Photo © Romain Etienne

Moto-cross, Maud le Pladec

Par Céline Gauthier

Publié le 14 février 2017

Invitée sur la scène des Subsistances à Lyon, dans le cadre du festival Le Moi de la Danse, Maud le Pladec y dévoile pour la première fois Moto-cross. Un solo cathartique et survolté avec lequel elle poursuit l’exploration d’une écriture protéiforme, musicale et corporelle : la pièce est le second volet d’un nouveau cycle entamé en 2015 avec le solo Hunted.

Elle nous accueille juchée sur une estrade quadrifrontale qui surplombe le public. Fièrement campée, parée d’une rutilante combinaison de moto-cross, elle nous toise avec assurance. Autour d’elle résonnent de sourdes infrabasses ; le visage dissimulé derrière un casque teinté, les mains croisées dans le dos, elle frémit et bat la cadence d’une lente pulsation, au creux des omoplates. Seule en scène elle sait pourtant s’entourer ; face à l’estrade, le DJ Julien Tiné accorde à ses gestes son clavier. La danse frénétique se mâtine d’attitudes empruntées au funk et au boogy : sous ses gestes angulaires et heurtés affleure l’imaginaire des sports mécaniques et des nuits enfiévrées, là où la piste de danse rattrape celle d’asphalte. Étendue sur le dos elle égrène des souvenirs d’enfance encore vifs dont chaque geste est le leitmotiv. La coque rembourrée du casque dissimule sa bouche et étouffe le son de sa voix : seules ses mains en perpétuel mouvement témoignent de l’agitation qui l’anime. La combinaison de moto-cross contraint autant qu’elle libère l’amplitude de ses gestes : elle se déhanche et se contorsionne pour dégrafer une à une les glissières de son pantalon et prend appui sur le sommet de son casque pour trouver l’équilibre, la tête en bas. Elle semble alors s’assouplir, se détendre aussi, et ses articulations se délient à mesure qu’elle se glisse dans un mouvement souple et fluide, les mains ouvertes et le regard lointain.

La douceur inattendue de ses gestes et les mélodies aériennes du clavier offrent l’occasion de conter le récit d’une jeunesse légendaire ou bien rêvée, une plongée à fleur de peau dans l’exaltation underground des années 80, décennie de tous les espoirs dont la scène de danse semble porter l’écho. Une fois n’est pas coutume, Maud le Pladec s’émancipe du geste et livre une véritable performance vocale autant que physique : elle semble rugir et débite son texte en courant, se cabre ou se blottit à terre, les yeux rivés sur le casque de motarde déposé comme un totem au centre de l’estrade. Sa diction empressée, parfois confuse et hâtive, paraît emprunter au slam, comme le rythme des phrases inlassablement répétées jusqu’à ce que le récit peu à peu se dissolve dans le martèlement des syllabes et laisse advenir le flot jusqu’alors endigué de paroles et de gestes. Les mots prennent chair et épaisseur dans sa voix, ses bras tremblent et ses mains se crispent autour du micro tandis qu’affleurent les fragments biographiques charriés par le ressassement des musiques de son adolescence : elles nourrissent la trame d’une autofiction rédigée à quatre mains avec l’écrivain Vincent Thomasset.

L’ensemble est électrique, bouillonnant : emportée par l’élan du geste elle tournoie encore, survoltée elle sautille sur les tubes des années disco jusqu’à en trébucher et s’effondre : chaque situation est l’occasion d’une progressive dilatation sonore et gestuelle. Une note unique, un simple mouvement se déploient vers un dénouement impromptu : elle appose doucement sa main sur le sol de l’estrade, la longe puis s’élance danse une course effrénée pendant laquelle elle se dévêt puis se met à nu : la pièce se déploie au rythme d’une métamorphose incessante. Comme pour souligner les strates complexes de cette mue les flashs du stroboscope livrent les images fugaces d’un corps extatique, les cheveux ébouriffés et les poings serrés, saccadé comme la musique des Daft Punk dont l’évocation était plus qu’attendue. N’en reste que l’ivresse d’une danse portée jusqu’à l’épuisement, déchirée d’un unique cri qui résonne longuement sur le plateau. Vide désormais, inondé d’une lumière vive, il apparaît dépeuplé mais encore chargé de l’énergie de ses gestes. On aurait eu envie de la voir danser plus encore : en solo elle se dévoile et livre le récit d’une gestuelle singulière, intime et poignante.

Vu aux Subsistances à Lyon. Conception, chorégraphie, et interprétation Maud Le Pladec. Discographie, DJ Julien Tiné. Scénographie, création lumière Éric Soyer. Photo © Romain Etienne.