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Fanni Futterknecht, Across the White

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 21 mars 2017

Plasticienne de formation, Fanni Futterknecht explore depuis plusieurs années les zones de friction entre arts visuels, performance et chorégraphie. À travers sa pièce Across the White, présentée à la Ménagerie de Verre, elle interroge la puissance métaphorique du blanc, la relation entre corps et espace, et les résonances symboliques de l’opéra chinois. Rencontre avec une artiste transdisciplinaire qui pense l’image en mouvement et la narration comme un terrain d’expérimentation plastique.

Tu es au départ plasticienne. Quels sont tes points d’attache avec le médium chorégraphique ?

Le médium chorégraphique a toujours été présent dans mon travail plastique, dès mes années aux Beaux-Arts, oùj’ai commencé à explorer la mise en scène photographique, puis la vidéo et enfin la performance. Il a pris une forme plus affirmée lors de ma formation au programme ESSAIS du CNDC d’Angers en 2008-2009. Je conçois l’installation comme un espace scénique : un lieu où les objets, les images, les corps et les spectateurs sont engagés dans des trajectoires, des temporalités, des dynamiques. Mon travail est souvent régi par une forme de dramaturgie spatiale : les objets plastiques deviennent des partenaires de jeu, les images se performent, et la scène, comme l’espace d’exposition, se pense comme un lieu d’action. Aujourd’hui, une question récurrente s’impose : qui est le protagoniste ? L’oeuvre ? Le performeur ? Le visiteur ? Cette zone de flou m’intéresse, car elle déplace les centres de gravitation de la représentation.

Across the White est à la fois une performance, une installation et une vidéo. Quels sont les enjeux de démultiplier les médiums pour ce projet en particulier ?

Ce qui m’intéresse, c’est le passage d’un langage à un autre. Across the White a d’abord été conçue comme une performance, puis a été déclinée en vidéo et en installation. Je cherche à comprendre comment une idée, un motif ou une situation peut se traduire plastiquement, corporellement, visuellement et acoustiquement dans des dispositifs différents. Chaque médium offre une façon singulière de vivre l’expérience de la représentation. Dans une performance live, le rapport à la présence est central ; dans une vidéo, la frontalité, la composition de l’image, le montage changent la façon dont le spectateur est interpellé. Dans une installation, le corps du visiteur devient partie prenante de l’espace narratif. Les protagonistes de mes pièces s’adressent à ce public changeant, d’une manière toujours différente, provoquant des niveaux variés de performativité. La narration dans Across the White ne se donne pas comme linéaire, mais comme un champ d’interactions entre objets, mouvements, sons et regard. L’image et la parole se construisent de façon parallèle, parfois même dissonante, et c’est cette tension qui me passionne.

Présenter Across the White dans l’écrin immaculé de la Ménagerie de Verre crée un écho fort avec la thématique de la pièce. Quelles ont été tes intentions en travaillant à partir de la couleur blanche ?

La couleur blanche est devenue un point d’entrée symbolique, plastique et dramaturgique. Je l’ai envisagée non pas comme absence de couleur, mais comme un état potentiel, un espace d’attente ou de suspens. Ce rapport au vide m’est apparu évident lors d’un long séjour à Shanghai, où j’ai mené une recherche autour des archétypes et codifications de l’opéra chinois. Dans cette esthétique, le vide n’est pas un manque, mais une surface d’accueil pour le sens. J’y ai vu un écho à l’espace du white cube occidental : un lieu de neutralité apparente, mais en réalité hautement codifié. Dans Across the White, le blanc devient le terrain de la confrontation entre différentes forces : symbolique, plastique, narrative. Il est là pour être rempli, déplacé, perturbé par les objets, les gestes et les sons.

Dans Across the White, tu fais émerger des figures colorés. Comment ces présences stylisées trouvent-elles leur place dans cet environnement abstrait ?

Je me suis inspirée des caractères-types de l’opéra chinois, de leurs gestes codifiés, de leur stylisation poussée à l’extrême. Mais je les ai intégrés dans une écriture contemporaine, en déplaçant les références et en les confrontant à ma propre culture visuelle. Il ne s’agit pas de représenter fidèlement un répertoire, mais d’entrer en dialogue avec ses codes. Chaque personnage d’Across the White porte en lui cette dualité : entre figuration et abstraction, entre tradition et réinvention. La performance active des stratégies de narration visuelle, gestuelle, plastique. Elle reprend certains symboles ou objets de désir, mais les déplace dans un jeu où le décor devient langage, et le personnage une forme en mouvement.

Dans Across the White, le mouvement et l’espace semblent co-émerger ensemble. Comment conçois-tu cette écriture conjointe de la matière et du geste ?

Je parle souvent de « sculpture élargie » ou d’« environnement performatif » plutôt que de scénographie. Dans Across the White, l’écriture du mouvement et la construction de l’espace sont indissociables. Les objets déterminent les parcours, les dynamiques, et réciproquement. Mes sculptures sont pensées dès le départ comme des outils chorégraphiques : elles ont un potentiel d’action, une matière à manipuler, un poids qui engage le corps. Le mouvement ne vient pas illustrer la sculpture, il en émane. Je tente d’animer les objets de l’intérieur, comme s’ils étaient eux-mêmes porteurs de gestes, de voix ou de récits.Ce processus prend du temps, car il implique un aller-retour constant entre matière, espace et action. Mais c’est ce qui me permet d’imaginer des images qui ne soient pas figées, mais en perpétuelle transformation.

Vu à la Ménagerie de Verre. Photo Fanni Futterknecht.