Photo © Dominique Libert 2 scaled

Erika Zueneli, Landfall

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 29 décembre 2022

Depuis plus de vingt ans, la chorégraphe Erika Zueneli s’inspire de l’humain en tant qu’être social, sa relation aux autres, à soi, et de notre rapport au monde. Avec sa nouvelle création Landfall, elle interroge aujourd’hui son travail et sa pratique à l’aune d’une nouvelle génération de danseur·euse·s. L’artiste réunit à ses côtés dix jeunes interprètes de différentes disciplines (danse, théâtre, cirque) et imagine un espace dynamique où coexistent leurs énergies et leurs singularités. Dans cet entretien, Erika Zueneli revient sur la genèse et le processus de création de Landfall.

Votre nouvelle création Landfall réunit dix jeunes interprètes. À quoi répond cette jeune équipe ?

Landfall résulte avant tout de l’envie de revenir à une pièce de groupe avec un certain nombre des personnes sur le plateau. Puis surtout, de la curiosité de me confronter à une autre génération. J’ai longtemps travaillé avec les même collaborateur·ice·s nous avons grandi ensemble, avec les mêmes questions, les mêmes sentiments d’atterrissage les années passant. J’ai eu besoin de rencontrer et de travailler avec de nouvelles personnes, de questionner mes procédés artistiques, d’aborder mes réflexions et mes intérêts à travers de nouvelles perspectives. C’est important de toujours remettre en question son travail et de se confronter à d’autres contextes. Ces jeunes artistes sont à l’aube de leur vie professionnelle et seront amenés à penser les mondes artistiques, politiques et philosophiques de demain. Avec Landfall, l’enjeu était d’imager un projet autour et avec cette génération, sans l’enfermer dans des représentations qui lui sont généralement associées, et d’étudier comment, venant d’une toute autre génération, je peux ou dois m’y inscrire.

Comment avez-vous initié le travail avec cette équipe ?

Il y avait dès le départ une envie de découvrir, d’expérimenter ensemble, un désir de transmission, aussi bien pour elles·eux que pour moi. Nous avons d’abord commencé par des laboratoires de recherche, pour que chacun-e puisse trouver son organisation dans l’espace, son écoute dans le groupe, sa capacité à rebondir, à se coordonner et se désorganiser tout en gardant une grande autonomie. Sur dix interprètes, sept viennent du théâtre, deux viennent de la danse et un vient du cirque. Elles·ils ont pour point commun d’avoir une approche du mouvement pluridisciplinaire et quelle que soit la pratique à laquelle elles·ils ont été formé·e·s, toutes et tous s’affirment comme des danseur·euse·s dans ce spectacle. Ces premiers laboratoires ont donc été de véritables terrains de jeux et ont permis d’aller chercher et de trouver cette harmonie et complicité sur le plateau. J’ai proposé aussi des ateliers d’écriture où chacun·e partageait des mots, des phrases, que nous avons ensuite essayé de mettre en mouvement.

Comment coexiste ce groupe sur le plateau ? Pourriez-vous partager le processus chorégraphique Landfall ?

L’espace a été une des premières notions que j’ai abordé en studio avec le groupe, en dirigeant de grandes improvisations avec des principes scénographiques. J’ai imaginé un espace constamment traversé par des présences ou des énergies, avec des duos, des diagonales, des soli, des groupes, des jeux de d’apparition et de disparition. Nous avons aussi travaillé à partir d’œuvres sculpturales et picturales anciennes (par exemple Michelangelo) pour chercher de nouvelles corporéités, un métalangage commun. Ce rapport à l’ancien avec une dimension divine a été une base importante du travail de recherche. Pour Landfall, j’ai imaginé des corps dans un entre-deux, entre le corps contemporain propre à notre époque et le corps mythique, en rendant visible cette dissociation et ce déchirement. Mais avant tout, j’ai souhaité mettre les interprètes, leurs singularités, leurs sensibilités, au cœur de la pièce. Landfall peut se voir comme une petite communauté, où coexistent différentes personnalités, avec chacun·e des zones à défendre. Elles·Ils ont des règles entre eux, il y a des espaces, des organisations incongrues, ils se donnent le relais, etc. L’air de rien, elles·ils posent une certaine insolence sur le plateau, mais jamais rien n’est proposé comme une revendication, un manifeste… Elles·Ils sont là, face à nous, avec juste leurs présences, avec humour et dérision, rien n’est sérieux même si tout est grave.  

Comment avez-vous abordé la dimension musicale de Landfall ?

Le musicien Thomas Turine est venu plusieurs fois au début du processus de création et a participé aux grandes improvisations avec nous. Pouvoir expérimenter sur ses improvisations musicales live était une merveilleuse source créatrice. Je lui ai demandé de commencer sur une pulsation, un rythme, présent durant toute la pièce, en lui proposant une tarantella comme idée de départ (les tarentelles sont un ensemble de danses traditionnelles, et de formes musicales associées, provenant du Sud de l’Italie, ndlr). Au fur et à mesure des répétitions, Thomas a composé une bande son, parfois en résonance avec nos actions et parfois pour nous  soutenir, avec toute la puissance qu’il sait offrir. Puis nous avons eu envie que le plateau devienne de plus en plus autonome musicalement au fur et à mesure que la pièce avance. Certains sons sont donc gérés et créés directement depuis le plateau par les  danseur·euse·s.

Conception et chorégraphie Erika Zueneli. Collaboration et scénographie Olivier Renouf. Avec Alice Bisotto, Benjamin Gisaro, Caterina Campo, Charly Simon, Clément Corrillon, Elisa Wéry, Felix Rapela, Louis Affergan, Lola Cires, Matteo Renouf. Dramaturgie Olivier Hespel. Regard extérieur Julie Bougard. Assistant projet Louise De Bastier, Corentin Stevens. Création sonore Thomas Turine. Création lumières Laurence Halloy. Costumes Silvia Hasenclever. Administration, production, diffusion des Organismes vivants & Ta-dah!/Asbl. Photo © Dominique Libert.

Landfall est présenté le 26 janvier au Pavillon à Romainville dans le cadre du festival Faits d’hiver