Photo © Agathe Poupeney

Portraits d’été : Alban Richard

Publié le 11 août 2017

Pour certains, l’été rime avec pause bien méritée ; pour d’autres, il se poursuit au rythme des festivals. Quoi qu’il en soit, cette période constitue souvent un moment privilégié pour prendre du recul, faire le point sur la saison écoulée et préparer celle qui s’annonce. Nous avons choisi d’accompagner ce temps suspendu en proposant, tout au long de l’été, une série de portraits d’artistes. Qu’ils soient figures confirmées ou talents émergents du spectacle vivant, toutes et tous ont accepté de partager un moment d’échange à travers une série de questions-réponses. Cette semaine, rencontre avec Alban Richard.

Quel est ton premier souvenir de danse ?

Je dansais en cachette dans ma chambre. Le début des années 80, c’était complètement fou : Yazoo, Michael Jackson, Irene Cara, Téléphone, Kim Wilde… et j’en passe. Et puis, il y avait les kermesses des écoles de Quéliverzan : une danse russe sur Pétrouchka, T’en va pas… Et celles du Relecq-Kerhuon : un souvenir impérissable d’une chorégraphie de 50 élèves sur Oxygène de Jean-Michel Jarre. Les kermesses en Bretagne, ça peut vraiment créer des carrières !

Quels spectacles t’ont le plus marqué en tant que spectateur ?

Eidos : Telos (1995) et Endless House (1999) de William Forsythe. Quartett (1999) d’Heiner Müller, cette collaboration magnifique entre la compagnie Rosas et le TG Stan, avec Jolente De Keersmaeker, Frank Vercruyssen, Anne Teresa De Keersmaeker, Cynthia Loemij. Les épisodes de la Tragedia Endogonidia (2002–2004) de Romeo Castellucci. La barque le soir (2012) mis en scène par Claude Régy. Et Yellow Towel (2013) de Dana Michel.

Quels sont tes souvenirs les plus intenses en tant qu’interprète ?

Les premières, toujours. Faire apparaître une forme pour la première fois, c’est un moment fort. Quand le regard des spectateurs se pose pour la toute première fois sur le travail de création, il y a quelque chose de l’ordre du dévoilement. Et ce plaisir-là, c’est à la fois corporel et intellectuel. Deux souvenirs très marquants : Ma première fois au Théâtre de la Ville. J’avais 23 ans, je dansais dans une pièce de Karine Saporta. Le public huait, hurlait, partait en claquant les sièges. Et à la fin, j’avais un solo, un genre d’hommage à Pavlova et aux grandes ballerines. Le public s’est complètement déchaîné. Danser pendant quatre minutes sous les huées, c’est une expérience à part. Et puis, la dernière représentation des 3 Boléros (1996), juste après le départ d’Odile Duboc… Un double deuil.

Quelles rencontres artistiques ont été les plus importantes dans ton parcours ?

Chaque rencontre transforme. Certaines collaborations sont longues et nourrissantes, d’autres brèves mais décisives. Il y a les affinités esthétiques, les découvertes inattendues, les amitiés, les amours… et puis la vie quotidienne, avec ses lectures, ses écoutes. Je ne crois pas en « l’événement artistique » fondateur, mais plutôt en une accumulation de savoirs, en une multitude de transformations silencieuses. C’est comme ça que ça s’est construit pour moi. Mais si je dois nommer, alors je nomme : Nathalie Schulmann, spécialiste en analyse fonctionnelle du mouvement dansé. Valérie Sigward, créatrice lumière. Corine Petitpierre, plasticienne et costumière. Les chorégraphes Odile Duboc, Rosalind Crisp et Christine Gaigg. Les danseurs avec qui je travaille depuis longtemps : Laurie Giordano, Mélanie Cholet, Max Fossati. Le monde de la musique : Laurent Perrier, Christophe Rousset (Les Talens Lyriques), Brigitte Lesne (Ensemble Alla francesca), Les Percussions de Strasbourg, Raphaël Cendo, Jérôme Combier, Robin Leduc… Quant aux rencontres artistiques plus intimes, liées aux amours ou aux amitiés… celles-là resteront secrètes. Il paraît qu’il faut garder un peu de mystère.

Quelles œuvres chorégraphiques composent ton panthéon personnel ?

Dance (1979) de Lucinda Childs : un chef-d’œuvre absolu du minimalisme américain. Drumming (1998) d’Anne Teresa de Keersmaeker : le choc d’une compagnie totalement livrée à la partition de Steve Reich. Of Any If And (1995) de William Forsythe : une pièce virtuose, inventive, élégante, portée par Dana Caspersen et Thomas McManus. Ram Dam (1995) de Maguy Marin, pour sa partition chorégraphique et musicale inouïe. Maybe Forever (2007) de Meg Stuart et Philipp Gehmacher, avec Meg Stuart dans une présence magistrale. So Schnell (1990) de Dominique Bagouet : pour l’architecture de la pièce, et la force d’une génération de danseurs sublimes.

Quels sont, selon toi, les enjeux de la danse aujourd’hui ?

Accueillir toutes les danses. Libérer l’imaginaire. Militer pour l’émancipation et la visibilité de tous les corps. Mobiliser le grand public. Créer du poétique. Inventer des communautés provisoires de destins. L’architecte Jean Nouvel a écrit : « Être point de vue et point de mire. » Je crois que la danse peut être les deux à la fois.

Quel rôle un artiste doit-il avoir dans la société aujourd’hui ?

Je vais répondre avec des extraits du Manifeste que j’ai écrit pour le Centre Chorégraphique National de Caen en Normandie : « Ouvrir la capacité à l’émerveillement, au sensible, à l’émotion. Éveiller la curiosité. Stimuler les désirs de connaissance. Développer l’émancipation des pensées. Raviver notre capacité à vivre en êtres sensibles. Élargir l’espace de la solidarité. Inventer librement avec persévérance, respect et enthousiasme. Se permettre d’oser. »

Photo Agathe Poupeney