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Andreas Merk « Être scandaleux et repousser les limites de l’acceptable »

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 9 juillet 2017

Pause estivale pour certains, tournée des festivals pour d’autres, l’été est souvent l’occasion de prendre du recul, de faire le bilan de la saison passée, mais également d’organiser celle à venir. Ce temps de latence, nous avons décidé de le mettre à profit en publiant tout l’été une série de portraits d’artistes. Figure établie ou émergente du spectacle vivant, chacune de ces personnalités s’est prêtée au jeu des questions réponses. Ici le danseur et chorégraphe Andreas Merk.

Né en Allemagne, Andreas Merk a étudié la danse et le théâtre à Frankfurt (Hochschule für Musik und Darstellende Kunst), Bruxelles (P.A.R.T.S.) et en Suisse (Scuola Teatro Dimitri). Il a collaboré avec divers metteurs en scène et chorégraphes parmi lesquels Richard Siegel, Nicolas Steman, Falk Richter ou encore Tania Carvalho. Il s’est également largement illustré ses dernières années dans les spectacles de la chorégraphe capverdienne Marlene Monteiro Freitas : Paraíso – colecção privada (2012), De Marfim e carne – as estátuas também sofrem (2014), le duo Jaguar (2015) ainsi que la nouvelle production Bacchantes – Prélude pour une purge (2017) qui sera présentée au Festival d’Automne à Paris en décembre prochain.

Quel est votre premier souvenir de danse ?

Mon premier souvenir prend forme dans une histoire qu’on m’a tellement de fois racontée que je ne peux qu’accepter sa véracité. C’était la fête de mon baptême, organisée par mes parents. Ma famille et des amis proches ont dansé jusqu’au lever du soleil sur de la musique gitane jouée par des musiciens. C’est probablement pour ça que je suis devenu danseur. Mon second souvenir remonte à quand j’avais environ cinq ou six ans. Mes parents avaient organisé une fête dans leur jardin un soir d’été. Il y avait également de la musique jouée en live par des musiciens. J’ai dansé toute la soirée, apparement jusqu’à quatre heures du matin. J’ai vraiment apprécié l’effet sur les gens qui m’entouraient, qui applaudissaient et qui souriaient. C’était exaltant, ça m’a donné un forte estime de moi même. Selon les invités, c’est probablement pour ça que je suis devenu danseur. Je ne peux pas les contredire, alors j’accepte leur logique.

Quels spectacles vous ont le plus marqué en tant que spectateur ?

Les premiers spectacles sont toujours intenses car tout se qui est nouveau est excitant. Il y a néanmoins certain qui sortent du lot : Endless House (1999) de William Forsythe. Je peux encore le ressentir dans mon corps. C’était peu de temps après avoir commencé à étudier à Francfort. Je me souviens également d’avoir vu le spectacle In real time (2000) d’Anne Teresa de Keersmaeker avec le collectif de théâtre Tg STAN alors que j’avais la jambe cassée. La combinaison d’acteurs, de danseurs et de musiciens ainsi que leurs interactions sur le plateau m’ont motivé à ne pas écouter les conseils des médecins qui me conseillaient de changer de métier.

Quels sont vos souvenirs les plus intenses en tant qu’interprète ?

J’ai remplacé une fois un ami dans une mise en scène de Faust I + II par Nicolas Stemann au Théâtre Thalia à Hambourg. Ma partition était principalement composée de mouvements mais il y avait également un peu de texte et de dialogue. Je n’ai pas eu de répétition générale ni de répétition avec les acteurs. J’ai appris le rôle d’après une vidéo et des notes quelques heures avant le spectacle. Les huit heures de représentation furent longues mais se sont bien passées, j’ai fini avec un énorme mal de tête.

Je me souviens également d’une représentation du spectacle D’ivoire et chair – Les statues souffrent aussi de Marlene Monteiro Freitas à Montréal. Pendant la performance, j’ai une séquence où j’improvise avec un spectateur au milieu du public. Je suis tombé dans une rangée mais quelqu’un m’a aussitôt rattrapé. C’était un homme, d’environ cinquante ans, barbu et habillé simplement. J’ai continué à improviser accroché à sa main. La peinture corporelle que j’avais sur la peau, ma salive et ma transpiration ne l’ont pas dérangé. Je suis monté sur ses genoux et je me suis assis sur lui comme un enfant. J’ai pris sa main et j’ai sucé son pouce. Il a ensuite commencé à me caresser la tête et à me cajoler comme pour m’apaiser. Ça n’a pas changé ma performance mais ça à déclenché quelque chose à l’intérieur de moi, ça m’a touché.

Quelle rencontre artistique a été la plus importante dans votre parcours ?

Sans aucune hésitation ou comparaison possible, avec gratitude, appréciation, joie et dévouement : Marlene Monteiro Freitas.

Quelles oeuvres chorégraphiques composent votre panthéon personnel ?

Il y a des spectacles, ainsi que les interprètes qui ont rendu ces performances mémorables : Drumming (1998) d’Anne Teresa de Keersmaeker, avec notamment Martin Kilvády et Cynthia Loemij. Hamlet (1998) mise en scène par Eimuntas Nekrosius. Marlene Monteiro Freitas dans son propre solo Guintche (2010). Yasmeen Godder et Eran Shanny dans Love Fire (2009) de Yasmeen Godder. Douglas Letheren dans Mamootot (2003) d’Ohad Naharin. Lorenzo de Angelis dans sa pièce Haltérophile (2016), tout simplement plaisant. Johannes Dullin dans tout ce qu’il fait. La trilogie de Sarah Kane Gesäubert, Gier et 4.48 Psychose mise en scène par Johan Simons, avec notamment les comédiens Thomas Schmauser et Sandra Hüller.

Quels sont les enjeux de la danse aujourd’hui ?

Les relations entre chorégraphie et dramaturgie sont aujourd’hui mis en tension par tous les artistes. Tant de choses ont été faites, aussi bien des réussites que des échecs. Anti-danse, non-danse, danse conceptuelle… L’idée n’est pas de concourir à la recherche de quelque chose de nouveau mais d’être assez ouvert afin d’avoir l’intuition nécessaire pour être en relation avec le monde actuel.

Quel rôle doit avoir un artiste dans la société aujourd’hui ?

Un rôle scandaleux ! L’artiste ne devrait pas avoir besoin de passeport ni avoir l’obligation d’expliquer quoi que ce soit. Repousser les limites de l’acceptable. Proposer d’autres tendances, par courage ou par ennui de la norme. Proposer des actions scandaleuses qui peuvent raviver chez le spectateur quelque chose d’oublié ou de caché profondément à l’intérieur de lui. Le rôle d’un artiste n’est-il pas si différent que celui d’un boulanger ou d’un autre artisan ? Tout le monde peut travailler de manière créative ! Un ami a dit un jour : « soyez un artiste dans n’importe quelle profession, ce sentiment est formidable. » Je pense que chaque artiste, qu’il travaille devant un écran, une toile, une feuille, sur scène, dans un musée ou dans la nature, peut mettre en exercice ce précepte.

Photo Jaguar © Uupi Tirronen / Zodiak