Photo Jorge de la Torre Castro 2017 arteplastiko

Plastique Danse Flore : Performer le paysage

Par François Maurisse

Publié le 12 octobre 2017

Le festival Plastique Danse Flore a fêté cette année, les 23 et 24 septembre dernier, son 11ème anniversaire, toujours au coeur du Potager du Roi de Versailles. Dans le réseau « Nos lieux communs », ce festival, en coopération avec d’autres associations françaises créant et diffusant des pièces et performances dans des espaces atypiques (Extension Sauvage à Combourg, Entre cour et jardins à Barbirey sur Ouche près de Dijon…) permet à des compagnies de créer ou d’adapter leurs pièces dans les divers paysages du jardin. Retravaillées in situ pour s’adapter aux contraintes techniques ou météorologiques, les formes présentées prennent souvent une toute nouvelle tournure, bénéficiant du charme de ce contexte.

César Vayssié

La grosse Mercedes de César Vayssié passe un grand portail séparant le Potager des jardins du château de Versailles. Entre une muraille et un grand bassin, les spectateurs se rassemblent sous les arbres, là où habituellement se pressent les joggers et les baladins. Au son d’une playlist pop, César Vayssié et sa partenaire de la journée Ola Maciejewska se déhanchent, s’épuisant en des mouvements dysfonctionnels et hasardeux. Vêtue d’un gros sweat-shirt rose fluo, elle s’échappe soudain en courant, loin, de l’autre côté du grand bassin d’eau calme. À plus de cent mètres des spectateurs immobiles, elle gesticule pour rester visible, réduite à un point rose dans le vert luxuriant de l’environnement. Quand elle revient rejoindre son camarade, ils entreprennent tous les deux une série de positions d’étreintes et de luttes. Cette performance, Coprouduction, titille l’horizon d’attente des spectateurs : si les morceaux de musiques sont coupés franchement avant leur fin, la dramaturgie est fragmentaire, éclatée, la chorégraphie reste bien souvent énigmatique et les interactions hermétiques.

Gaëlle Bourges & Gwendoline Robin

La performance suivante débute par une description topographique du massif du Mont Ventoux dans le Vaucluse. Incidence 1327, c’est le fruit de la collaboration entre la chorégraphe Gaëlle Bourges, travaillant l’histoire des représentations de manière sensible et charnelle et Gwendoline Robin, plasticienne et performeuse belge, produisant, à l’aide de réactions chimiques et physiques, de multiples transformations sur les plateaux. Le texte enregistré s’attarde à raconter la vie du poète humaniste du trecento Pétrarque, qui, lors d’une ascension du Mont Ventoux connaît une sorte de révélation sublime et mystique, et invente, selon l’historiographie, la notion de paysage. Le récit est tissé de digressions, de fils historiques tirés et noués entre eux et la fiction et l’histoire véritable se mèlent. Francesco Pétrarque devient Françoise Pétrarque, et le pronom « elle » lui est associé. Alors que le discours s’intensifie, insiste sur la relation entre Françoise et Laure son amante, les deux performeuses, appliquées et précises réalisent une série de tâches, faisant connaître à l’aide d’eau bouillante ou gelée par de la neige carbonique différents états à la matières, produisant des effets spectaculaires, sonores, étranges et fascinants. Vaporeuse et fluide, la performance se termine dans un brouillard paisible, alors que les deux femmes s’éloignent côte à côte.

Antonija Livingstone

Les spectateurs sont ensuite accueillis par Antonija Livingstone à l’entrée du Balbi, jardin à l’anglaise attenant au Potager, au centre duquel s’étend, paisible, un petit lac. Nous sommes invités à la suivre, petit groupe par petit groupe, pour nous perdre dans le parc et faire la rencontre des multiples partenaires qui l’accompagnent, mutiques et lents, dans la performance. Parmis eux, Jennifer Lacey accompagnée de ces deux petits chihuahuas, Sorour Darabi traînant derrière lui une pièce de tissu décorée de schémas anatomiques, On da Hill, jeune adolescent chevelu effectuant de larges ronds de bras dans une combinaison dorée, keyon gaskin juché sur des talons aiguilles de douze centimètres, la plasticienne Dominique Petrin ou le danseur Bryan Campbell, vêtu d’une combinaison moulante rappelant celles des patineurs. Les spectateurs sont incités à continuer la déambulation de la petite troupe bigarrée, jusqu’à ce qu’ils s’installent sur une petite scène de bois et enchaînent les solos, chacun leur tour. On da Hill s’épuise dans une danse joyeuse, Bryan Campbell lit des poèmes ironiques et outranciers, Jennifer Lacey commente des coupures de presse. Plus tard, dans un autre espace encore, celui du Grand Carré du Potager où s’ouvrent les perspectives, Antonija Livingstone, à la suite d’un concert polyphonique de cloches suisses, déverse un tas de fumier, le recouvre d’or, tandis que Sorour Darabi passe et repasse dans une voiturette de jardinier et que Jennifer Lacey dirige au loin une chorégraphie effectuée sur des petits trampolines. Hors du temps, lente, joyeuse et singulière, cette performance, & Trembling ensemble : A method for an Applied polyphony produit des espaces à géométries variables, désoriente le spectateur et lui permet l’exploration attentive des choses du jardin, arpentant les plates-bandes, les fourrés et les clairières.

Permettant de découvrir ou redécouvrir des pièces et des spectacles à tailles humaines, les événements comme Plastique Danse Flore sont inestimables tant la cadre est riche, inspirant pour les artistes, et déplace l’intérêt du spectateur, renouvellant ses approches et ses points de vue.

Vu au festival Plastique Danse Flore au Potager du Roi de Versailles. Photo Jorge de la Torre Castro.