Par Wilson Le Personnic
Publié le 21 février 2018
Si la porosité entre danse et arts visuels n’est plus à démontrer tant les collaborations entre chorégraphes et plasticiens fleurissent, les plateaux de danse deviennent également aujourd’hui de nouveaux terrains d’expérimentations pour des artistes dont les œuvres sont habituellement présentées dans des musées et des galeries. Ainsi productrice de formes hybrides (qui restent cela dit encore exceptionnelles), une nouvelle génération d’artistes issus d’écoles d’art est en train de faire son entrée sur les scènes de danse, à l’instar du jeune Flamand Louis Vanhaverbeke, qui signe avec Multiverse un solo fortement marqué par une approche dénuée de tout ancrage disciplinaire, entre danse et arts plastiques.
« Lorsque j’étais étudiant aux Beaux-Arts, j’étais catégorisé comme le danseur du groupe, puis lorsque je suis rentré dans une école de danse, j’étais considéré comme le plasticien de service. » Ce statut ambivalent — du plasticien qui fait danser les objets au chorégraphe qui fait des installations — Louis Vanhaverbeke en joue volontiers. Lorsqu’il parle de son espace de travail, il jongle entre les termes « atelier » et « studio », brouillant d’autant plus l’ancrage disciplinaire de sa pratique. Aujourd’hui, il est d’ailleurs artiste associé au Centre d’art Campo à Gand et au Beursschouwburg à Bruxelles, deux structures encourageant les pratiques situées à la croisée des disciplines.
Avec pour seuls partenaires un bric-à-brac hétéroclite d’objets en plastique (seaux, arrosoir, parapluie, entonnoir, skate, mappemonde gonflable, équipements ménagers, guirlandes de fanions multicolores), l’artiste élabore une partition astucieuse et pittoresque. « Lorsque j’étais aux Beaux-Arts, j’étais plutôt intéressé par le fait d’être l’opérateur de mes installations, ça ne m’intéresse pas de créer une installation pour la laisser deux mois dans un musée ou une galerie. » Dans la veine des vidéos de Peter Fischli et David Weiss, il détourne ici avec humour et ingéniosité les objets qui passent entre ses mains, des objets qu’il voit d’ailleurs comme des ready-made, n’hésitant pas à convoquer la figure de Marcel Duchamp lorsqu’on lui demande comment il les sélectionne : « Comme lui, je ne cherche pas des objets, les objets me trouvent. »
Ces objets, il les collectionne, les chine dans des brocantes ou les déniche dans des magasins spécialisés : « J’ai une connexion assez intuitive avec les objets que je trouve (…) Je ne m’intéresse pas forcément à leur forme mais plutôt à l’interaction que je peux avoir avec eux, au potentiel live qu’ils peuvent déployer. » Dans Multiverse, Louis Vanhaverbeke s’éprend également d’un accessoire en particulier : le tourne-disque, qu’il affectionne « pas spécialement pour la musique, mais pour l’objet en lui-même, qui tourne inlassablement autour de lui-même ». Pas étonnant de le voir rythmer la performance avec des intermèdes musicaux, à la façon d’un DJ inexpérimenté muni d’une collection de vinyles colorés. Comme le disque sur la platine, l’artiste tourne avec frénésie, sans perdre haleine, autour de ses objets disposés en cercle. Le motif cyclique se déploie ainsi sur plusieurs niveaux, dans un mouvement revenant systématiquement à son point de départ.
Louis Vanhaverbeke manipule aussi les mots, avec la même habileté que les objets. En guise de prologue, il brosse avec flow une origine du monde syncrétique à partir de textes cosmogoniques, compilés en un medley improbable : Bible, Yi King, Coran, mythes nordiques… Il reprendra ensuite le micro, le temps d’une césure dans sa course effrénée, pour interpréter une mélancolique cover du célèbre Fallin’ d’Alicia Keys, puis lors du fiévreux épilogue, sorte de slam déployant une verve assurée, dans lequel il se livre sans pudeur sur les doutes et les âpretés qui l’habitent. « Ce qui m’intéresse dans la performance, c’est cette frontière qui disparaît entre fiction et réalité, et le spoken word est une manière pour moi de m’ouvrir au public. »
Au milieu de ce capharnaüm méticuleusement élaboré, la silhouette longiligne de Louis Vanhaverbeke détonne et prête à sourire : « L’humour permet d’équilibrer les idées très conceptuelles et à première vue hermétiques, l’humour est un moyen d’avoir de l’oxygène, de respirer… » confie-t-il. Derrière cet aspect foutraque et faussement bricolé, il élabore avec précision une succession de tableaux ingénieux et sensibles. On ne peut que saluer l’efficacité et la simplicité avec lesquelles Louis Vanhaverbeke parvient à rendre poétiques des actions et des objets, aussi vernaculaires et anodins soient-ils.
Vu au festival Parallèle à Marseille.
Photo © William van der Voort.
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