Propos recueillis par Wilson Le Personnic
Publié le 18 avril 2023
Signe de salutation, d’accord, de soutien, de consolation, d’affection, d’amour, etc, se tenir la main est un geste relationnel qui traverse l’histoire depuis plusieurs millénaires. Avec son duo Et de se tenir la main, la chorégraphe Mélanie Perrier explore l’imaginaire de ce geste polysémique et universel accompagné avec deux danseurs portés par l’énergie explosive d’une batterie live. Dans cet entretien, Mélanie Perrier revient sur la genèse et le processus de création de Et de se tenir la main.
Et de se tenir la main est votre première pièce qui s’adresse à un jeune public. Comment ce projet vient-il développer votre recherche chorégraphique ?
Et de se tenir la main poursuit le projet relationnel pour la danse mené au sein de la compagnie depuis maintenant dix ans. Cette pièce reprend la manière spécifique de construire un langage chorégraphique à partir d’un geste donné, ici se tenir la main. Ce projet m’a permis de continuer à écrire la danse à partir des relations entre les interprètes et de réévaluer la place des images par rapport au mouvement. En parallèle, cette nouvelle pièce concrétise un travail mené depuis plusieurs années sur les représentations de la danse auprès des plus jeunes.
Comment votre intérêt s’est-il focalisé sur le geste de se tenir la main ? Pourriez-vous partager la genèse de ce duo ?
C’est un geste éminemment relationnel qui est à la fois très quotidien et le berceau de bon nombre de relations à tous les âges. J’avais envie d’offrir notamment aux plus jeunes spectateur·rices une « image » de départ présentant deux hommes qui se tiennent la main, de créer les conditions de sa permission et de sa célébration. Dans un climat où il est de plus en plus difficile pour les artistes de rendre possible leur création, il me parait incontournable de placer la responsabilité des artistes en faveur de la lutte contre les stéréotypes et discriminations et d’oeuvrer à l’élargissement des représentations
Comment avez-vous initié le travail autour de cet imaginaire de la poignée de mains ? Pourriez-vous revenir sur le processus chorégraphique ?
Nous avons commencé, comme je le fais souvent, par un temps de fabrique de relations pour et avec les interprètes qui ne se connaissaient pas. Prendre le temps de construire une relation de travail est déterminant pour engager une recherche à plusieurs. Cela nous a permis d’établir un premier corpus de situations qui engageaient le geste de tenir la main à partir duquel nous avons initié le travail de mise en mouvement. À chaque résidence de création, nous avons également réalisé des vidéos que nous avons ensuite partagées à un « comité des enfants » de six à dix ans, que nous avons réuni régulièrement au cours de la création. L’idée n’était pas de valider ou de sélectionner les meilleurs moments mais de confier une vraie place aux enfants en leur permettant de poser des mots sur la danse. La variété des imaginaires convoqués par les enfants à partir du même mouvement était fascinante. L’introduction de ces nouveaux regards a été déterminante et s’est révélée être un virage dans la création.
La musique occupe toujours une place centrale dans votre travail. Pour Et de se tenir la main, vous avez collaboré avec le batteur Didier Ambact. Pourriez-vous revenir sur le processus musical ?
La musique originale préside chacune de mes pièces. Pour cette création, l’écriture de la danse s’est développée en relation avec la présence de la batterie sur scène. Nous avons eu la chance d’être accompagnés par le batteur Didier Ambact sur l’ensemble des résidences de création. Collaborer avec Didier était extrêmement riche, chacun s’est mis à l’écoute de l’autre dans l’écriture de son propre médium. Bien qu’elles soient autonomes, la danse et la musique sont toujours liées l’une à l’autre : elles se rejoignent, se séparent et se retrouvent. Dans Et de se tenir la main, l’enjeu du live est pour moi essentiel : on assiste chaque soir autant à un concert de batterie qu’à un spectacle de danse.
Votre démarche est nourrie par les théories du care depuis une dizaine d’années. Comment cette ligne de recherche s’est-elle infusée dans Et de se tenir la main ?
L’éthique du care infuse en premier lieu dans les manières de travailler en équipe. Placer la sollicitude dans le travail commence pour moi dans la déférence que je porte et témoigne à chacun·e de mes collaborateur·trices. Cette pensée irrigue ensuite les façons de moduler et d’inventer le mouvement. Faire à sa mesure et toujours en relation à l’autre est l’un des prismes à travers lequel je conduis l’ensemble de mon travail. Pour ce faire, je collabore depuis sept ans avec Nathalie Schulmann, qui est spécialiste de l’Analyse Fonctionnelle du Corps dans le Mouvement Dansé, à travers les outils de diagnostic de l’AFCMD, Nathalie propose de nouveaux ateliers pratiques en lien avec notre recherche en cours. Élaborée dans un objectif préventif, éducatif et artistique, l’AFCMD part toujours du vécu du danseur·euse pour interroger l’intention du geste et son organisation posturale. Lors de ces ateliers, elle ne porte pas son attention sur la justesse ou la technique mais sur la mélodie du mouvement et sur les réactions des danseur·euses. Ces ateliers et les matières chorégraphiques qui y sont développées viennent nourrir le processus de création. Placer les théories du care au cœur du processus chorégraphique est davantage une manière de faire advenir la danse à travers le savoir-être que du savoir-faire.
Chorégraphe Mélanie Perrier. Artistes chorégraphiques Yannick Hugron et Pep Garrigues. Compositeur et batteur en live Didier Ambact. Créateur lumières Henri Emmanuel Doublier. Régisseur son Nicolas Martz. Assistante, consultante en AFCMD, soins Nathalie Schulmann. Comité des enfants Anna, Matthieu, Giulio, Faustine, Aurélien, Julie, Anaé. Administration Julie Blanc. Diffusion Marie Pluchart – Triptyque Productions. Photo © Cie2minimum.
Du 18 au 22 avril au CN D Pantin, en coréalisation avec Chaillot – Théâtre national de la Danse, dans le cadre de sa programmation Chaillot nomade.
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