Photo 3 Maps Liz Santoro Pierre Godard©Patrick Berger AtelierdeParis

Chorégraphier le cortex : Maps de Liz Santoro & Pierre Godard

Par Marika Rizzi

Publié le 29 novembre 2017

Artistes associés au CDC Atelier de Paris-Carolyn Carlson depuis 2016, Liz Santoro & Pierre Godard viennent d’y présenter leur nouvelle création Maps avec le soutien de la Fondation d’entreprise Hermès dans le cadre de son programme New SettingsIls poursuivent ici un questionnement – déjà entrepris avec leurs précédentes pièces For Claude Shannon (2015) et Relative Collider (2014) – autour des croisements entre danse et texte à travers une approche scientifique. Avec Maps le duo propose une analogie entre une cartographie du langage telle qu’elle s’organise dans le cortex cérébral et l’espace de déploiement du mouvement.

Le sol du plateau accueille cette transposition et se convertit en une sorte de plan détaillé, des signes à angle droit en rythment la surface blanche. L’oeil repère des pleins et des vides, des perspectives et des lignes de fuite, d’intervalles, de paliers. Les six interprètes – déjà actifs dans une déambulation sur le plateau – créent une circulation dans l’espace qui désamorce momentanément l’ordre donné par les courtes lignes au sol ; à l’instar des costumes – signés par Angèle Micaux – qui apportent un décalage surprenant par l’association des couleurs et des formes : un short en dessins géométriques noir et blanc, un haut argenté, des bermudas jaune avec des motifs, des pantalons serrés rouges, d’autres plus souples gris ou noir, du vert, du violet, du bleu, de l’ocre.

La disposition en rangées indique un changement de registre, le silence accompagne également le début de la pièce. D’un pas commun, les six interprètes – Matthieu Barbin, Lucas Bassereau, Jacquelyn Elder, Cynthia Koppe, Maya Masse, Charlotte Sepora – arpentent la longueur du plateau dans des aller-retours mesurés et continus. Des mots projetés sur le mur du fond défilent de façon suffisamment rapide pour échapper à la tentation de les agencer et de créer du sens. Une pulsation ponctue la marche des interprètes dont le bruit feutré et grinçant des baskets s’ajoute à celui légèrement métallique du son. La régularité de cette première activité introduit les éléments du jeu et permet aux six interprètes de s’y installer avec une relative tranquillité. De manière presque imperceptible, un soupçon d’instabilité teinte et intensifie leur état d’attention. Malgré la simplicité d’un déplacement linéaire à pas comptés, l’attente d’un événement imminent, peut-être imprévu, semble prendre place.

Un premier duo poursuit cette vague distillée et précise, le mot «gainait» s’immobilise sur le fond tandis que les termes choice et emotional prononcés par les deux interprètes annoncent une rupture avec la linéarité établie. Ainsi un saut en contretemps, le déploiement d’un geste, des modifications diverses se fraient un chemin et interrompent de façon fugace la régularité de la marche. Ces ponctuations varient et se répètent à leur tour, la succession en d’autres combinaisons de duo, de quatuor et de sextet. De nouveaux énoncés s’ajoutent progressivement aux précédents et introduisent de nouvelle correspondances gestuelles, enrichissant le répertoire des déplacements. À l’intérieur de l’activité constante des pas, méticuleuse et stable en toile de fond, la composition se complexifie au fur et à mesure.

Les effractions à l’ordre multiplient leurs interventions jusqu’à créer des croisements et des interactions entre les interprètes. La musique de Greg Beller prend du volume aussi, elle accompagne et amplifie l’impression d’un devenir hasardeux dont la gestion reste sous contrôle de la danse. Des relâchés du buste, des déhanchés légers, une tête qui cède à la chute et laisse la chevelure s’enfler, ces sortes de respirations différées écartent la perception de la maîtrise spatio-temporelle jusqu’à prendre l’allure d’actes subversifs. Le retour à un calme relatif revient suite au paroxysme gestuel et sonore, le mystérieux dialogue que les interprètes tissent continue jusqu’à l’arrêt. Là seuls des mots sont donnés à entendre, peut-être la partition en langage qui a guidé celle du geste de chaque interprète.

Dans Maps la relation entre texte et fabrication du geste se trouve encadrée par la transposition spatiale du fonctionnement du système sémantique : les déplacements remplacent des connexions neuronales, les croisements engendrent des nouvelles synapses, la danse laisse surgir une autre grammaire. De ces cartes « chorégrapho-cérébrales » émerge une composition imprévisible qui défie les codes méthodologiques d’écriture ; en inventant ses propres règles, ce procédé qui laisse une place à l’aléatoire offre des nouveaux repères esthétiques et exploratoires.

Vu au CDC Atelier de Paris-Carolyn Carlson. Concept Liz Santoro et Pierre Godard. Musique Greg Beller. Costume Angèle Micaux. Lumière Pierre Godard. Avec Matthieu Barbin, Lucas Bassereau, Jacquelyn Elder, Maya Masse, Cynthia Koppe et Charlotte Siepiora. Photo © Patrick Berger.

Maps sera présenté les 1er et 2 décembre au Théâtre de la Cité internationale, dans le cadre de New Settings, un programme de la Fondation d’entreprise Hermès.