dans lesquels il n’hésite pas à mêler les cultures occidentales et africaines avec des spectacles-concerts où les percussions congolaises rencontrent la musique baroque (Coup Fatal en 2014) ou encore avec la présence d’une fanfare (En avant Marche ! en 2015). Il récidive aujourd’hui l’opération avec Nicht Schlafen, dernier opus de l’artiste, dans lequel il fait dialoguer les symphonies du compositeur viennois Gustav Mahler avec les chants pygmées des musiciens et danseurs Boule Mpanya et Russell Tshiebua, tout deux originaires de Kinshasa.

Au centre du plateau trônent, sur une estrade de bois, des cadavres de chevaux figés dans l’agonie. Encadré par une grande toile rongée et déchirée, ressemblant à une tenture de cuir jaunie par le temps, le plateau se fait ici champ de désolation. Signée par la plasticienne belge Berlinde De Bruyckere, la scénographie emprunte au vocabulaire récurent de l’oeuvre de l’artiste : des moulages d’animaux naturalistes, saisis juste avant la putréfaction, des peaux tannées, entre la vie et la mort. C’est dans ce décor eschatologique que la dramaturgie de Nicht Schlafen prend place. Les neufs interprètes, huit hommes pour une femme, y entament un chant choral a capella avant de se lancer dans une bataille saugrenue. Les corps s’entrechoquent, s’agrippent et s’attaquent, les danseurs s’arrachent violemment les différentes couches de vêtements qu’il portent, jusqu’à se trouver presque nus, en haillons, la surface des épidermes déjà marqués par la violence des affrontements.

Pendant tout le spectacle, c’est le flux constant d’une énergie animale et libidinale qui circule entre les corps. Dans l’effort des luttes, les peaux deviennent brillantes, les luttes violentes renvoient l’image de magnifiques camaïeux de chairs. La bande son fait dialoguer des extraits de Mahler avec des chants interprétés à cappella par Boule Mpanya et Russell Tshiebua, mêlés à des enregistrements de râles de chevaux, au bruit des claques et des cris des interprètes sur le plateau (amplifiés par des micros). Les déplacements et la gestuelle de l’ensemble des danseurs ressemblent à un carrousel aussi bien martial que mystique, les interactions finissent par s’épuiser dans des corps à corps musclés. Convoquant un imaginaire équestre, ils usent de pas chassés, tendant leurs membres à l’extrême dans une étrange fantasia, comme une tribu animée par des instincts primaires..

Malgré la virtuosité incontestable des danseurs et l’énergie qui émane de ce séduisant collectif, notre attention s’épuise au fil des tableaux, qui donnent le sentiment d’une danse continue, sans véritable saillie. Si la part belle est laissée aux interprètes, les séquences d’improvisations n’aboutissent bien souvent qu’à de simples tours de force. Hésitant constamment entre un archaïsme primitif et un goût putride de fin du monde, Alain Platel signe avec Nicht Schlafen une proposition moins percutante que ses précédentes créations, desquelles nous avions pourtant à chaque fois pris l’habitude de sortir pantois.

Vu à la MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis. Mise en scène Alain Platel. Composition et direction musicale Steven Prengels. Scénographie Berlinde De Bruyckere. Lumières Carlo Bourguignon. Costumes Dorine Demuynck. Photo © Chris Van der Burght.