Photo 1 Contes de la lune vague DR Vincent Pontet

Contes de la lune vague après la pluie, Xavier Dayer & Vincent Huguet

Par Yannick Bezin

Publié le 18 mai 2015

Avec cette création, l’Opéra Comique poursuit son exploration des liens qu’entretiennent l’opéra et le cinéma, « ces deux arts de la représentation en musique » (Notes du programme). Il est vrai que le film Les contes de la lune vague après la pluie de Mizoguchi semblait pouvoir se prêter assez naturellement à une adaptation au genre de l’opéra : rôle essentiel de la musique, efficacité dans le déroulement du drame, action centrée sur deux couples aux prises non seulement avec la violence du monde réel (la guerre, l’argent et la renommée, autrement dit le pouvoir) mais aussi avec les séductions du monde spirituel (celui des esprits tout autant que celui de la beauté).

Le livret d’Alain Perroux reste dans l’ensemble très fidèle au scénario du film de Mizoguchi. Les modifications ne sont que marginales (l’homme sur le bateau ne meurt pas, la supercherie de Tobe n’est reculée) et visent à centrer plus encore le drame autour des quatre protagonistes.

La mise en scène de Vincent Huguet s’éloigne naturellement beaucoup plus du réalisme historiquement informé du film original, tout en conservant sa dimension onirique, tirant ainsi clairement et judicieusement le propos vers la dimension du conte. Le metteur en scène propose plutôt une épure visuelle. Les différents lieux de l’action sont rapidement évoqués et mobilisés par des décors dont la pure géométrie est soulignée par des éclairages crus. La vente des céramiques sur le marché est la première rencontre de Genjuro et de la Princesse Wakasa est l’occasion d’une belle scène où les échoppes flottent dans les airs. Toutes les scènes s’enchaînent avec une fluidité très agréable.

Vincent Huguet s’éloigne cependant nettement du film original en deux points essentiels, tous deux liés aux fantômes. Alors que dans le film de Mizoguchi, le doute plane longtemps sur la vraie nature de la Princesse, le choix de la couleur rouge sur scène identifie immédiatement la Princesse non seulement à un esprit mais à un démon, au pouvoir aussi séducteur que maléfique. La toute fin de l’opéra est aussi l’occasion d’une rencontre, poétique, symbolique et psychologique entre la Princesse et sa victime indirecte, Miyagi. La Princesse semble ainsi trouver une forme de rédemption dans son rôle de Virgile auprès de l’épouse abandonnée et assassinée qu’elle guide dans le monde des esprits.

Seuls les spécialiste de la musique japonaise classique seront en mesure de déterminer ce que doit exactement Xavier Dayer à la musique originale du film créée par Tamekichi, mais il va sans dire que le compositeur ne donne nullement dans le japonisme musical. L’orchestration s’en éloigne très nettement en ne mobilisant aucun des instruments traditionnels japonais de la bande originale (le biwa tout particulièrement).

La musique se développe dans le dialogue entre les percussions et les autres voix de l’orchestre (cordes et vents). Elle use de glissando, de chromatismes et de dissonances pour suivre l’action, en marquer les étapes ou bien parfois pour l’anticiper en lui créant un cadre sonore (1e partie, scène 3). Il faut souligner la belle performance de László Hudacsek aux percussions. Ces sons, à la palette infinie, parcourant le spectre allant de la violence des armes à la clarté du cristal, résonnent rarement avec autant de présence et de sens dans une salle d’opéra.

Si la musique est plutôt une réussite, le chant l’est beaucoup moins. Les intentions du compositeurs dans son usage des styles de déclamation (le parlé, le chanté syllabique et le chanté mélismatique) ne sont pas lisibles sur scène et la compréhension du sens n’est pas toujours aisée. Les passages mélismatiques où la phrase se clôt par une montée dans l’aiguë deviennent une sorte de mécanique, attendue par l’auditeur, créant une uniformité et suscitant une certaine monotonie.

Le compositeur fait le choix judicieux d’une seule tessiture de voix (un ténor) pour incarner la multitudes de personnages secondaires mais relançant constamment l’action. La voix de David Tricou est mise à rude épreuve pour rendre de façon distincte ces personnages aux genres et aux fonctions radicalement différents. Certains passages en force en souffrent.

Si la distribution vocale reste assez fidèle à la tradition la plus ancienne de l’opéra, la création de Xavier Dayer n’est pas sans évoquer le Curlew River de Britten, à plus d’un titre : la forme d’un opéra de chambre (même si Britten nomme son œuvre « parabole pour être jouée dans une église »), un conte dramatique inspiré d’une légende japonaise et une place centrale accordée aux percussions. L’œuvre de Xavier Dayer offre l’occasion d’une belle méditation musicale, scénique et poétique sur le désir, ses illusions et ses dangers.

Vu à l’Opéra Comique. Direction musicale Jean-Philippe Wurtz. Mise en scène Vincent Huguet. Scénographie Richard Peduzzi. Costumes Caroline de Vivaise. Lumières Bertrand Couderc. Avec Taeill Kim, Majdouline Zerari, Carlos Natale, Judith Fa, Luanda Siqueira, David Tricou, Louis et Lucas Bischoff (en alternance). Orchestre : Ensemble Linea. Photo de Vincent Pontet.