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Jasmine Morand, Lumen

Propos recueillis par Mélanie Drouère

Publié le 10 janvier 2023

Sur une crête ténue qu’elle arpente depuis le début de son parcours, la danseuse et chorégraphe Jasmine Morand construit de somptueux équilibres entre une écriture chorégraphique exigeante et la puissance fantasmagorique des corps en mouvement. Lumen, pièce pour treize danseur·euse·s, dresse une nouvelle pierre angulaire dans son travail, en entrelaçant écriture géométrique et impressions organiques à l’aune de jeux de lumière. Dans cet entretien, Jasmine Morand partage les rouages de sa recherche et le processus de création de Lumen.

Jasmine Morand, pourriez-vous revenir sur la genèse de Lumen ?

Lumen a été lauréat en 2018 du concours Label+ romand – arts de la scène qui a pour but de promouvoir la création professionnelle des arts de la scène de Suisse romande en favorisant la production de pièces d’envergure. Obtenir cette aide financière a permis de faire la lumière sur ce projet et de trouver de nouvelles coproductions. J’avais déjà réalisé en 2016 une pièce pour douze danseur·euse·s, Mire, que j’avais envisagée au départ comme un « one shot » car ce type de projet, avec autant d’interprètes et un dispositif scénographique si important, est habituellement très difficile à tourner. Les spectateur·ice·s, sont allongé·e·s sur le sol autour d’une grande boîte et un grand miroir suspendu au-dessus de l’installation permet de voir ce qui se passe à l’intérieur. Contre toute attente, la pièce a bénéficié d’un excellent bouche à oreille qui a permis d’attirer l’attention des programmateur·rice·s et de partir en tournée la saison suivante. Avec Lumen, je souhaitais poursuivre cette recherche qui articule le mouvement à un dispositif scénique et lumineux.

Comment se présente ce nouveau dispositif ?

Le dispositif de Lumen reprend le principe de Mire, toujours réalisé en collaboration avec la scénographe Neda Loncarevic : un grand miroir suspendu au-dessus d’un espace restreint dédié à la danse. Ici, l’espace n’est plus une boîte mais une plateforme légèrement inclinée au-dessus de laquelle un miroir oblique trouble la perspective du public. Le travail de recherche a d’abord été mené par petits groupes, avec quatre ou cinq danseur·euse·s par session, juste pour comprendre et éprouver l’inscription des corps dans cet espace. La plateforme fait cinq mètres sur sept et tout l’enjeu était de trouver comment mettre en mouvement treize danseur·euse·s dans ce petit espace sans que cela ne devienne visuellement chaotique. De plus, le plateau est incliné et bascule durant la pièce, cette contrainte un peu exceptionnelle a permis d’expérimenter avec une nouvelle donnée : la gravité !

De l’obscurité à l’éblouissement, vous avez imaginé Lumen comme une traversée lumineuse...

Depuis toute petite, je suis convaincue que l’obscurité cache la beauté du monde. Avec Lumen, j’ai autant exploré la lumière que l’absence de lumière. Lumen est donc une traversée de l’invisible au visible, ou du peu visible à l’exposition totale. La pièce débute dans la pénombre, les danseurs sont « cachés », puis progressivement, une lente transition s’opère, la plateforme bascule et des formes humaines se déversent à la vue du public, l’augmentation imperceptible de la puissance lumineuse permet de distinguer progressivement des éléments de chair jusqu’à finir par révéler entièrement les corps et les visages. De la matière à l’individu, cette traversée est pour moi comme un voyage au cœur de la naissance du monde.

Lumen plonge les spectateurs dans une expérience à la fois introspective et picturale. Comment s’y articulent corps, lumière, son et espace ?  

J’ai écrit la chorégraphie en m’inspirant du tissage et de motifs géométriques : j’ai été très influencée par les gravures et les dessins de l’artiste Maurits Cornelis Escher, notamment pour composer les entrelacs entre les corps. Je souhaitais jouer avec les perceptions des spectateurs, entre ce qu’ils imaginent et ce qui se laisse voir. Le grand miroir permet à la fois de troubler la compréhension de l’espace et de démultiplier les corps et les perspectives. Le musicien Dragos Tara a quant à lui proposé un dispositif sonore qui, comme la scénographie, provoque une perte des repères spatiaux. Effacer les horizons, fausser les points de fuite, tout est mis en œuvre pour troubler la perception du réel. Je désirais réunir toutes les conditions pour faire apparaître des formes et des images totalement libres d’interprétation et que chacun·e puisse voyager à travers son propre imaginaire. 

Lumen, concept, chorégraphie Jasmine Morand. Assistanat chorégraphique Fabio Bergamaschi, Claire Dessimoz. Scénographie Neda Loncarevic. Construction Atelier Midi XII. Musique Dragos Tara. Lumière Rainer Ludwig. Costumes Toni Teixeira. Photo Céline Michel.

Lumen est présenté du 11 au 14 janvier au Théâtre des Abbesses