Photo Photo © César Vayssié

Portraits d’été : Philippe Quesne

Propos recueillis par François Maurisse

Publié le 14 août 2017

Pour certains, l’été est synonyme de repos, pour d’autres, il bat au rythme des festivals. Quoi qu’il en soit, cette période constitue souvent un moment privilégié pour prendre du recul, faire le point sur la saison écoulée et préparer celle qui s’annonce. Nous avons choisi de mettre à profit cette respiration estivale pour aller à la rencontre des artistes qui font vibrer le spectacle vivant. Artistes confirmés ou talents émergents, ils et elles ont accepté de se raconter à travers une série de portraits en questions-réponses. Cette semaine, rencontre avec Philippe Quesne.

Quel est ton premier souvenir de théâtre ?

Je crois que mon tout premier souvenir de représentation, c’est un spectacle de marionnettes au Parc Montsouris, un classique de Guignol. Et puis il y a eu la tournée d’adieu des Frères Jacques au Théâtre des Champs-Elysées, j’y suis allé avec mes grands-parents. Mais le souvenir le plus marquant, c’est Le Bal, en 1981, une création collective du Théâtre du Campagnol, une sorte de fresque muette et dansée à travers le temps.

Quels spectacles t’ont le plus marqué en tant que spectateur ?

Quand j’étais enfant, j’ai été très impressionné par un groupe néerlandais, Hauser Orkater, avec Regarde les hommes tomber. J’avais 10 ans, c’était une histoire d’aviateurs crashés sur terre, avec une bande-son très présente. Quelques années plus tard, ils ont monté une autre pièce à Bobigny, dont j’ai oublié le titre, mais qui a ensuite inspiré le film Les Habitants de Alex van Warmerdam. Il y avait un immense décor avec un immeuble planté au milieu d’un bois, une image qui m’est restée. À l’adolescence, la découverte de Pina Bausch m’a bouleversé. Cette manière de faire vivre un groupe, avec une joie presque insolente, dans une scénographie toujours très forte. Ensuite, la rencontre avec le théâtre de Tadeusz Kantor a été décisive, notamment au Théâtre de Chaillot, puis lors de la représentation de C’est mon anniversaire au Centre Pompidou le jour de sa mort, jouée sans lui par sa troupe. Une émotion rare. Dans les années 90, j’ai suivi avec passion les créations du duo Jean Jourdheuil et Jean-François Peyret, leurs pièces érudites, très visuelles, avec des scénographes comme Nicky Rieti, Titina Maselli ou Gilles Aillaud. Les Sonnets de Shakespeare, De la nature des choses de Lucrèce, ou leurs collaborations avec Heiner Müller, m’ont durablement marqué. Et puis bien sûr, les spectacles de la Volksbühne à Berlin, pas seulement pour la mise en scène, mais pour la puissance des scénographies signées Bert Neumann ou Anna Viebrock. Je crois que mes plus fortes émotions de spectateur, je les dois souvent aux scénographes.

Quels souvenirs gardes-tu de projets particulièrement intenses ?

Je crois que le plus intense reste mon tout premier spectacle, La Démangeaison des ailes, en 2003. Je ne pensais pas encore faire ce métier, c’était juste une envie très forte. On a répété entre amis, dans un appartement. Les premières présentations à l’Usine Consortium de Dijon et à la Ménagerie de Verre à Paris ont rencontré un vrai succès. Et puis, il y a eu la magie de la tournée, New York, le Brésil… Une sorte de vertige joyeux. Un autre moment fort, c’était en 2004 avec Des Expériences, joué en plein air, la nuit, dans le parc de Barbirey-sur-Ouche. Une scène où les acteurs nageaient en silence dans un étang. Il faisait froid, les spectateurs étaient debout dans ce cadre magnifique, entourés de canards, de ragondins, de cris de chouettes… Une sensation d’irréel pour nous comme pour eux.

Quelle expérience collaborative t’a le plus marqué ?

C’était peut-être tout simplement un été, quand j’avais une dizaine d’années, dans une grange du Lot. J’ai proposé à des enfants des fermes voisines de monter un petit spectacle. On allait crier nos slogans dans les hameaux, avec un entonnoir comme porte-voix pour faire venir les gens. C’était très artisanal, très joyeux, mais je crois que tout était déjà là : le groupe, l’envie de partager, le jeu.

Pour toi, quels sont les enjeux du théâtre aujourd’hui ?

Je dirais que le plus grand enjeu, c’est d’apprendre à résister aux pressions de rentabilité, à l’obsession du résultat, pour que le théâtre reste un lieu de réinvention. Ce n’est pas nouveau, mais ces dernières années en France, avec l’état d’urgence, le sécuritaire, les restrictions, les théâtres eux-mêmes sont devenus des espaces à défendre. Aujourd’hui plus que jamais, ils doivent être des lieux d’imagination, de rassemblement, de débat, où l’humain peut encore s’inventer. Des endroits qui permettent de douter, d’essayer, de se tromper aussi.

Quel rôle peut avoir un artiste dans la société ?

L’artiste, c’est quelqu’un qui reste singulier, qui propose des chemins de traverse, qui ne cherche pas à valider mais à décaler. Il invite à croire au pouvoir du poétique, à regarder autrement la vie, à partager des utopies concrètes. Je crois que son rôle, c’est d’ouvrir d’autres manières d’habiter le monde, avec attention, avec délicatesse parfois, avec turbulence aussi, quand il le faut.

Photo César Vayssié