Par Ludivine Ledoux
Publié le 15 octobre 2018
Au grand théâtre de la ville du Luxembourg, le public acclame La Traviata, emblématique opéra de Giuseppe Verdi. Le drame romantique se heurte au regard tranchant de Robert Wilson, artiste et metteur en scène américain qui se distingue par la polyvalence de son processus créatif.
La Traviata est une œuvre classique dont on pourrait penser qu’elle s’essouffle tant elle a été soumise à des interprétations. Sous l’œil de Robert Wilson, La Traviata est une entité complexe qui se déploie dans une multiplicité de medium, non sans évoquer le concept d’œuvre totale de la période romantique. L’artiste s’émancipe de la classification traditionnelle des arts dans une mise en scène hétéroclite où se côtoient design, danse, et œuvres plastiques. Son travail prend corps dans un ensemble qui synthétise différents moyens d’expression, comme autant de facultés qui décuplent les manières de percevoir.
La mise en scène est un équilibre habile où le décors est un moyen tangible de cerner les profondeurs de l’âme. La pièce s’ouvre sur une sculpture massive d’une stabilité étonnante, en appui sur un angle, et s’élève avec légèreté jusqu’à disparaitre dans les hauteurs de la scène. Cette ascension de la matière vers le ciel, du charnel vers l’immatériel dessine une dimension spirituelle que Robert Wilson abordera tout au long de sa mise en scène par le travail de la lumière.
Dès le premier acte, une dualité visuelle se met en place : l’univers minimaliste et abstrait du metteur en scène contraste avec les personnages grimés aux fastes parures, s’abandonnant dans une atmosphère fantasque. Nous sommes chez une courtisane de la haute-société, Violetta, dont la réception donnée en l’honneur de sa convalescence est une antre des passions humaines. Tandis qu’ils célèbrent le plaisir sans mesure, des formes aiguisées et longilignes apparaissent lentement et se détachent avec force sur un ciel gris et lumineux. Suspendues dans l’espace, leurs postures menaçantes ne semblent pas compromettre l’engouement des invités pris dans leurs préoccupations triviales. Mettre en lumière les doubles représentations, révéler les perversions de l’âme humaine ne sont-ils pas annonciateurs d’un dénouement tragique ?
Violetta est une femme pour qui l’amour est une perspective irréaliste. Atteinte d’une maladie qui la fragilise peu à peu, elle se livre au divertissement consciente de la fugacité de la vie. Elle s’éprend d’Alfredo qui lui voue un amour profond, mis en péril par un père qui ne tolère pas que l’image de sa famille soit entravée par l’amour de son fils pour une concubine. L’orchestre de l’opéra de Perm, dirigé par Teodor Currentzis transfigure le personnage de Violetta, qui se résout sous la contrainte à fuir Alfredo pour lui épargner les jugements d’une société hypocrite.
La lumière ne va pas sans ombre. Ce principe structure l’œuvre de Robert Wilson qui utilise ce matériau pour créer des découpages visuels et rendre visible les dualités de l’esprit humain. La lumière cerne le drame en saisissant un geste, une action, condamne un visage coupable. Dans un décors dénudé, une lueur bleue perce la noirceur de l’espace et tombe sur la main de Violetta rédigeant sa lettre de rupture, avec une gestuelle dont la grâce rendrait le drame presque sublime.
L’artiste joue des contradictions formelles qui situent le spectateur dans une interstice, entre académisme Verdien et esthétique contemporaine. Robert Wilson est un glaneur d’objets. Il créé des assemblages hétéroclites dans lesquels il cherche l’équilibre entre un élément et son contraire. Procéder par contrepoint permet ici de révéler certains détails avec justesse, notamment pour ses compostions scéniques au caractère contradictoire : ses personnages sont des pantomimes comiques tandis que le décors est sobre et graphique. Lorsqu’ils deviennent des ombres menaçantes, ils se détachent sur un faisceaux lumineux qui emplit la scène.
Le personnage de Violetta est inspiré d’une concubine ayant vécu au 19ème siècle. Elle fut la maîtresse d’Alexandre Dumas qui en fit l’héroïne de son roman dont provient la Traviata. A l’époque, la liberté et l’indépendance de cette femme avaient fait obstacle à l’œuvre. Tout au long de la représentation, Violetta nous emmène dans son voyage psychique, à la tragique destinée. Nous découvrons une femme qui n’a pas peur de s’aventurer seule, au rythme de ses pas effrayés ou déterminés. « Les roses de mon visage sont déjà fanées… ». On l’a malmenée, négligée, on lui découvre un soi profond, une nature plus sage dévoilée dans sa vitalité faiblissante. La Traviata cerne les traits de l’âme féminine : une aptitude extrême au dévouement, manifesté par la force et l’endurance.
Vu au Grand Théâtre de la Ville de Luxembourg. Mise en scène, scénographie et lumière Robert Wilson. Costumes Yashi. Dramaturge Konrad Kuhn. Chœur et orchestre MusicAeterna. Direction du chœur Vitaly Polonsky. Direction musicale Teodor Currentzis. Photo © Lucie Jansch.
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