Photo © Jean Luc Beaujault

Phia Ménard « Danser la résistance »

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 25 juillet 2018

Pause estivale pour certains, tournée des festivals pour d’autres, l’été est souvent l’occasion de prendre du recul, de faire le bilan de la saison passée, mais également d’organiser celle à venir. Ce temps de latence, nous avons décidé de le mettre à profit en donnant la parole à des artistes. Après avoir publié l’été dernier une première série d’entretiens-portraits, nous renouvelons ce rendez-vous estival avec de nouveaux artistes qui se sont prêtés au jeu des questions réponses. Ici, Phia Ménard.

Phia Ménard, s’initie d’abord au jonglage, au jeu d’acteur et à la danse contemporaine, avant de fonder en 1998 la compagnie Non Nova. Sa recherche sur « l’Injonglabilité Complémentaire des Éléments » la conduit à explorer la transformation des éléments tels que la glace, l’eau, l’air… et leurs influences sur les comportements humains. Cette saison, Phia Ménard a multiplié les créations : Contes immoraux / Partie 1 – Maison Mère à l’invitation de la Documenta 14 à Kassel, le solo en clair-obscur Les Os Noirs, ainsi que la mise en scène de l’opéra Et In Arcadia Ego pour l’Opéra Comique à Paris. Sa nouvelle création Saison Sèche, qui a pour ambition d’abattre le pouvoir patriarcal, sera l’un des grands rendez-vous de la 72e édition du Festival d’Avignon.

Quels sont vos premiers souvenirs de danse ?

Dans mon enfance, je me rappelle avoir vu des images des ballets de Maurice Béjart à la télévision. Tout particulièrement des scènes du Boléro avec Jorge Donn. Sinon, il faudra attendre le début des années 1990, pour que je voie Welcome to Paradise de Joëlle Bouvier et Régis Obadia pour concrétiser mon regard sur la danse.

Qu’est-ce qui a déclenché votre envie de devenir chorégraphe ?

Le désir de faire quelque chose de mon corps s’est imposé bien avant de prendre conscience de mon désir de pratique artistique. La confrontation à des œuvres théâtrales, chorégraphiques et circassiennes m’a portée vers un désir de rencontre avec des artistes. Je me suis retrouvée jeune interprète sur des scènes internationales et nationales avec des questions sur le sens et les valeurs de l’art. C’est  à ce moment là que je me suis mise à écrire mes propres interrogations…

En tant qu’artiste, quelle(s) danse(s) voulez-vous défendre ?

Toutes sont à défendre, si elles portent des humains aux dialogues plus qu’à la recherche d’une sacralisation. Le geste, le rythme, la trajectoire sont des ingrédients universels qui permettent à l’être humain de s’imaginer. Mes gestes chorégraphiques sont des inventaires autant que des récits que je nourris de symbole. Je ne peux me résoudre à la simple beauté, j’aime le rugueux et la performance.

En tant que spectatrice, qu’attendez-vous de la danse ?

En tant que regardante, je veux que celle-ci me libère de la temporalité. J’aime les spectacles qui ne me vendent pas des méthodes, des réussites mais bien ceux qui me dépossèdent, ceux dont la maîtrise ne sont pas des démonstrations techniques mais une série d’intuitions. Je veux des actes sincères qui me démunissent.

À vos yeux, quels sont les enjeux de la danse aujourd’hui ?

Celle de retrouver une place de visibilité des œuvres. Une affirmation que le champ chorégraphique est une universalité nécessaire.

À vos yeux, quel rôle doit avoir un artiste dans la société aujourd’hui ?

L’artiste est un citoyen comme les autres, qui a fait un choix de vie dans l’art. Il faut bien sûr distinguer dans quelle société celui-ci vit. Être artiste aujourd’hui, dans une société française, c’est savoir considérer avec force l’héritage des volontés politiques d’hommes et de femmes qui se sont battus pour un accès à la culture pour le plus grand nombre et la considération du besoin d’une professionnalisation des arts. Nous avons le devoir de faire des actes artistiques forts, sans compromis, de savoir refuser la sacralisation de sa personne. Mais nous avons aussi le devoir politique de nous saisir des maux de la société, d’inviter au débat et de savoir agir pour rappeler que la pensée vaut bien plus que des plans de communication. Avoir une position politique visible ne retire rien à son art, j’en suis convaincue.

Comment voyez-vous la place de la danse dans l’avenir ?

Dans nos sociétés où la monstration du corps est soumise aux règles porno-économiques du tout libéral, la réappropriation des notions de maîtrise du temps, de l’espace, du silence, de la sincérité de l’acte deviennent les enjeux du dialogue avec le regardant. L’omniprésence d’une sacralisation médiatique de l’agilité qu’elle soit vocale ou gestuelle, nous amène donc à considérer que l’art, qui par définition s’inscrit dans l’histoire, se doit de résister à ce mercantilisme culturel déjà à l’oeuvre. Alors, danser ? Danser la résistance…

Photo © Jean-Luc Beaujault