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Portraits d’été Caty Olive

Propos recueillis par François Maurisse

Publié le 30 juillet 2017

Pour certains, l’été est synonyme de repos, pour d’autres, il bat au rythme des festivals. Quoi qu’il en soit, cette période constitue souvent un moment privilégié pour prendre du recul, faire le point sur la saison écoulée et préparer celle qui s’annonce. Nous avons choisi de mettre à profit cette respiration estivale pour aller à la rencontre des artistes qui font vibrer le spectacle vivant. Artistes confirmés ou talents émergents, ils et elles ont accepté de se raconter à travers une série de portraits en questions-réponses. Cette semaine, rencontre avec Caty Olive.

Quel est ton premier souvenir de spectacle ?

Les Mélodies du malheur du professeur Brillantini, de Jérôme Savary (1981). Je l’ai vu en famille, à la sortie de l’enfance, et c’est sans doute le plus tenace de mes souvenirs de spectatrice. Ce souvenir est habité par l’image bouleversante d’un couple de sœurs siamoises, empreinte d’une infinie tristesse.

Quels spectacles t’ont le plus marquée en tant que spectatrice ?

Parce qu’il fait pour moi figure de manifeste, je dirais Duo de William Forsythe (1996). Parce que j’y ai compris, à travers Jérôme Bel de Jérôme Bel (1995), qu’une émotion pouvait être purement intellectuelle et pourtant intensément excitante. Parce que j’y ai vécu une véritable expérience sonore, le concert de My Bloody Valentine au Roseland Ballroom à New York m’a littéralement traversée. Parce que j’y ai découvert une radicalité saisissante, Une femme normale à en mourir de Jan Fabre avec Els Deceukelier (1995) m’a marquée profondément. Et pour la jubilation de la vitesse et de la musicalité, Le Couronnement de Poppée d’Anne Teresa De Keersmaeker (1988).

Peux-tu partager certains souvenirs importants parmi les projets auxquels tu as participé ?

Chacun de ces souvenirs est important pour une raison différente. Je me souviens très précisément de la liberté artistique et relationnelle qui a marqué la création de Poesia y selvajeria en 1997 à Lisbonne, avec Vera Mantero et l’équipe que nous formions. Quatre ans plus tard, je participe en France à et pourquoi pas : bodymakers, falbalas, bazaar, etc, etc… ? (2001), une pièce de Christian Rizzo. J’y vis une belle dynamique de groupe et nous expérimentons de multiples formes scéniques, que nous prenons le temps d’observer longuement. Dix ans plus tard, avec Le vrai spectacle (2011) de Joris Lacoste, je fais une expérience intellectuellement très stimulante. Plus récemment, Études de fluides, performance plastique que j’ai créée à Pau, m’a permis d’établir un rapport complice et artistiquement fécond avec l’équipe d’accueil. Enfin, lors de la création de d’après une histoire vraie (2013) de Christian Rizzo, le ressenti d’une adhésion immédiate, sincère, presque euphorique des spectateurs, a été un moment de grâce. Sans doute la première fois que je ressentais cela à ce point.

Quelle collaboration artistique a le plus compté pour toi ?

Ma collaboration avec Christian Rizzo, qui dure depuis dix-huit ans, est sans conteste la plus importante. Mais ma toute première collaboration artistique fut également décisive. C’était avec Martine Pisani. Je sortais de l’école, je créais ma première scénographie lumineuse sans vraiment en avoir conscience, avec une légèreté qui me surprend encore aujourd’hui. Et je crois que certains fondements de ma pratique se sont posés là.

Peux-tu donner un apercu de ton panthéon personnel ?

Même si je trouve toujours un peu exagéré de ne citer qu’une seule œuvre, je dirais Jérôme Bel de Jérôme Bel, découverte au Théâtre de la Bastille en 1995. Une claque.

Quels sont, selon toi, les enjeux de la danse aujourd’hui ?

Pour moi, l’enjeu de l’art vivant aujourd’hui est de créer un espace de valeurs plus riche que celui des produits disponibles et des formats convenus. Il s’agit d’inventer, de se réinventer, et de remettre en question des méthodes de production devenues trop automatiques, trop appauvries. Le paysage chorégraphique, lui aussi, compte son lot de produits formatés. Il faudrait, je crois, avoir le courage de financer le temps d’inventer. Car sans ce temps-là, il est difficile de faire émerger de vraies formes nouvelles.

Quel rôle doit avoir un artiste dans la société aujourd’hui ?

Je crois que l’écriture artistique d’un créateur est une forme structurée de sa sensibilité, mise à disposition du monde. Elle nous invite, de manière explicite ou plus discrète, à ouvrir nos perceptions, à déplacer notre manière de comprendre. Les artistes ont peut-être la capacité, et parfois la prétention, de renouveler nos outils d’écoute, d’observation, de compréhension. Et, lorsqu’on les saisit, ces outils peuvent nous permettre, nous aussi, d’être « des yeux qui écoutent ».

Photo Arthur Pequin