Photo Pierre Grosbois

Buffet à vif, Pierre Meunier & Raphaël Cottin

Par Guillaume Rouleau

Publié le 17 juin 2016

Buffet à vif, c’est d’abord une pièce servie en 2014 lors du festival d’Avignon pour la partie Sujets à vif, Off de choix programmé dans les jardins du lycée de la vierge. Cette histoire de buffet proposée par Pierre Meunier et Raphaël Cottin exposait la construction, la destruction et la reconstruction pour remette en cause nos rapports aux objets et aux symboles qui y sont associés. Le premier s’est fait connaître au théâtre avec sa compagnie La belle meunière, le second par la danse, auprès d’Odile Duboc et Thomas Lebrun notamment, avec sa compagnie La poétique du signe également, mais sur la scène du théâtre de la Bastille, ce sont les codes de ces deux disciplines qui seront réunis autour, contre, sur (à l’intérieur même) d’un imposant buffet transposé de la cuisine/salle à manger à la scène.

Le buffet, meuble destiné à recevoir vaisselle, linge et service de table, récemment tombé en désuétude après des siècles d’usage, fait son entrée sur scène par l’arrière de la salle, empaqueté dans du film à bulles. Marguerite Bordat, à la dramaturgie, a conçu suite à Avignon un préambule sur la précaution. Raphaël Cottin commence en effet par monter le buffet, d’environ deux mètres de haut pour autant de large, sur un diable et l’achemine, oscillant, le long de la travée, ensuite aidé par Pierre Meunier, jusqu’à la vaste scène au sol blanc et murs noirs. Il y a déjà, dans ce transport, quelque chose d’amusant à regarder : l’effort déployé pour le hisser, pour éviter qu’il ne bascule dans l’une ou l’autre des rangées et surtout, dans l’attente de ce qu’il en sera fait. Les deux hommes vont disposer par terre des plaques de protections sombres, les jetant avec agilité, les ajustant avec délicatesse. Le buffet, ou ce qu’on devine sous l’emballage, sera disposé dessus, au centre, face au public. On soupçonne à travers le titre, un buffet qui ne restera pas intact, qui sera plumé, dépecé couche après couche, et ces précautions employées pour le protéger seront autant dans l’opposition que l’autorisation d’une découpe violente, à l’image de bouchers qui nettoieraient leur plan de travail, laveraient leurs instruments et disposeraient la viande juste avant de la hacher.

On observe ces deux hommes, aux corpulences différentes, l’un fin, brun, élancé ; l’autre avec de l’embonpoint, grisonnant, un peu engourdi déballer ce buffet sur fond de Radio Nostalgie. Le poste est à gauche de la scène. C’est une radio comme celle que l’on trouverait sur l’étagère d’un bistro. Sans prétention, fiable. Barry White et Claude François en fond tandis que le buffet est dévoilé, dépoussiéré, examiné par le duo burlesque, burlesque en ce qu’il a d’antagoniste et de divertissant. Ils feignent la découverte de ce buffet sans passé, sans propriétaire, détourné de sa fonction. Buffet qui est vide, ou presque. Buffet qui sera évidé de ses entrailles. Les deux hommes le scrutent sous tous les reliefs avant de distribuer des masques au public, des masques transparents contre les projections. Moment de crainte pour le premier rang. Un sac, dont sont sorties deux haches, est amené par Pierre Meunier, qui en donne une à son acolyte sans manquer d’exagérer chaque mouvement, de les marquer avec la pose d’un comédien, l’habilité d’un danseur. Le passage à table sera une destruction chorégraphiée, progressive. Mais quels sens à détruire ce buffet, à le mettre à vif ?

L’une des particularités de la pièce repose sur sa sonorité. Le bruit des coups de poings, des coups de pieds, des coups de hache, des coups de boulet, du buffet qui se renverse, qui est redressé, tous ces bruits font craquer le bois. Bois qui craque au rythme des coups, qui alerte sur une cassure, sur une rupture entre des éléments, sur une déformation. Il y a une musicalité de la destruction qui indique d’autres sens, d’autres possibles à ce meuble que la conservation, que l’entretien. Cela amène à une autre particularité de la pièce, celle de montrer la destruction. Non pas par la parole – les deux interprètes ne font que formuler des bruits – mais par le geste. Prendre un objet et le réduire en miettes, attirer l’attention sur la dégradation. Il ne s’agit pas de montrer la fabrication mais la déconstruction, le désassemblage pour interroger sur comment le tout tenait. Enfin, montrer cette destruction passe par une construction narrative efficace. Trois parties, construction, destruction, reconstruction à vif, sur le vif et dans le vif, qui s’articulent par la partie centrale. La construction rend possible la destruction. La destruction rend possible la reconstruction et Pierre Meunier et Raphaël Cottin insistent dessus par une gestuelle qui alterne entre la délicatesse et la brutalité, le comique de la précaution, du sérieux de la destruction, et le tragique de la perte. L’un des nombreux attraits de Buffet à vif est qu’il ne réside pas dans cette seule destruction, mais dans la volonté de faire autrement avec le tout. Bref, le buffet est mort ! Vive le buffet !

Vu au Théâtre de la Bastille. De Pierre Meunier et Raphaël Cottin. Collaboration artistique Marguerite Bordat. Photo Pierre Grosbois.