Photo Marie Chouinard

Hieronymus Bosch : The Garden of Earthly Delights

Par Guillaume Rouleau

Publié le 12 août 2016

Tout juste nommée directrice de la Biennale de danse de Venise pour un mandat qui s’étendra de 2017 à 2020, la chorégraphe et danseuse québécoise Marie Chouinard présentait, avec sa compagnie, Hieronymus Bosch: The Garden of Earthly Delights (Jérôme Bosch: le jardin des délices terrestres), commande de la Jheronimus Bosch 500 foundation à l’occasion du 500e anniversaire de la mort du peintre néerlandais. C’est à Bois-le-Duc, où Jérôme Bosch est né aux alentours de 1450, que la pièce fut dansée pour la première fois le 4 août dernier avant d’être redonnée les 8, 9 et 10 août lors du festival international de danse à Vienne, ImPulsTanz. Créé en 1984 par Karl Regensburger et Ismael Ivo, ImPulsTanz démontre cette année encore par l’éclectisme de sa programmation et l’efficacité de son organisation, sa capacité à montrer de multiples aspects – dont les plus récents – de la danse contemporaine et de la performance durant un mois. Programmée au Volkstheater, Hieronymus Bosch: The Garden of Earthly Delights est une chorégraphie en trois actes (Le Jardin des délices, l’Enfer, Le Paradis) inspirée des trois panneaux de bois de l’œuvre peinte entre 1500 et 1505 et dont le titre date du XIXe siècle. Mise en mouvement des corps, mise en musique, à partir de la peinture, la chorégraphie est ici une interprétation convaincante des vanités, des délices éphémères qui parcourent le triptyque.

Un triptyque resté accroché au Prado, qui accueille jusqu’au 11 septembre 2016 l’une des plus importantes expositions consacrées à Jérôme Bosch, mais qui est reproduit, agrandi, sur le mur du fond. Le triptyque, alors fermé, laisse voir un monde de la Renaissance tardive contenu dans une sphère à l’intérieur de laquelle navigue dans des teintes sombres un bestiaire difforme. Un bruit de faune est diffusé dans la salle. Lorsque s’ouvrent les deux volets, marquant l’apparition des interprètes, cette reproduction numérique s’agrandira jusqu’à s’arrêter, successivement, sur les innombrables figures humaines, animales et monstrueuses du panneau central. D’innombrables figures que les dix danseurs de la Compagnie Marie Chouinard  – trois hommes et sept femmes – vont imiter, incarnant à taille humaine les vanités : l’inanité des plaisirs terrestres, ceux des cinq sens, ceux de ces hommes qui s’ébattent nus sur le triptyque. On retrouve partiellement cette nudité chez les danseurs poudrés de blanc aux caches sexes couleur chair, de même que leurs jambières. Chacune des particularités de leurs carnations, de leurs efforts, ressort. Leurs gestes synchronisés, coordonnés, suggestifs, de plus en plus frénétiques sont soutenus par la musique en staccato de Louis Dufort, elle aussi librement inspirée du triptyque. Une bulle de plastique transparente renvoyant à celles du panneau servira de refuge, de carapace et de lieu de jouissance. Rideau. Applaudissements.

Après les délices, la damnation. La traversée des enfers du deuxième acte se fera dans le bruit et la fureur. Une fureur hurlée par la danseuse italienne Valeria Galluccio. Un hurlement amplifié et distordu électroniquement qu’elle effectue en déséquilibre sur deux baquets de métal sans détacher son regard du public. Le délire, devenu collectif, est digne de l’Éloge de la folie d’Érasme – contemporain de Jérôme Bosch – éloge satirique qui fait intervenir la folie personnifiée, « Dame Folie », pour peindre l’emprise que celle-ci peut avoir sur la société. Folie des hommes se détournant de la voie de Dieu, thème récurrent chez les peintres et graveurs du nord de l’Europe du XVe siècle comme Hans Holbein le Jeune et la famille Brueghel. Une folie que les dix danseurs vont simuler jusqu’à l’épuisement, fracassant des poubelles, une tente, une trompe ou encore une grande échelle. Une échelle dégringolée par Carol Prieur, qui n’atteindra jamais son sommet. Une échelle qui servira aussi de croix à Sébastien Cossette-Masse tandis qu’à ses pieds, l’irrationalité, la destruction, se manifeste par un désordre sonore et visuel qui fait référence aux aboutissements de la guerre, de l’appât du gain, de l’ivrognerie chez Jérôme Bosch. Un Memento Mori que renforce le squelette installé sur scène. Tout est fait pour provoquer la répulsion, comme ces prothèses, récurrentes chez Marie Chouinard, portées sur la tête. La Compagnie danse l’enfer du Néerlandais, les châtiments qui attendent les pêcheurs depuis l’expulsion d’Adam et Eve du Paradis. Rideau. Acclamations.

Dans le dernier acte, consacré au Paradis, la chorégraphie s’affirme encore un peu plus. La femme devient Adam, l’homme devient Eve, chacun devient Christ. Un dernier acte à découvrir, cet automne, à Milan, Bruges, Québec et au printemps 2017 à la Biennale de danse du Val-de-Marne. Après son Sacre du Printemps en 1993 et bODY_rEMIX/les_vARIATIONS_gOLDBERG en 2005, Hieronymus Bosch : The Garden of Earthly Delights se place parmi les œuvres phares de Marie Chouinard. Une interprétation du Jardin des délices terrestres de Jérôme Bosch par la danse, la musique et les artifices de la scène qui questionne habilement la contemporanéité de la folie t’elle qu’elle fut thématisée par les humanistes.

Vu dans le cadre d’ImPulsTanz. Chorégraphie, scénographie, lumière et costumes vidéo Marie Chouinard. Musique originale Louis Dufort. Maquillage Jacques-Lee Pelletier. Maquillage Jacques-Lee Pelletier. Photo © Photo Nicolas Ruel.