Photo © Richard Louvet

Duo breton annamite, Emmanuelle Huynh & Erwan Keravec

Par Guillaume Rouleau

Publié le 5 juillet 2016

Pour la 5e édition du festival Extension Sauvage était programmé Duo breton annamite d’Emmanuelle Huynh et Erwan Keravec ; l’Annam étant le nom donné à une région de l’actuel Viêt Nam par le colonisateur chinois (618 – 907) et repris par l’Occident, notamment la France durant la période indochinoise (1883 – 1945). Un titre qui fait référence à deux régions du monde mais aussi à deux disciplines, la danse et la musique, dont la réunion a ici confirmé l’excellence d’Extension Sauvage hors des sentiers battus. Le duo était interprété deux fois, dans deux lieux différents : L’aire du Linon de Combourg et le bois de boulots du château de la Ballue dans la commune bretonne de Bazouges-La-Pérouse. Deux interprétations durant un même festival qui révèlent les nouveautés générées par la répétition d’une même pièce, les transformations selon les configurations des lieux.

Ce Duo breton annamite est à la fois une reprise et une adaptation. Reprise car la première collaboration date de 2014 et adaptation car la pièce a été au départ conçue pour être jouée en intérieur. Le duo a ainsi dû arranger, entre autres, des passages durant lesquels Emmanuelle Huynh disparaissait dans l’obscurité. Obscurité absente de Combourg et des jardins du château de la Ballue où les représentations se tenaient par des après-midi ensoleillés dans une architecture végétale. Chaque terrain a ses spécificités qui sortent de la standardisation des black boxes. À Combourg, le public est assis dans un parc, sur une grande pelouse d’herbes hautes à l’exception d’un large rectangle tondu qui délimite l’espace scénique, un grand chêne derrière lui. Au bois de boulots des jardins du château de la Ballue, le public est assis sur des bancs de bois au ras du sol. Il n’y a plus ce rectangle vert mais des troncs d’arbres entourés par des bosquets de buis et des massifs de fleurs multicolores. Le printemps vient de s’achever et l’environnement sonore est luxuriant : bruissements des végétaux, piaillements des oiseaux, conversations des spectateurs.

Emmanuelle Huynh s’avance doucement à chaque fois, mesurant ses pas, le moindre de ses déplacements. Déplacements qui se figent, deviennent des poses lentes, des poses d’équilibriste qui par leurs tremblements racontent le déséquilibre, la chute possible, la confiance aussi de pouvoir se maintenir malgré la difficulté de l’effort. Elle se retire et c’est alors Erwan Kerawec (qui a déjà collaboré avec les chorégraphes Boris Charmatz, Mickaël Phelippeau ou Daniel Linehan) qui s’engage, une cornemuse à la main. Les bruits sont faibles au début. Des bruits de clapotis. Bruits de la poche d’où l’air est expulsé. Erwan Kerawec, qui pratique l’instrument aussi bien en couple traditionnel qu’en improvisation libre, produits des sons inusités avec les différents tuyaux, bourdons, coulisse d’accord et l’indispensable poche d’air. C’est alors plus un trio qu’un duo auquel on assiste : Emmanuelle Huynh, Erwan Keravec et cette cornemuse – comme une extension musicale (les propriétés de l’instrument et son utilisation le rendant presque humain).

Après le silence de la danse d’Emmanuelle Huynh qui retenait le regard, les sons de la cornemuse d’Erwan Keravec vont saturer l’audition. Les notes de l’instrument couvrent tous les autres sons. Le musicien, après avoir fait entendre la poche qui se vide, la rempli d’air et souffle une mélodie sur un mode mineur, qu’il accorde et désaccorde en réponse à l’équilibre et au déséquilibre d’Emmanuelle Huynh. À Combourg, l’accordage était presque douloureux tandis que dans les jardins du château de la Ballue, la disharmonie était plus lointaine, plus brève. Après s’être présentés séparément, Huynh et Keravec vont danser ensemble, pour une durée totale de près d’une heure. Une danse qui obéit à une structure unique pour le festival. Mais au sein de cette structure les mouvements changent, les interactions aussi, s’improvisent d’un jour à l’autre. Le duo a ainsi décliné remarquablement un passage durant lequel ventres contre terre, à cheval l’un sur l’autre ils restent figés, la cornemuse sur le dos.

Duo breton annamite à Combourg et duo breton annamite dans les jardins du château de la Ballue. Une double expérience qui était portée par la faculté des interprètes à rythmer leur pièce, à emmener chaque public vers des sons, des gestes inhabituels, faits d’emprunts à la nature environnante. Un duo insolite, union de l’Annam et de la Bretagne, pour un festival insolite. Un festival qui démontre que la danse et la musique prennent une autre tonalité en extérieur. À l’extérieur de la capitale, à l’extérieur des scènes fermées, à l’extérieur des conventions propres à chaque discipline, un festival indiscipliné pour le meilleur et dont l’insolite se confirma avec Étale, dernière création de la chorégraphe Myriam Gourfink.

Vu dans le cadre du festival Extension Sauvage. Conception et réalisation Emmanuelle Huynh et Erwan Keravec. Photo © Richard Louvet.