Photo Didier Crasnault

Halory Goerger « J’avais une envie terrible de mettre en scène les limites de notre engagement. »

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 27 avril 2015

Produit par l’Amicale de Production, Corps diplomatique est la nouvelle création d’Halory Goerger. Auteur, metteur en scène et performeur, Halory Goerger est l’un des membres fondateurs de cette coopérative devenue depuis quelques saisons un vivier de projets tous encensés aussi bien par le public que la critique. Enfermés dans une navette spatiale à la dérive, cinq humains lambda ont pour mission de créer un spectacle qui sera, un jour peut être, joué devant une hypothétique forme d’intelligence. Ce projet aussi fou qu’ambitieux est l’occasion d’explorer un genre rarement utiliser au théâtre : celui de la science-fiction. Halory Goerger a accepter de répondre à nos questions.

Corps diplomatique peut-il se voir comme un écho à votre précédente création Germinal ?

Davantage comme un miroir : dans Germinal, on a affaire à la construction d’une communauté, à la constitution en tant que sujet (et en tant qu’acteur) de chacun de ses interprètes : c’est un mouvement ascendant. Dans Corps Diplomatique, à l’inverse, le groupe se délite, leur humanité s’effrite, leur langage se corrompt, leurs valeurs s’effondrent, c’est le mouvement inverse.

Qu’est-ce qui vous a motivé dans la création de ce nouveau spectacle ?

Je sortais d’une grosse pièce de groupe, il aurait été malin de faire un petit solo pour lutter contre les attentes et être dans le confort… J’ai pas pu m’empêcher de monter un nouveau projet complexe, avec une équipe constituée très majoritairement de nouveaux collaborateurs, au niveau technique, en production, comme au niveau des comédiens. Et ça a été une source d’énergie inépuisable de devoir découvrir leur fonctionnement, leur langue, leurs idées. Et les relations qui en sont nées ont été très chouettes.

Quelles ont étés vos lignes de recherches pendant l’écriture de la pièce ?

Ce qui me motivait, c’était l’idée d’être un dinosaure de l’art, de faire exactement l’inverse de ce qu’il faudrait. Premièrement, monter une pièce de théâtre au travers de propositions artistiques, de conférences, de rencontres et de discussions. Très frontale, très langagière et somme toute, pas si bizarre. Alors que tout le monde semble bien naturellement vouloir des pièces qui remettent en question ce dispositif. Ce dispositif est – pour moi – encore objet de curiosité. J’ai en somme fait le chemin à l’envers : j’ai commencé par déconstruire, et maintenant je m’y intéresse sincèrement. Deuxièmement : une pièce à décor, au moment où tout fout le camp côté budget de la culture.

Comment se sont déroulé les répétitions ?

J’ai fait participer les interprètes assez tôt dans le processus. Pendant trois courtes résidences de recherche, hors plateau, je leur ai inlassablement « raconté » le spectacle en faisant rebondir la balle sur eux. Ils ont à ce moment là donné des idées, des références, etc. Pour la phase de création, au plateau, je suis arrivé avec un plan très détaillé et quelques scènes. Je leur ai livré chaque matin ce que j’écrivais chaque soir (ou au plateau avec eux) et nous répétions chaque après-midi . C’était très stimulant et assez rapide, ça me permettait de voir jour après jour le texte se façonner à leur image.

À mes yeux, Corps diplomatique est un très grand spectacle politique, je me trompe ?

La pièce a été écrite à un moment où je constatais avec désespoir qu’en dépit des efforts insensés produits par les générations précédentes, on devait encore se coltiner des problématiques aussi pesantes que l’intégrisme religieux, l’homophobie, l’inégalité homme-femme etc. Je pensais que ma génération serait la dernière à grandir dans ce climat de vigilance politique permanente. J’avais une envie terrible de mettre en scène les limites de notre engagement, mais le climat général nous force à remettre le couvert et c’est usant. C’est comme si l’état du monde nous forçait à faire un art de réaction, un art engagé ou en tout cas structuré moralement, alors même qu’on pensait être libéré de nos obligations dans ce domaine grâce aux avant-gardes des années 1910 à 1980. J’ai eu envie de mettre en scène une utopie biaisée, un projet mal engagé, d’une part parce que c’est plus drôle à étudier, et d’autre part, parce que je voulais finir sur le constat un peu triste que l’art même pourrait mourir, d’où cette fin ambigüe qui met en scène un groupe qui se restructure autour d’une pensée rance et simpliste.

Conception et mise en scène Halory Goerger. Interprétation et collaboration artistique Albane Aubry, Mélanie Bestel, Arnaud Boulogne, Dominique Gilliot, Halory Goerger. Photo Didier Crasnault.