Photo © Isabelle Meister scaled

Marie-Caroline Hominal, HOMINAL / XABA

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 18 septembre 2020

La danseuse et chorégraphe suisse Marie-Caroline Hominal développe depuis plus de dix ans une pratique prolifique et expérimentale, hybridant les médiums avec toujours autant de vélocité, de la danse à la sculpture, en passant par la performance, la peinture et la musique. En 2018, elle entame un nouveau projet au long court HOMINAL / XXX, une série de pièces pour lesquelles elle confronte son corps à l’univers d’autres artistes. Le second volet HOMINAL / XABA résulte de sa longue amitié avec la chorégraphe et danseuse sud-africaine Nelisiwe Xaba. Dans cet entretien, Marie-Caroline Hominal fait le récit de cette création.

Pour le deuxième opus de votre projet HOMINAL / XXX, vous avez invité la chorégraphe et danseuse sud-africaine Nelisiwe Xaba. Comment ce choix s’est-il fait ?

Lorsque j’ai engagé le processus de cette deuxième pièce, c’était pour moi évident que ça devait se faire avec une femme. Très vite j’ai proposé ce projet à Nelisiwe Xaba que je connais depuis plus de 20 ans. Nous nous sommes rencontrées à la Rambert School of Ballet and Contemporary Dance à Londres où nous étions toutes les deux étudiantes. Depuis, nous nous sommes toujours croisées lors de nos voyages et nous avons toujours eu le désir de faire quelque chose ensemble. C’était là un excellent prétexte pour avoir le temps de se revoir et de travailler ensemble. J’étais extrêmement curieuse de voir comment cette envie allait pouvoir se matérialiser lors du processus. J’aimais beaucoup le travail raffiné et drôle de Nelisiwe, à l’opposé de l’image de Markus Öhrn. Son travail était en total contraste avec ce que je venais de traverser dans la première pièce de la série. HOMINAL / ÖHRN cristallise des enjeux de pouvoir, j’avais réellement l’impression d’être Galatée entre les mains de Pygmalion… Avec Nelisiwe, il y avait l’envie de changer de protocole de rencontre et de déplacer cette recherche vers de nouveaux axes de travail.

Pouvez-vous revenir sur le processus de création avec Nelisiwe ?

J’ai décidé de réitérer avec Nelisiwe Xaba ce que j’avais fait avec Markus Öhrn : je suis d’abord partie chez lui à la campagne en Suède. C’était important pour moi de rentrer dans son intimité, de voir son lieu de vie, d’être à l’intérieur de son espace domestique, de manger avec lui, de faire des choses de son quotidien, d’avoir le même rythme de vie que lui, de comprendre qui il était et comment il fonctionnait, même si cette experience reste très courte et du coup superficielle. Ce temps-là était pour moi primordial. Je crois que c’est nécessaire pour moi d’apprivoiser l’autre avant de commencer à penser à une quelconque forme ou d’amorcer une recherche dans un studio stérile. J’ai fait la même démarche avec Nelisiwe, je suis allée chez elle à Johannesburg avec pour seul objectif de faire des choses ensemble : nous avons visité des expositions, nous sommes allées voir des spectacles au Dance Umbrella Festival, nous allions au marché, on s’est découvert une passion commune pour les matières textiles, etc. Je me souviens qu’on discutait beaucoup lors de nos trajets en voiture, de nos goûts, de nos envies, etc. C’était vraiment retrouver une sensation, de se reconnecter après toutes ces années à s’être croisées lors de festivals.

Comment s’est organisée l’écriture chorégraphique de la pièce ? 

Contrairement à HOMINAL / ÖHRN où je m’étais entièrement mise au service de Markus Öhrn, je souhaitais à nouveau m’engager dans le processus de travail. Nous avons passé énormément de temps avec Nelisiwe à discuter et partager des idées. Je crois que nous avions toutes les deux peur de chorégraphier et nous avons évité le sujet en mettant toute notre attention dans la création de la scénographie et de l’espace dans lequel nous étions supposées danser. Donc finalement, nos déplacements et la chorégraphie se sont en quelque sorte imposés à nous à travers la scénographie. D’ailleurs dans le spectacle, il n’y a aucun moment où l’on se touche : nous déroulons des pelotes de laine au sol comme une grande toile d’araignée sous laquelle on se glisse et qui devient une sorte de costume… On aimait aussi beaucoup l’idée d’apparaitre et disparaître à l’intérieur d’un labyrinthe de tissus. Nelisiwe a pensé au tissu wax que l’on trouve partout dans les marchés à Johannesburg. Ce tissu a une longue histoire culturelle : il est passé d’une culture à une autre au gré de la colonisation et faisait écho au processus chorégraphique… Nous avions toutes les deux envie et besoin de « danser » mais aucune de nous n’avait envie de prendre en charge cette partie. Et puis, chorégraphier pour dire quoi ? On trouvait beaucoup plus intéressant de prendre une chorégraphie déjà existante et de faire vivre l’expérience de l’apprentissage en simultané. Dans la continuité de vouloir se se défaire d’une quelconque emprise sur la chorégraphie nous avons donc décidé de travailler à partir de tutoriels de danses pop et mainstream trouvés sur internet : des danses pop américaines, africaines, coréennes, du voguing, etc.

Toute les dates de la tournée d’HOMINAL / XABA ont été annulées/reportées à cause de l’état d’urgence sanitaire. Ces annulations et reports ont-ils ou vont-ils engendrer sur le long terme des conséquences sur la durée de vie de la pièce ?

La pièce a en effet à peine eu le temps de vivre qu’elle s’est arrêtée nette. Elle devait tourner ce printemps en Belgique, en France, en Italie, puis partir en Afrique du Sud… Certaines représentations ont été reportées la saison prochaine ou à des dates indéterminées. Certaines cessions ne vont pas être payées, d’autres oui, certains théâtres se sont engagés quant à eux à prendre en charge les frais avancés comme des billets d’avions de Nelisiwe. C’est aussi très compliqué car Nelisiwe n’habite pas en Europe et que par extension les circulations d’un continent à l’autre vont être désormais plus compliquées à envisager les mois à venir. Il y a donc beaucoup d’incertitude quant au futur de cette pièce car il y a beaucoup trop d’inconnues pour que les théâtres s’engagent à programmer à nouveau HOMINAL / XABA la saison prochaine. Et puis il ne faut pas oublier que les agendas se préparent un ou deux ans en amont, aussi bien pour les théâtres que pour les artistes. Et je ne sais pas si les théâtres seront intéressés de programmer la pièce dans 1 ou 2 ans car le système de création et de diffusion est régi par une demande constante de nouveauté. C’est extrêmement compliqué de faire vivre un projet, j’ai parfois l’impression qu’il se périme aussitôt que le suivant arrive.

Hominal / Xaba, concept Marie-Caroline Hominal. Chorégraphie performance et scénographie Marie-Caroline Hominal et Nelisiwe Xaba. Musique Vincent Bertholet. Photo © Isabelle Meister