Propos recueillis par Wilson Le Personnic
Publié le 26 juin 2023
Avec sa nouvelle création Black Lights, la chorégraphe Mathilde Monnier s’appuie sur H24, un ouvrage publié en 2021 qui compile 24 nouvelles écrites par vingt-quatre autrices. Adaptées ensuite en série pour Arte, ces histoires mettent en scène vingt-quatre situations de violences systémiques dont sont victimes les femmes, toutes inspirées de faits réels, lus, entendus ou vécus. La chorégraphe s’empare de plusieurs histoires de ce recueil et invite huit danseuses et comédiennes éclectiques à donner corps à ces récits, comme pour mieux les combattre et subvertir leur violence. Dans cet entretien, Mathilde Monnier revient sur le processus de création de Black Lights.
Votre pièce Black Lights s’appuie sur H24, un ouvrage publié en 2021 qui compile 24 nouvelles écrites par 24 autrices. Pourriez-vous revenir sur l’histoire et la genèse de votre création ?
C’est simplement en lisant ce livre que s’est fait le déclic. J’ai été très touché en lisant ces textes, par leur potentiel scénique et leur immédiateté. Chaque nouvelle s’inspire de faits réels, lus, entendus ou vécus, avec pour protagoniste des femmes anonymes. Ces recits rendent visible des exemples de violences que vivent les femmes au quotidien : harcèlement de rues, agressions, tentatives de viol, violences conjugales, insultes, des exemples de violences faites aux femmes, des histoires qui se déroulent dans des espaces publics, au travail, que dans des contextes plus intimes. Je cherchais à cette période un texte à mettre en scène, un texte qui puisse générer du mouvement. J’ai senti que ces histoires étaient assez puissantes pour produire de la matière à investir avec mes outils de chorégraphe, sans aucune velléité de hiérarchiser la parole ou le corps.
La parole occupe une place importante dans Black Lights. Comment avez-vous sélectionné et travaillé avec cette matière textuelle ?
Pour le choix des textes, j’ai travaillé en partie avec Stéphane Bouquet qui est poète dramaturge et scénariste. Je me suis focalisé de manière intuitive sur des récits avec une forme littéraire assez directe, proche d’un texte de théâtre, avec une forme d’adresse au lecteur. Puis nous avons commencé à expérimenter et mettre en corps ces textes en studio. L’important était que les textes puissent être interprétés de manière directe, dans une adresse simple. Il fallait aussi trouver l’énergie de chaque récit, la colère, la rage mais aussi l’émotion que suscitent ces textes. J’ai proposé aux danseuses de travailler à partir des postures que la société impose aux femmes, sur des rituels de lavage et des pratiques exutoires. J’ai laissé de l’espace pour que les danseuses puissent construire des imaginaires, faire des propositions. Ce travail était alimenté par des pratiques, des textes et des films que nous échangeons durant le processus, je pense par exemple à Médée de Pasolini.
La scène est jonchée de grosses souches d’oliviers brûlés d’où s’échappent de la fumée. Pourriez-vous partager la dramaturgie de cet espace ?
Je souhaitais mettre en scène les corps dans un espace intemporel, loin du réalisme des textes. L’olivier m’a fait penser à la tragédie grecque et comment ce genre tragique a presque toujours mis en scène des femmes victimes, silencieuses ou mortes. Pour moi, ces souches d’oliviers sont là pour symboliser que les faits de violence envers les femmes existent depuis des lustres.
Black Lights semble prendre part à un mouvement général qui s’inscrit dans un discours féministe. Comment ce mouvement a-t-il impacté votre pratique, fait émerger de nouvelles réflexions dans votre travail ?
Je réalise depuis plusieurs années des pièces avec des femmes mais sans aborder le sujet ouvertement, sauf dans la pièce Gustavia co-signée avec La Ribot. Les nombreux articles et textes qui ont été publiés ces dernières années, les prises de parole de femmes qui ont eu le courage de parler dans l’espace public et de témoigner m’ont beaucoup aidé. Toutes ces paroles sont pour moi de puissants déclencheurs : chaque récit encourage un autre récit et ouvre le débat.
Envisagez-vous la création comme un outil de contre-pouvoir et/ou politique ?
Cette pièce n’a pas de message ni de leçon à donner. C’est un filtre sur ce que nous vivons. Je suis féministe tous les jours mais il y a encore énormément de bagarres à mener pour « toute cette moitié du monde » comme l’écrit Alice Zeniter. Pour moi, la création artistique est un vecteur d’échange d’idées. L’art permet de créer des zones de contre pouvoirs sociaux, des espaces d’expression qui ne sont pas assignés à du sens direct. Dans ma vie, j’ai été face à des œuvres d’art qui ont été des vrais déclencheurs, qui ont provoqué chez moi des prises de conscience très fortes. La création ouvre de nouvelles perspectives sur le monde que nous vivons, à chacun de se déplacer et d’être en lien avec des formes ouvertes non prescriptives.
Vu au Festival Montpellier Danse. Chorégraphie et mise en scène Mathilde Monnier. Dramaturgie Stéphane Bouquet. Scénographie Anne Tolleter avec l’atelier Martine Andrée et Paul Dubois. Lumière Éric Wurtz. Son Olivier Renouf et Nicolas Houssin. Costumes Laurence Alquier. Avec Isabel Abreu, Aïda Ben Hassine, Kaïsha Essiane, Lucia García Pulles, Mai-Júli Machado Nhapulo Carolina Passos Sousa, Jone San Martin Astigarraga, Ophélie Ségala. Photo © Marc Coudrais.
Du 20 au 23 juillet 2023, Festival d’Avignon, Cloître des Carmes
Les 28 et 30 juillet 2023, Festival ImPulsTanz
Du 29 novembre au 2 décembre 2023, Théâtre de la Cité Internationale à Paris
Les 17 et 18 janvier 2024, La Comédie de Clermont-Ferrand
Le 23 janvier 2024, Le Parvis SN de Tarbes Pyrénées
Les 26 et 27 janvier 2024, Théâtre Populaire Romand & ADN Danse Neuchâtel
Les 7 et 8 février 2024, MC2 Grenoble
Les 13 et 14 février 2024, La Coursive SN de La Rochelle
Le 22 février 2024, Théâtre des Salins à Martigues
Du 20 au 23 mars 2024, Les SUBS & Maison de la Danse à Lyon
Les 4 et 5 avril 2024, Le Quartz SN de Brest
Du 22 au 24 mai, Théâtre National de Bretagne à Rennes
Du 29 au 31 mai, Théâtre Garonne à Toulouse
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