Photo © Laurent Pailler

Martine Pisani, UNDATED

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 30 juin 2017

Depuis plus de 25 ans, Martine Pisani trace un sillon singulier et profondément reconnaissable dans le paysage chorégraphique contemporain. À rebours du spectaculaire, elle invente un théâtre dansé sans artifices ni effets, un art du dépouillement qui laisse toute leur place au jeu, à l’accident, à l’imprévu. Avec UNDATED, elle réunit dix interprètes fidèles et compagnons de route, pour revisiter son répertoire.

Depuis plus de 25 ans, tu crées tes propres pièces. Dirais-tu qu’un fil conducteur relie les différentes œuvres de ton répertoire ?

On y retrouve souvent les mêmes interprètes, leur place est prépondérante dans les pièces puisqu’ils en sont la matière principale. Des présences évidentes, sans artifice, dans une lumière franche, un espace réduit, sculpté par la distance entre les corps, et un goût pour le jeu à la fois dans sa dimension mécanique et ludique. Un théâtre sans illusion, au vocabulaire épuré, souvent silencieux, avec une adresse directe au spectateur, presque complice. Oui, on peut sans doute déceler des analogies. On m’a d’ailleurs souvent soufflé que mon univers était reconnaissable.

Ta nouvelle création UNDATED semble condenser des années de création. Comment cette pièce s’inscrit-elle dans le fil de ta recherche ?

Peut-être justement par le fait d’embarquer dans l’aventure une dizaine d’interprètes qui ont tous déjà dansé dans mes pièces précédentes. Ce geste prolonge le fil invisible de nos rencontres et de nos complicités. Chaque interprète porte le costume qu’il portait dans la pièce d’origine revisitée, comme une mémoire tissée dans le présent. Le fait de m’appuyer uniquement sur des matières existantes, sur du déjà fait, ancre UNDATED dans une forme de continuité sensible et assumée.

Comment est née l’envie de créer UNDATED ? Qu’est-ce qui t’a poussée à replonger dans ton propre répertoire ?

« Et si, pour une fois, je ne savais rien à l’avance ? » C’est ce que je me suis dit au départ, mi-sérieuse, mi-amusée. Cette envie de page blanche, de présent pur, m’a révélé quelque chose de décisif : je ne voulais plus entrer en studio pour inventer encore et encore de nouvelles situations. Je voulais éviter les improvisations aléatoires, retrouver une forme de nécessité. Ce que je cherchais était une construction collective, simple, directe, où chacun aurait la liberté d’agir ou de ne pas agir. Et surtout, je voulais que cela se passe en live, en présence. Alors l’idée m’est venue : utiliser les situations que j’avais déjà créées, les jouer toutes ensemble, simultanément, avec ce groupe-là. C’est ainsi qu’est né UNDATED.

Peux-tu donner un aperçu du travail avec les interprètes ?

J’ai changé de méthode. Chaque jour, je proposais un nouveau montage d’environ une heure, différent, avec des partitions individuelles pour chacun, qui se superposaient sur le plateau. Dès le départ, je voulais penser l’ensemble plutôt que les parties. Tous travaillaient sur les mêmes gestes, que je ne cessais d’ajuster. Le temps étant compté, on avait souvent cette fraîcheur de la première fois, un élan brut.

Comment as-tu sélectionné les matières de la pièce ?

J’ai d’abord relevé les motifs récurrents : des gestes, des états, des présences. J’ai listé ce qui, pour moi, avait encore quelque chose à dire aujourd’hui. Mais rapidement, les choses se sont imposées d’elles-mêmes. En studio, j’ai travaillé en binôme avec Théo Kooijman qui incarnait tous les rôles, seul. On a cartographié une dizaine de pièces, superposé les chronologies, classé les matières. On a testé des jeux : ne faire que les débuts, les fins, concentrer les chutes, isoler les silences, etc. Ce travail en amont m’a permis d’arriver préparée quand j’ai retrouvé les danseurs.

Peut-on voir ce projet comme une forme de rétrospective personnelle ?

Peut-être, mais pas au sens classique. Je parlais de « rétrospective déguisée » dans mes notes de départ. En fait, je préfère parler de « forme prospective à motifs rétrospectifs ». C’est une façon d’interroger le passé sans le figer, de le transformer en quelque chose de vivant, à nouveau partageable. Mon rêve était de montrer plusieurs pièces en même temps, mais ce n’est pas facile à faire, surtout pour une petite compagnie.

UNDATED rassemble dix interprètes. Quel sens donnes-tu à cette grande réunion ?

J’avais déjà travaillé avec de grands groupes, dans des contextes particuliers, mais jamais de cette manière. Ces expériences m’ont donné le goût du nombre, mais surtout celui des singularités qui, ensemble, composent une humanité vivante. Le collectif n’a de sens que par les différences qu’il relie. Mon envie était de retrouver, pour chacun, une relation personnelle, une histoire partagée. Ce choix est aussi un pari économique, car les grandes distributions sont difficilement soutenues. Mais c’est surtout un choix éthique, presque politique : revendiquer une manière d’être ensemble. En ce sens, UNDATED est une condensation humaine, une architecture vivante, mouvante, où chacun est à la fois mur, fenêtre, et souffle.

Vu au Festival Uzès Danse. Photo Laurent Pailler.