Publié le 29 juillet 2017
Pour certains, l’été rime avec pause bien méritée ; pour d’autres, il se poursuit au rythme des festivals. Quoi qu’il en soit, cette période constitue souvent un moment privilégié pour prendre du recul, faire le point sur la saison écoulée et préparer celle qui s’annonce. Nous avons choisi d’accompagner ce temps suspendu en proposant, tout au long de l’été, une série de portraits d’artistes. Qu’ils soient figures confirmées ou talents émergents du spectacle vivant, toutes et tous ont accepté de partager un moment d’échange à travers une série de questions-réponses. Cette semaine, rencontre avec Erwan Ha Kyoon Larcher.
Quel est ton premier souvenir de danse ?
C’est flou, pas très précis. Mais je le dois à des gens très proches : mon parrain et sa femme, qui ont été très présents dans mon éducation. Dans ma famille, on ne sortait pas vraiment voir des spectacles. Mais je me souviens quand même de moments à la Cartoucherie de Vincennes, des spectacles d’Ariane Mnouchkine. J’ai surtout gardé des sensations : les murs peints à la main, les odeurs de nourriture, les acteurs qui se maquillaient sous les gradins. L’impression que des gens s’étaient rassemblés pour faire quelque chose. Et plus tard, au lycée, une sortie pour voir Biped (1999) de Merce Cunningham au Théâtre de la Ville. J’ignorais presque que la danse contemporaine existait. Ce fut un choc : des corps étranges, des lignes, des couleurs. Une image forte pour un regard encore très neuf.
Quels spectacles t’ont le plus marqué comme spectateur ?
Les tout premiers m’ont marqué parce qu’ils étaient… les premiers. La Tribu Iota (2001) de Francesca Lattuada, au CNAC, a été le spectacle où je me suis dit que je voulais faire du cirque. Je voulais faire du théâtre à l’origine. Puis Au bord des métaphores (2000) de Rachid Ouramdane, ma première pièce de danse contemporaine : je n’ai rien compris, et c’est ce non-savoir qui m’a donné envie d’en voir plus. Plus tard, Sur le concept du visage du fils de Dieu (2011) de Castellucci. Le spectacle, mais aussi les conditions de sa présentation. Deux vigiles à chaque coin de scène, prêts à intervenir, à cause d’une polémique absurde menée par des intégristes catholiques. Une tension très forte. Et récemment, GRANDE de Tsirihaka Harrivel et Vimala Pons, deux artistes que j’admire profondément.
Quels sont tes souvenirs les plus forts en tant qu’interprète ?
Chaque pièce appelle une énergie différente, donc des formes de fatigue et de concentration particulières. Avec Ivan Mosjoukine, on faisait le son, la lumière, des actions physiques… être à la fois dedans et dehors. Dans La Nuit des Taupes de Philippe Quesne, on joue dans des costumes si chauds qu’on a parfois du mal à respirer. C’est presque un défi physique. Mais j’aime ça : trouver un corps spécifique à chaque pièce, adapté à ses contraintes.
Quelles rencontres artistiques ont été déterminantes dans ton parcours ?
La rencontre avec Vimala Pons et Tsirihaka Harrivel. Ensemble, on a cofondé le collectif Ivan Mosjoukine et créé De nos jours (Notes on the circus). Toute cette période a été très formatrice : sur la création, l’écriture, le collectif… Je pense aussi à Christophe Honoré. Métamorphoses (2014), puis Fin de l’Histoire (2015), ont été des moments importants. C’était ma première fois dans une pièce de théâtre avec seulement du texte. Sa confiance était précieuse, mais aussi un peu vertigineuse. Et surtout, avec lui, je n’ai jamais été défini par mon origine asiatique. Ce détail-là compte beaucoup.
Peux-tu partager certaines œuvres qui composent ton panthéon personnel ?
Plutôt qu’un panthéon figé, je dirais une constellation mouvante. Certaines pièces restent longtemps : Kontakthof (1978) de Pina Bausch, des pièces de Maguy Marin, de Johann Le Guillerm. GRANDE de Vimala et Tsirihaka. Certaines pièces d’Yves-Noël Genod, qui m’ont fait vivre un autre théâtre — parfois proche de la grâce. Castellucci, encore. Jonathan Drillet et Marlène Saldana, évidemment. Et en dehors du spectacle vivant : This Heat, Can, Suicide, Delia Derbyshire, Kraftwerk, John Cage, Suzanne Ciani, Eliane Radigue, Tony Conrad… Des artistes vivants (ou que je veux croire vivants), et une liste qui s’allonge sans fin.
Quels sont, selon toi, les enjeux du théâtre aujourd’hui ?
Je n’ai pas d’attachement à des enjeux propres à un champ : théâtre, danse, musique, cirque… J’essaie même de m’en éloigner. Ce qui m’importe, c’est : qu’est-ce qu’on montre, et comment ? Comment on fait voir ? Il y a bien sûr des enjeux spécifiques à chaque discipline. Mais on ne peut pas faire abstraction de ce qui se passe autour. De la vie. De ce qu’on traverse. Le reste me paraît secondaire.
Quel rôle un artiste doit-il avoir aujourd’hui dans la société ?
Je ne crois pas qu’un artiste ait un rôle à remplir. Ou alors juste : avertir, plutôt que divertir. Je le vois comme un contrepoint. À la norme, à l’uniformisation, aux certitudes. Et pas uniquement dans les arts de la scène. Chaque créateur·trice peut avoir cette fonction. L’artiste n’a pas plus à justifier son rôle que le boulanger ou le cordonnier. Peut-être que sa responsabilité, c’est d’oser prendre la parole à la place de ceux qui ne peuvent pas. Et d’avoir le droit de se planter, de recommencer. De faire l’expérience de l’inutile. De l’improductif. Comme le dit Deleuze dans L’Abécédaire, c’est aussi ça : faire à la place de.
Photo Erwan Ha Kyoon Larcher
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