Propos recueillis par François Maurisse
Publié le 17 juillet 2017
Pour certains, l’été est synonyme de repos, pour d’autres, il bat au rythme des festivals. Quoi qu’il en soit, cette période constitue souvent un moment privilégié pour prendre du recul, faire le point sur la saison écoulée et préparer celle qui s’annonce. Nous avons choisi de mettre à profit cette respiration estivale pour aller à la rencontre des artistes qui font vibrer le spectacle vivant. Artistes confirmés ou talents émergents, ils et elles ont accepté de se raconter à travers une série de portraits en questions-réponses. Cette semaine, rencontre avec César Vayssié.
Quel est ton tout premier souvenir de danse ?
Si je remonte à l’enfance, mon premier souvenir se passe au foyer des jeunes de Neuvic, en Corrèze. C’est une histoire un peu floue, liée à une soupe trop salée, à un club de théâtre auquel je participais. J’avais 5 ans. Je ne me souviens pas bien des détails, mais c’est là que ça commence. Ensuite, j’ai des souvenirs plus nets, plus construits, comme celui du Grand Magic Circus de Jérôme Savary à la fin des années 70. Et puis, un vrai choc : « Jours Étranges » de Dominique Bagouet, que j’ai vu en 1992 ou 1993. Là, quelque chose s’est imprimé durablement.
Quels sont les spectacles qui t’ont le plus marqué en tant que spectateur ?
« Le K de E » de Xavier Marchand et Olivia Grandville, en 1993, au festival Nouvelles Scènes de Dijon. Un moment suspendu, un peu fou. Puis toute cette période autour de « Gibiers du temps » de Didier-Georges Gabily, et surtout l’été 1996, juste avant sa mort. Je traînais autour du groupe T’chang’G pendant leurs répétitions à Nanterre. Ce n’était pourtant pas du tout mon esthétique, mais j’étais là, curieux. Plus tard, « The Show Must Go On » de Jérôme Bel m’a marqué par sa simplicité désarmante. « Con forts fleuve » de Boris Charmatz a aussi laissé une trace forte. Et puis un souvenir peut-être plus intense encore, « Régi » du même Charmatz, en 2006. J’ai profondément détesté ce spectacle, mais cette haine m’a aussi marqué. J’ai détesté… détester. Et ça m’a appris quelque chose.
Parmi les projets auxquels tu as participé, quels souvenirs restent les plus intenses ?
La rencontre et le travail avec Odile Duboc et Françoise Michel, grâce à Éric Colliard, entre 1992 et 1995. Le tournage de “Elvis De Médicis”, à la Villa Médicis, co-écrit avec Yves Pagès, en 1997. Une parenthèse romaine, douce et décalée. Ensuite, le film Les Disparates, que j’ai réalisé d’après la chorégraphie de Boris Charmatz et Dimitri Chamblas. Tournage en 35 mm à Dieppe, en 1999, avec Boris. Bocal, l’école nomade de Boris Charmatz, période hors norme, notamment dans les Alpes, sous trois mètres de neige, où l’on filmait de nuit « Tarkos Training ». La création de « Big Bang » avec Philippe Quesne, à Berlin en 2011, puis Avignon, et une année de tournée très dense. Et enfin, le tournage de « The Sweetest Choice » dans la Death Valley avec François Chaignaud, en mars 2015. Des expériences extrêmes, toujours collectives, toujours imprévisibles.
Quelle rencontre artistique a été décisive dans ton parcours ?
La rencontre avec l’équipe du Consortium de Dijon : Éric Colliard, Franck Gautherot et Xavier Douroux. Xavier vient de nous quitter, et c’est une perte immense. Ensuite, la rencontre avec Boris Charmatz en 1994, qui a profondément modifié ma manière de penser la danse. Plus tard, celle avec Philippe Quesne, qui a ouvert une dynamique de collaboration durable. Ce travail ensemble m’a permis de me recentrer sur mes propres projets et de lancer l’aventure UFE (UNFILMÉVÈNEMENT). Yves-Noël Genod est aussi dans mon champ de vision depuis longtemps. Sa présence, même discrète, est importante pour moi.
Selon toi, quels sont les enjeux du théâtre ou de la danse aujourd’hui ?
Produire l’exemple vivant d’un passage à l’acte, d’une décision, qu’elle soit individuelle ou collective. Trouver une forme poétique inédite pour montrer cette décision, la rendre visible, sensible. Et que cette forme puisse en susciter d’autres, ailleurs. La somme de ces exemples formera peut-être, à terme, l’esquisse d’une existence plus vivable. Cela n’exclut rien : ni le rire, ni les larmes, ni le grotesque, ni même la virtuosité. Ce sont des matériaux à notre disposition, pas des buts en soi.
Quel rôle penses-tu qu’un artiste devrait jouer dans la société ?
Aucun. Pas plus, pas moins que toute autre personne. J’aurais aimé croire qu’un artiste pourrait rendre la société plus juste, moins absurde, moins débile, mais ce n’est pas le cas. Il reste peut-être l’espoir d’incarner une forme d’honnêteté, une manière plus franche d’être au monde. Et parfois, certaines prises de conscience surgissent de l’absurde, alors je garde un certain optimisme, malgré tout. J’ai envie d’un art qui « déconne », dans tous les sens du terme. Qui fait des détours, qui ne se tient pas droit, qui s’amuse à sortir de ses gonds. Juste pour voir comment c’est perçu. Ma prochaine création, EXEMPLE, ira dans ce sens. Une tentative d’injecter du trouble dans ce qu’on croit maîtriser.
Photo Marc Dommage.
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