Photo VIS MOTRIX hiRes 2144

Rafaële Giovanola & CocoonDance, Vis Motrix

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 10 mai 2023

Inspirée des pratiques de danse urbaines, notamment par les techniques du break et du krumping, la chorégraphe Rafaële Giovanola imagine avec Vis Motrix une expérience visuelle et hypnotique avec quatre danseuses virtuoses. Pieds et mains rivés au sol, les corps y explorent de nouvelles configurations physiques, à mi-chemin entre l’homme, l’insecte et la machine. Véritable matière picturale, cette écriture graphique vient susciter des images de corps hybrides et futuristes. Dans cet entretien, Rafaële Giovanola partage les rouages de sa recherche et revient sur le processus de création de is Motrix.

Rafaële, vous avez co-fondée votre compagnie ​CocoonDance il y a plus de vingt ans. Comment décririez-vous votre recherche chorégraphique ?

Nous avons développé depuis plusieurs années une méthode de travail que nous appelons Creating in Ex-Change qui consiste à échanger avec des professionnels de différentes disciplines avant et pendant un processus de création. Suite à ces rencontres, durant des phases de recherches intenses, nous décomposons les mouvements, les mécaniques, les concepts corporels et cherchons à créer un corps nouveau. Nous appelons ce processus la recherche du Corps impensé (en référence à Laurence Louppe). Nous sommes toujours à la recherche du corps impensé, d’un corps qui n’existe pas encore, qui va prendre forme lors des répétitions dans le studio. Depuis Momentum en 2016 (un projet pour lequel la chorégraphe a rencontré des adeptes du parkour, discipline sportive acrobatique qui consiste à franchir des obstacles urbains ou naturels, ndlr.), les pièces que j’ai créées sont entièrement improvisées avec des structures et des règles extrêmement précises, des tâches qui sont travaillées et exercées à l’extrême lors des périodes de création, pour pouvoir laisser une place à l’aléatoire et l’inattendu. Nous travaillons sur ces tâches et systèmes afin de mettre en condition les interprètes pour qu’ils·elles puissent réagir de manière instinctive lors des représentations, sans penser. Ces tâches, représentent pour nous la base des chorégraphies, le vocabulaire qui va guider les interprètes durant la création et plus tard lors des représentations.

Vis Motrix résulte d’un premier laboratoire de recherche avec des breakdancers. Comment cette rencontre a-t-elle été déterminante pour la suite de ce projet ?

Après plusieurs jours de laboratoire avec les breakdancers, j’ai focalisé mon attention sur leurs bustes, qui étaient extrêmement compacts, alors que leurs jambes étaient plutôt mobiles, flexibles, agiles et rapides. Je me suis également intéressée aux powermoves, notamment ce mouvement de rotation, souvent dirigées vers l’arrière. Cette particularité du breaker m’a étonnamment fait songer à la valse, à la posture du tronc des danseurs de valse extrêmement compact, toujours en rotation vers l’arrière. J’ai donc dirigé le début des répétitions vers une recherche sur la valse, sur les rotations, sur les tornades, toujours dirigés vers l’arrière et finalement nous nous sommes retrouvées par terre, sur le dos. Nous avons décidé d’y rester et d’explorer toutes les possibilités de cette position anti-organique et non humaine. Et c’est là que tout a commencé !

Pourriez-vous partager le processus de création de Vis Motrix ?

Je souhaitais au départ me concentrer sur les spécificités du breakdance : l’utilisation de chaque membre du corps comme appui, sur la manière de se défier des lois de la pesanteur, etc. Je souhaitais aussi créer une pièce féminine et je trouvais stimulant de s’atteler à des techniques qui sont pratiquées surtout par des hommes. Nous avons commencé par expérimenter au studio, sans idée préconçue, sans aucune attente précise, les possibilités que cette figure propose. Ce fut beaucoup de travail intense, sans savoir si c’était vraiment possible de tenir si longtemps dans cette position. Leur technicité et ténacité ont permis de développer toute une dramaturgie autour de cette figure qui appelle énormément d’imaginaires : les danseuses sont mi-machine, mi-alien, mi-femme, mi-liane, mi-reptile, mi-insecte… La rencontre avec une danseuse Krump durant le processus a également nourri la recherche chorégraphique. Je trouvais fascinant cette manière d’utiliser le torse, de dilater la cage thoracique à l’extrême afin de communiquer, de provoquer. Puis au fur et à mesure des expérimentations avec les danseuses et des choix des costumes, du son et des lumières, la pièce a pris une esthétique extrêmement graphique, calligraphique. Avec le recul, Vis Motrix représente pour moi une sorte de ballet futuriste. La rigueur et la précision des mouvements, des tracés dans l’espace, des rencontres des moments à l’unisson, etc., me ramènent à mes origines de danseuse classique.

La lumière et l’environnement sonore occupent une place essentielle de la dramaturgie de Vis Motrix. Vous avez collaboré avec Franco Mento (créateur sonore) et Gregor Glogowski (créateur lumières). Comment avez-vous imaginé l’univers de Vis Motrix ?

Franco Mento est venu s’imprégner du travail avec les danseuses en studio pour commencer à imaginer la musique. L’atmosphère d’un lieu de résidence dans une usine désaffectée a également influencé l’univers sonore de la pièce : Franco s’est inspiré de la qualité de cet environnement un peu brut et des sons industriels que l’on entendait étouffés depuis l’extérieur. Et bien sûr, la source des mouvements, le break et le krump, a pas mal influencé l’esthétique même si la musique a trouvé ensuite son propre univers. Le travail de la lumière a également évolué au fur et à mesure du processus et est devenu essentiel dans la création des figures. Nous sommes passé d’un sol noir à un sol blanc pour travailler et jouer avec les ombres. La lumière permet de créer de nouvelles images et de venir susciter d’autres figures… Je pense qu’il est difficile de cerner exactement dans quelles mesures les différents médiums et univers se sont influencés les uns les autres durant le processus. La lumière et le son forment l’écrin pour la chorégraphie, ces trois médiums ensembles forment un tout indissociable. 

Chorégraphie et direction Rafaële Giovanola, par et avec Fa-Hsuan Chen, Martina De Dominicis, Tanja Marin Friðjónsdóttir, Susanne Schneider. Musique Franco Mento. Création lumière et scénographie Gregor Glogowski. Costumes CocoonDance. Chorégraphe assistant Leonardo Rodrigues. Vidéo Michael Maurissens. Dramaturgie Rainald Endraß. Photo © Klaus Fröhlich.

Vis Motrix est présenté les 12 et 13 mai au Théâtre Public de Montreuil dans le cadre des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis