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Festival DO DISTURB 2017 au Palais de Tokyo #2

Par François Maurisse

Publié le 25 avril 2017

La 3ème édition du festival Do Disturb s’est tenue du 21 au 23 Avril dernier au Palais de Tokyo. Pendant ces trois jours se sont succédées une quarantaine de formes performatives, mettant l’accent, au sein d’un musée, sur la perméabilité entre les disciplines. Dans ce haut lieu de l’art contemporain à Paris généralement réservé aux arts visuels, on assiste en effet, à l’occasion de ce week-end, à de multiples croisements entre les arts visuels, la danse et la performance. Tout le Palais est envahi par les artistes et les spectateurs, invités à découvrir les propositions dans les lieux habituels des expositions et dans des espaces rarement ouverts au public. Parmi toutes les propositions du festival, quatre en particulier on cette fois retenu notre attention.

Avec Haltérophile (2016), Lorenzo de Angelis signe sa première création. Déjà remarqué dans Libido Sciendi (2008) de Pascal Rambert ou dans I like him and he likes me (2008) d’Elie Hay, l’interprète développe cette fois un travail contraignant, s’impose un cahier des charges strict pour offrir l’expérience particulière d’un solo pour un spectateur. C’est la version longue qu’il nous propose cette fois. Pendant pas moins de trois heures, les spectateurs se succèdent sur la ronde des chaises qui compose l’espace de la performance. Au centre, Lorenzo s’échine à traiter chacun d’eux de façon particulière, tentant, dans le brouhaha de la Grande Rotonde d’établir un contact unique. La matière chorégraphique se déploie à la façon d’un tâtonnement, en fonction de ce qu’il semble percevoir chez le spectateur/partenaire. Sur fond de musique pop (nous pouvons reconnaître une chanson d’un dessin animé Disney, Alicia Keys, ou encore le tube 90’s des Poetic Lovers, Darling faisons l’amour ce soir) c’est une danse abstraite, souvent drôle, parfois répétitive mais toujours généreuse que propose Lorenzo, rejoint de temps à autre par ses partenaires Olivier Normand et Nina Santes. Tous les trois semblent, comme des paons faisant la roue, osciller entre la séduction et la tension, luttant de façon constante pour ne pas perdre l’attention de leur proie, au cœur d’un environnement parasité et bouillonnant.

Alexander Vantournhout, performeur flamand passé par P.A.R.T.S. et par l’Ecole Supérieure des Arts du Cirque de Bruxelles, présente son solo ANECKXANDER(2015) dans le Point Perché. Devant une foule serrée autour de lui en demi-cercle, Alexander branche un synthétiseur et retire soudain ses vêtements en un instant. Sur des extraits d’Arvo Pärt joués en boucle, il produit une sorte de danse organique, procédant à la monstration de son corps nu, étire sa nuque et arrondit sa colonne vertébrale. Figure mi-homme mi-animal il réalise une série d’acrobaties violentes, sautant en arrière, atterrissant sur les cuisses, s’étalant sur le sol. Après qu’il a revêtus ses accessoires (des gants de boxe noirs, les chaussures aux semelles impressionnantes d’épaisseur et une délicate collerette blanche) comme pour souligner la singularité de son corps dévoilé, il épuise ses mêmes mouvements, rougissant sa peau et faisant claquer ses membres sur le tapis. Bien qu’on sente chez lui l’héritage de la pratique circassienne, c’est une performance dépouillée et focalisée sur l’exploration du corps et de ses limites qu’il nous offre. 

Musicien, vidéaste, metteur en scène, plasticien, Jonathan Uliel Saldanha présente son installation Oxidation Machine dans les sous-sols labyrinthiques du Palais de Tokyo. Pièce environnementale, Oxidation Machine envahit l’espace de vapeur d’eau. Conçue comme une capsule immersive, des jeux sonores et lumineux sont mis en marche, en fonction de l’activité des visiteurs. Promenade contemplative dans des espaces continuellement réinventés, tour à tour ruine ou planète lointaine, cette œuvre invite à la balade et inscrit le lieu dans une temporalité élastique, offrant une parenthèse sereine au milieu de l’agitation du festival.

Parmi les « projets permanents » du festival, nous retrouvons également la performance Slow de Célia Gondol. Cette dernière, disposant de la double casquette de plasticienne (elle sort diplômée des Beaux-Arts de Paris en 2014) et de danseuse (elle collabore, depuis une dizaine d’années avec Pauline Simon, Nina Santes, ou encore Mylène Benoît) a conçu en 2014 une performance pour laquelle deux personnes dansent un slow apaisé, portant entre eux une grande feuille de bananier. Déclinée ici dans une version de groupe, elle rassemble une petite dizaine de performeurs devant les colossaux coussins gonflables argentés de Séverin Guelpa (The Big Breath, 2013). Lentement, ils se déplacent, portant devant eux les grandes feuilles de bananier en direction des visiteurs. Pendant quelques minutes, ils échangent une danse avec ces derniers, susurrant à leurs oreilles les paroles d’une chanson dans une langue inconnue, avant de s’en séparer. Les performeurs peu à peu se rapprochent, pour entonner en chœur le même chant, partageant regards tendres et étreintes rassurantes, avant de se taire, sourires aux lèvres.

Hétéroclite, le programme de cette édition de Do Disturb ! met aussi bien l’accent sur des performances flamboyantes (Fireball Lily de Dorothée Munyaneza et Holland Andrews ou Zoufri de Rochdi Belgasmi) que des œuvres plus ténues. Ce qu’il est sûr, c’est qu’en exposant dans un musée des pièces vivantes, c’est notre habitude de visiteur qui est mise en branle, tant ces propositions envisagent ce dernier comme partie prenante de leur régime performatif.

Photo Slow de Célia Gondol © Célia Gondol